
© Fabien Clairefond
L’envergure mondiale de la crise antisémite est son trait le plus manifeste. Elle découle de ce que le « Juif » qui motive l’antisémitisme a, cette fois-ci, la figure d’un État, l’État d’Israël, une personnalité collective singulière, tout en rejaillissant sur les individus juifs de par le monde, tenus pour relever de cet État.
La globalisation de l’antisémitisme
Ainsi, tout ce qui est en lien supposé ou réel avec lui s’expose à des agressions de toutes sortes, de l’Amérique latine au Moyen Orient en passant par l’Amérique du nord, l’Australie [1] et l’Europe. Pour la première fois dans l’histoire, nous sommes face à une globalisation de l’antisémitisme de sorte que le seul « refuge » possible ne peut être autre que la cible de l’attaque globale: l’État d’Israël … C’est une donnée inédite dans l’histoire de l’antisémitisme.
La motivation apparente, invoquée par les antijuifs pour légitimer leur agression, doit être remarquée, à savoir la cruauté que l’État d’Israël manifesterait en pratiquant le génocide des Palestiniens, et notamment en tuant des enfants, une cause se situant au niveau de toute l’humanité et pas seulement d’une histoire singulière et locale et donc justifiant l’extension de la poursuite des Juifs sous tous les cieux…
Le sacrifice rituel
Une vieille image de l’histoire de l’antisémitisme, l’accusation de « sacrifice rituel » [2], nourrit cette haine et ressurgit ainsi à l’époque post-moderne que d’aucuns, ces dernières années, ont tenu pour « la fin de l’histoire » … Elle accusait les Juifs d’immoler un enfant non juif pour fabriquer avec son sang le pain azyme de la fête de Pâques. La réminiscence religieuse de la Vierge Marie et de son enfant divin poursuivis par les Juifs déicides est évidente.
Cette figure ressurgit systématiquement aujourd’hui dans l’accusation de vouloir affamer Gaza. La dernière manifestation en date fut publiée dans Le New-York Times, en page première mais aussi dans Libération. La figure de l’enfant victime des Juifs est en l’axe du stéréotype antijuif. On la retrouve dans un précédent conflit avec l’entité terroriste de Gaza, dont la figure de proue fut l’enfant Al Dura, supposé avoir été ciblé dans son agonie par les soldats israéliens, ici aussi par le biais d’une falsification médiatique sous l’égide de la chaine française de France 2 [3].
Sous prétexte de la cruauté supposée d’Israël, de son inhumanité, les Juifs sont ainsi l’objet d’agressions de toutes sortes qui ont trouvé leur légitimité mondiale dans la condamnation d’Israël par la Cour de justice de La Haye et les instances internationales qui ont ainsi donné un « permis de chasser » le Juif tous azimuts. En tous lieux, le Juif est dons devenu « tuable » en toute légitimité. Les terroristes tuent les Juifs en célébrant leur Dieu, dans un meurtre (l’acte terroriste) qui s’inscrit dans un sacrifice rituel dont l’apothéose recherchée est la mort du sacrifiant sous la main d’un Juif, une mort qui l’inscrit dans le djihad qui ouvre la clef du paradis.
Humanité, humanitarisme…
L’inhumanité du Juif, « ennemi du genre humain » [4], s’appuie dans le cas présent sur un fait historique qui en témoigne a contrario: le pogrom massif perpétré contre les Israéliens, le 7 octobre, et à la suite duquel l’État d’Israël est rentré en guerre contre l’entité djihadiste de Gaza. Les envahisseurs ont pratiqué en effet des atrocités dans lesquelles ils se sont attaqués à l’image humaine du juif, jusqu’au cadavre (démembrements …), un crime dont la portée s’inscrit directement dans la portée de la Shoa [5]. Ici, l’anti-judaisme profond de l’islam s’est aussi manifesté, pour lequel les Juifs ne sont pas tenus dans certains textes coraniques pour être des Humains ([6]).
Là, cependant, ne s’arrête pas l’attaque antisémite. La compassion mondiale (occidentale uniquement, mais dans le monde arabe une victoire célébrée) envers Israël dura peu de temps; elle bifurqua très vite à l’avantage des Gazaouis dès que l’État d’Israël réagit à l’agression. L’Occident exigea de lui qu’il fasse preuve d’humanité envers ceux qui lui avaient dénié toute humanité. Cela prit la forme des questions qui se posèrent autour de l’aide humanitaire à servir aux Gazaouis qui tous avaient trempé dans la curée et la razzia pratiquées par les envahisseurs du 7 octobre.
L’Occident exigea de prodiguer l’aide humanitaire à une population qui avait déclaré la guerre totale aux Juifs (c’est bien là la nature de l’agression : la charte du Hamas s’arroge essentiellement la tache djihadiste de détruire l’entité juive qu’est Israël). Dans un cas unique de l’histoire, un peuple agressé fut sommé, par ses amis eux-mêmes, de nourrir son ennemi en même temps qu’il le combattait. Très vite, l’humanité des Palestiniens chassa l’humanité des Juifs au nom de l’humanitarisme. Ce souci est habité de lointaines réminiscences de l’antisémitisme occidental qui, en l’occurrence, doit lutter dans son for intérieur inconscient contre l’angoisse du « crime rituel » imputé aux Juifs. Il soutient Israël tout en luttant avec lui-même contre ce soutien, en exigeant des Juifs ce qu’il n’exige pas de lui-même [7] : qu’il nourrisse son ennemi avec lequel il est toujours en guerre. L’Occident conjure ainsi, dans un sursaut de moralisme, la réminiscence du crime rituel attribué au Juif alors même qu’il compatit à au massacre du 7 octobre.
Le front intérieur
L’accusation d’inhumanité des Juifs et le poids de l’attaque mondiale contre eux ont fini par provoquer l’effritement du Front intérieur. Je n’aborderai pas ici la crise politique et sociale qu’a connue la société israélienne depuis trois ans et la façon dont elle a nourri l’affaire des otages, mais un phénomène pathétique et récurrent qui se produit dans toute crise antisémite qui voit une partie des élites se retourner contre le peuple et le gouvernement sous la pression ennemie, en retournant le discours des ennemis contre le peuple en guerre, comme pour se justifier devant le tribunal de l’ennemi pour se faire reconnaitre de lui.
Un texte puissant de Berl Katzenelson, fondateur du Mapai et figure majeure de la gauche sioniste historique, éclaire cette perspective connue de tous temps : « Y a-t-il encore sur terre un peuple dont les enfants soient à ce point brisés moralement et mentalement qu’ils considèrent tout ce que fait leur propre peuple comme odieux, tandis que chaque meurtre, chaque viol, chaque vol commis par leurs ennemis les remplit d’admiration et de respect ? Tant qu’un enfant juif pourra venir en terre d’Israël pour y contracter le virus de la haine de soi… que notre conscience ne connaisse pas le repos ». [8]
L’invocation palestiniste
Qu’est-ce que la Palestine représente en tant que telle sur le plan de l’idéologie politique que nous analysons et que nous qualifions de « palestinisme »? Cette question mérite d’être posée tant est invraisemblable son invocation dans toutes sortes de contextes qui n’ont aucun rapport avec la réalité. C’est une idéologie de caractère antisémite mais elle a pour objet « la Palestine », objet de son exaltation, tandis que la figure juive est secondaire sur le plan des principes, quoique centrale sur le plan de la finalité. C’est « la Palestine » qui est au centre, mais l’islamo-gauchisme est un trait central. Elle a une portée bien plus grande que l’antisionisme qui l’a précédée sur la scène de l’histoire récente.
Examinons les scènes de l’invocation de l’invocation de la Palestine pour comprendre leur portée. Il y a effectivement invocation parmi ces foules en Occident qui ignorent tout de la Palestine et des Palestiniens, de la géographie du Moyen Orient, du passé historique, etc. La Palestine est elle-même une invention et une catégorie récentes. L’invocation a une dimension religieuse et mystique. Elle exalte les « Palestiniens » comme la promesse positive opposée aux Israéliens, le mauvais « occupant » de la Palestine : le peuple palestinien est ainsi opposé au peuple juif/israélien dont il s’agit de prendre la place. Cela rappelle une autre configuration religieuse, le paulinisme qui a inventé l’opposition de l’Israël selon la chair (les Juifs) à l’Israël selon l’esprit : les Palestiniens. Opération de substitution d’u peuple à l’autre dans la même catégorie.
La messianisation de la Palestine s’explique aussi à la lumière de la doctrine de l’intersectionnalité du post modernisme qui établit une convergence des situations d’oppression (femmes, noirs…) de sorte que l’univers entier pourrait d’identifier au martyre et à la geste des Palestiniens. Un vestige du rôle que remplissait le prolétariat dans le communisme… Là, on retrouve parfaitement la dimension de l’islamo-gauchisme…
Le substrat socio-politique de l’invocation : 3 économies
Ainsi, selon l’usage et le lieu, le palestinisme se décline en fonction de finalités différentes quoique toujours en vue de la déchéance de l’Israël juif.
- en France, en Grande Bretagne, en Europe et aux États-Unis, sous la Palestine se cache la oumma, le communautarisme musulman de l’immigration qui a pour finalité de se vouloir régi par la sharia. Ce courant est soutenu par les Frères musulmans, très présents dans l’Union européenne. Derrière lui, il y a la Turquie et le Qatar. La Palestine est un cheval de Troie trompeur dont la finalité n’est pas la Palestine mais l’intérêt immédiat des milieux immigrés en Occident qui la promeuvent.
- au Moyen orient, le mythe de la Palestine aide les Arabes « palestiniens » à se structurer comme un peuple en se calquant sur le modèle du véritable Israël, celui de l’invocation.
- en Occident, les foules occidentales qui psalmodient la Palestine, dans l’ignorance de ce qu’elle est et de l’intérêt qu’elle constitue pour eux, sont le reflet de la décomposition sociale, culturelle et identitaire des pays dont elles sont les ressortissantes. Elles donnent déjà un indice de leur fusion avec les communautés immigrées dont elles chantent ainsi l’innocence, la souffrance, la victimitude, autant de critères de la légitimité aujourd’hui dans la galaxie woke…
Les sanctions contre Israël pleuvent et, ce qui est le plus grave, de la part de pays « amis » d’Israël, ceux où la Shoah a déjà montré son rictus il y a 80 ans. La situation qui en résulte a été connue dans l’histoire, c’est le ghetto, mais un ghetto mondial, aux dimensions d’un État. Eclipse de l’Occident.
© Shmuel Trigano
Professeur émérite des Universités
[1] 15000 personnes à Sidney en Australie, le 4 août 2025
[2] Cf. Controverses, n°10, 2009 dossier sur l’accusation de meurtre rituel
[3] Cf. Philippe Karsenty et l’affaire Al Durah
[4] « Ennemi du genre humain » est la traduction française de l’expression latine « hostis humani generis« . Cette expression juridique, issue du droit maritime, désigne des individus étaie comme étant en dehors de toute protection juridique et pouvaient être traités par n’importe quelle nation, même si elle n’était pas directement victime de leurs actes.
Plus largement, l’expression peut aussi désigner une personne ou un groupe de personnes perçus comme une menace pour l’ensemble de l’humanité ou pour les valeurs fondamentales de celle-ci (Wikipedia).
[5] Les Nazis firent des abats jours avec la peau des Juifs et des perruques avec les cheveux des femmes
« Allah dit : « Vous avez certainement connu ceux des vôtres qui transgressèrent le Sabbat. Eh bien Nous leur dîmes: ‘Soyez des singes abjects !' » (Sourate 2 / Verset 65)
[7] Par exemple le bombardement de Rakah par la France en Irak contre Daesh.
[8] Cité par Yana Grinshpun, https://www.linkedin.com/feed/update/urn:li:activity:7350898494758420483/