Emmanuel Ruimy

Israël ne peut pas gagner cette guerre, parce qu’elle n’a pas été conçue pour être gagnée.
Non qu’il soit militairement dépassé, mais parce qu’il est pris dans une équation volontairement rendue insoluble. Le 7 octobre, en massacrant des civils et en enlevant des centaines d’otages, le Hamas a déclenché une guerre sans issue supportable. Israël n’a pas seulement été surpris. Il a été pris au piège.
Il faut bien comprendre : le Hamas ne cherche pas la victoire, il cherche la perte d’Israël. Peu leur importe que Gaza brûle, pourvu qu’Israël saigne. C’est une stratégie eschatologique : tout perdre, pourvu que l’autre tombe avec soi. Et sa stratégie repose sur l’enlisement, l’émotion, la manipulation des consciences occidentales. Sa force n’est pas militaire, elle est dramaturgique. Et ce qu’il y a de plus glaçant, c’est peut-être ceci : il a compris l’Occident mieux que bien des stratèges israéliens. Son véritable front est l’opinion publique occidentale, pas Tsahal.
En prenant des otages, il interdit la paix. En se dissimulant parmi les civils dans le territoire le plus densément peuplé du monde, il interdit la guerre. Le Hamas a inventé une géométrie du piège : Israël est enfermé dans une guerre où chaque victoire est une perte. Dans cette guerre asymétrique et post-moderne, ce n’est pas le réel qui compte : c’est l’image du réel.
Ce piège ne fonctionnerait pas sans la coopération involontaire des démocraties occidentales. En inversant la pression, non sur les preneurs d’otages, mais sur ceux qui tentent de les sauver, elles légitiment le chantage. En reconnaissant un État palestinien sans condition, elles transforment une stratégie terroriste en capital politique.
Soyons lucide : un cessez-le-feu accompagné de la libération de tous les otages est un mirage. Une projection occidentale. Le Hamas ne veut surtout pas de fin : il veut que le conflit pourrisse, que les otages pourrissent sous terre, que l’agonie dure. Les otages sont des trophées, des leviers, des projecteurs braqués sur Gaza pour maintenir la guerre. Ils ne seront pas tous rendus : c’est précisément pour cela qu’ils ont été pris.
Alors il ne reste qu’une alternative, et elle est atroce :
-Soit Israël insiste, peut-être des années, occupe Gaza jusqu’au dernier tunnel, au prix d’innombrables morts, d’une déroute diplomatique, et sans certitude de succès.
-Soit il se retire, et accepte sans le dire qu’un nouveau 7 octobre soit déjà en gestation.
Il ne s’agit plus de gagner, mais de choisir la forme de sa défaite (ou de sa demi-victoire diront les optimistes). Certains affirment, dans une logique clausewitzienne, qu’une guerre commencée doit être menée jusqu’au bout, sinon elle revient, en pire. D’autres estiment qu’une victoire incomplète vaut mieux qu’un désastre consommé.
Je le redis : le plus tragique, c’est que la stratégie du Hamas a fonctionné. Et elle fonctionne parce qu’on la laisse fonctionner. Le Hamas l’a compris : dans un monde gouverné par l’image, le terrorisme paie, à condition d’être bien mis en scène.
© Emmanuel Ruimy
Analyste de la vie publique, Emmanuel Ruimy est Responsable des Relations Institutionnelles & Médias pour John Cockerill.