
« L’antisémitisme d’État commence toujours par un soupçon. Il finit toujours dans le sang« . Léon Poliakov
Monsieur le Président, votre accusation envers les Juifs de France est une ignominie. Et une répétition de l’Histoire.
Le 30 juillet 2025, en Conseil des ministres, vous avez reproché à une partie de la communauté juive « d’oublier son universalisme ». Ce n’est pas une phrase malheureuse. C’est un reproche structurant, une inversion des rôles, un renvoi brutal au soupçon ancien : celui qui pèse sur le Juif, jamais tout à fait Français, toujours suspect de « loyauté secondaire ».
Malgré les démentis de l’Élysée affirmant que vous n’avez « en aucun cas reproché à la communauté juive d’oublier son universalisme », les mots ont été prononcés, rapportés, et ils résonnent comme un écho sinistre des pires chapitres de notre histoire.
C’est l’écho contemporain de ce que Vichy fit entendre en son temps. Et vous l’avez fait, vous, président de la République française, en 2025. Non, ce n’est pas Vichy. Mais c’est un air de famille – un parallèle que j’assume pleinement, car il souligne la gravité de votre posture. Ignorer ce lien, c’est nier la continuité des mécanismes de trahison qui ont marqué la France.
L’esprit de Vichy : désigner l’autre, humilier le fidèle, trahir les siens
À Vichy, ce fut au nom de la France qu’on décida que les Juifs devaient être distingués, fichés, exclus,déportés. La République avait cessé de les protéger. Elle avait préféré s’adapter à l’air du temps, au climat de haine, au désir d’expier une crise en désignant un coupable commode. Vichy abandonna lesJuifs français, les livra à la barbarie nazie, au nom d’une « paix » illusoire et d’une collaboration honteuse. Plus de 76 000 Juifs furent déportés de France, dont 11 000 enfants, souvent avec la complicité active des autorités françaises.
Et aujourd’hui, c’est ce même mécanisme pervers que vous activez, Monsieur Macron. Alors que les Juifs de France sont agressés, menacés, assignés à résidence communautaire par la terreur islamiste – avec plus de 436 actes antisémites recensés rien qu’au premier trimestre 2025, une explosion continue depuis les pogroms du 7 octobre 2023 –, vous pointez leur supposée dérive, leur « particularisme », leur refus d’un universalisme que vous-même trahissez. Comme sous Vichy, le message implicite est clair : « Si les choses tournent mal pour vous, c’est que vous l’avez un peu cherché ». Ce n’est plus la République qui protège. C’est la République qui sermonne.
Vous accusez les Juifs de se replier ? Ils ferment leurs écoles. Ils fuient les universités. Ils migrent de banlieue en banlieue. Ils émigrent par milliers, fuyant une France où l’antisémitisme est « alarmant », avec 34% des moins de 35 ans estimant que les Juifs sont plus riches que la moyenne, perpétuant des stéréotypes séculaires. Où est l’universalisme quand on ne peut plus porter une kippa sans risquer un coup de couteau ? Où est la fraternité quand les synagogues doivent être barricadées ? Où est l’égalité quand un enfant juif ne peut plus être inscrit dans un collège public sans être harcelé ?
Et comme en 1940, la France officielle détourne le regard. Et pire : elle soupçonne. Vichy a trahi les Juifs français. Vous trahissez leur mémoire. Ce n’est pas une analogie historique hasardeuse. C’est un continuum moral. Vichy a dit : « Les Juifs sont un problème. » Vous dites : « Les Juifs dérivent de l’universalisme ». Les deux disent : « Ils ne sont pas tout à fait comme les autres ».
De Gaulle et la double allégeance : un fantasme ancré chez nos dirigeants
Ce soupçon n’est pas nouveau ; il est solidement ancré dans le fantasme de nos responsables politiques, comme l’illustre Charles de Gaulle lui-même. En 1967, lors de sa fameuse conférence de presse, de Gaulle qualifia les Juifs de « peuple d’élite, sûr de lui et dominateur », insinuant une loyauté divisée vis-à-vis de la France et d’Israël. Plus tard, il mit en garde les Juifs contre toute forme de double allégeance : « Notre sympathie pour les Juifs est indiscutable », mais il prévint qu’il ne tolèrerait pas de « double allégeance de leur part ». Ces propos, énoncés par le libérateur de la France, ravivèrent les vieux tropes antisémites sur la « double loyauté » des Juifs, comme si leur attachement à Israël les rendait suspects aux yeux de la République.
De Vichy à de Gaulle, et maintenant à vous, Monsieur Macron, ce fantasme persiste : les Juifs seraient toujours un peu « autres », prêts à trahir l’universalisme pour des intérêts particularistes. Mais rappelons : la communauté juive incarne depuis l’émancipation de 1791 la fidélité à la République, même quand celle-ci les trahit. Ils ont combattu pour elle – dans les tranchées de 1914, dans la Résistance, dans les armées de la Libération. Ils ont aimé la France plus qu’elle ne les a aimés. Et aujourd’hui encore, ils la défendent – quand vous pactisez avec ceux qui la haïssent, en reconnaissant un État palestinien sans conditions, au risque d’encourager le terrorisme.
Le parallèle est glaçant. La blessure est profonde. Et l’avenir est en jeu. Vichy fut la grande honte dela France du XXe siècle. L’histoire a tranché. Votre posture pourrait devenir la grande honte du XXIe. Car il est un point commun entre vous et Vichy : la volonté de calmer la bête en nourrissant ses haines. Vichy croyait amadouer Hitler. Vous croyez apaiser les islamistes, les antisémites, les communautaristes. Les premiers ont déporté. Vous, vous stigmatisez. Mais le mécanisme est le même : sacrifier une minorité pour flatter une majorité bruyante.
Assez. Les Juifs n’oublient pas. Et la République ne vous oubliera pas. Vous devez vous excuser. Pas devant une “communauté”. Devant l’Histoire. Devant la République. Devant l’âme de la France. Car ce que vous avez dit n’est pas une simple faute politique. C’est une résurgence. Un signal. Une complicité. Et les Juifs de France – eux – n’ont pas oublié Vichy. Ni de Gaulle. Et ils reconnaissent les signes.
© Richard Abitbol