Tribune Juive

L’antisémitisme en France : le volcan gronde, et personne ne veut l’entendre. Par Richard Abitbol

« L’Histoire ne se répète pas, elle se réalise dans le silence des lâches ». Karl Jaspers. « Lettre d’un citoyen juif à la République qui ferme les yeux »

En France, l’antisémitisme n’est plus un résidu du passé. Il n’est plus souterrain. Il n’est plus marginal. Il est là, à ciel ouvert, au grand jour, quotidien, visible, impuni. Il est dans la rue, dans les écoles, dans les entreprises, dans les administrations, dans les médias, dans les stades, sur les bancs de l’université et même dans les assemblées élues. Il est même parfois à l’Élysée, quand le silence devient complicité.

Et pourtant, rien. Ni sursaut, ni honte, ni mobilisation. Seulement le silence. Ce silence assourdissant qui trahit les démocraties fatiguées, vidées de leurs principes, livrées à la peur de nommer les choses, à la peur de déplaire, à la peur de perdre une voix ou une alliance électorale.

Le poison s’infiltre dans les interstices du quotidien

L’antisémitisme, ce n’est plus seulement un tag sur une synagogue ou une croix gammée sur une tombe juive. Ce sont des enfants en kippa insultés dans les rues de Paris, parfois frappés. Ce sont des lycéens moqués par leurs camarades parce qu’ils « soutiendraient un génocide ». Ce sont des élèves à qui l’on conseille de ne pas porter l’étoile de David pour « éviter les problèmes ». Ce sont des enseignants juifs sommés de s’expliquer sur Gaza. Ce sont des CV rejetés parce que le prénom « David » ou « Sarah » dérange.

C’est une petite fille de 12 ans, violée à Courbevoie, parce que juive, par des jeunes qui affichaient sans honte leur haine sur les réseaux sociaux. C’est un rabbin de Marseille agressé en sortant de chez lui. C’est une crèche juive à Levallois qui doit renforcer ses murs et embaucher des vigiles. Ce sont des familles entières contraintes de déménager parce que leurs voisins les menacent. C’est une mère qui cache la religion de ses enfants à l’école. C’est un médecin juif à l’hôpital confronté à des patients qui refusent d’être soignés par lui. C’est un commerce vandalisé parce qu’il est tenu par un israélite.

Chaque jour, ces actes se répètent. Chaque jour, ils sont dénoncés. Et chaque jour, ils sont relativisés. Par peur. Par aveuglement. Par lâcheté.

L’indifférence complice des élites

La République n’est pas seulement absente. Elle est complice. Car elle voit, elle sait, et elle se tait. Pire : elle joue un double jeu. D’un côté, elle organise des commémorations. Elle dépose des gerbes. Elle publie des tweets indignés le 27 janvier. De l’autre, elle tend la main aux partis et aux figures qui attisent la haine antijuive. Elle laisse les antisionistes de LFI déverser leur venin à l’Assemblée. Elle laisse les comparaisons indignes entre Gaza et Auschwitz prospérer sur les plateaux télé. Elle fait silence quand des enfants juifs sont menottés dans un avion parce qu’ils chantaient leur foi. Elle décore des figures ambiguës. Elle couvre des imams radicaux. Elle finance des associations qui, sous couvert de lutte pour les droits, diffusent la haine.

Et au sommet de tout cela, un président qui souffle le chaud et le froid, l’armada contre le Hamas un jour, les accusations contre Israël le lendemain. Un président qui, au lieu d’éteindre l’incendie, joue avec les allumettes.

Une société en état de pré-éruption

Le cratère fume. Les signes sont là. Mais comme toujours, les démocraties tardent à réagir. Elles attendent le sang, le drame absolu, la honte irréversible. Alors que déjà, la société s’érode. Le volcan ne gronde plus seulement : il menace d’entrer en éruption.

Cette éruption, ce ne sera pas un pogrom à l’ancienne. Ce sera une normalisation de la haine. Une mise à l’écart acceptée. Une invisibilisation des juifs de France, contraints de cacher leur identité, de fuir leurs quartiers, voire leur pays. Un glissement sournois d’une démocratie vers l’injustice systémique.

Nous ne sommes pas dans les années 30. Nous sommes peut-être déjà dans les années 40 sans nous en apercevoir. Les camps ne sont plus physiques, ils sont mentaux, sociaux, numériques. Mais l’enfermement est réel. Et la violence toujours possible.

Il est encore temps… peut-être

Nous écrivons ce texte pour dire stop. Pour dire non. Pour nommer. Pour alerter. Pour réveiller les consciences. Il est encore temps, peut-être. Mais le temps presse. Chaque jour de silence est une défaite. Chaque hésitation est un cran de plus dans la montée de l’irrémédiable.

Nous demandons que l’antisémitisme ne soit plus traité comme une opinion parmi d’autres, mais comme ce qu’il est : une pathologie sociale, une maladie démocratique, un indicateur de dégénérescence collective. Et que ceux qui le propagent soient traités non comme des interlocuteurs politiques, mais comme les ennemis de la République qu’ils sont.

Nous, juifs de France, n’avons pas vocation à être les vigies éternelles de la conscience nationale. Mais nous refusons d’être ses victimes sacrifiables.

Signé : Un citoyen juif français

En mémoire de Sarah Halimi, Ilan Halimi, Mireille Knoll… Et pour les vivants qu’il faut encore protéger.

Quitter la version mobile