
A noter: il y a plus de drapeaux que pour célébrer l’Etat d’Israël
Initialement publié le 18 avril 2025
Yisrael Medad1 est un journaliste israélien né en Amérique. Il a fait son aliya en 1970 et a depuis occupé des postes clés dans la politique, les médias et l’éducation israéliennes.
Les observateurs des affrontements et des manœuvres qui se déroulent en Israël ces dernières années peuvent être perplexes face à la férocité de l’antagonisme et à la haine vicieuse affichés par les opposants à Benjamin Netanyahu. La situation a dépassé le simple désaccord sur les politiques comme dans d’autres pays, ainsi que les années passées ici en Israël. Au cours des dernières élections, des politiciens ont oscillé de la droite à la gauche et vice versa. Les universitaires et les figures culturelles sont divisés sur la manière de répondre aux ennemis arabes, soit en les apaisant, soit en les frappant. Cependant, l’animosité manifeste lors des manifestations et sur les nouvelles plateformes de bataille – les réseaux sociaux – est d’un ton constamment strident, péjoratif et, finalement, dangereux. N’oublions pas les fusées tirées sur la résidence privée du Premier ministre, l’un des tireurs étant un contre-amiral à la retraite, âgé de 63 ans, et un autre incident où, chez un leader éminent du groupe anti-Netanyahu Brothers in Arms, un petit stock d’armes a récemment été découvert.
Est-ce seulement de la politique ? Netanyahu peut-il être légitimement présenté comme un personnage autoritaire ? Les positions du Likoud sont-elles vraiment « extrémistes » ? Ou y a-t-il quelque chose sous la surface, peut-être psychologique ?
Peut-être qu’un vestige de disputes d’il y a des décennies réapparait comme des éléments d’une lutte d’une ampleur historique entre les camps du sionisme
Peut-être qu’un vestige de disputes d’il y a des décennies réapparait comme des éléments d’une lutte d’une ampleur historique entre les camps du sionisme. Je suggère qu’un bon point de départ pour examiner la compétition et l’antipathie se trouve dans un événement survenu durant la semaine de Pessah en 1933.
- Le 17 avril 1933, dernier jour de la fête de Pessah, plus de 500 membres de Betar descendaient la route Allenby à Tel Aviv à la fin d’un conclave du mouvement.
- En raison des tensions entre le camp révisionniste de Ze’ev Jabotinsky (Betar) et le parti Mapai de David Ben-Gourion (socialiste), une discussion avait eu lieu sur la réponse à donner à l’influence croissante de Betar lors d’une réunion de l’Exécutif de l’Histadrut (le plus grand syndicat d’Israël) le 28 mars 1933.
- Ben-Gourion avait proposé « une série d’actions, une plus militante que l’autre », comme l’a écrit le professeur Anita Shapira dans son article de 1981, « Le débat au sein de Mapai sur l’utilisation de la violence, 1932-1935 ». Bien que cela ait été rejeté, une atmosphère de violence initiée a pris possession des rangs.
- Lorsque les plus jeunes des marcheurs de Betar, âgés de 8 à 12 ans, ont atteint la rue Carmel, des bouteilles et des pierres ont volé des ruelles latérales et des toits. Comme l’a noté Shapira, « beaucoup d’enfants ont eu besoin de premiers secours ».
Le lendemain, le journal Davar a titré : « Tel Aviv exige : ‘Retirez les uniformes vile de Hitler parmi nous’ », à propos des chemises de mouvement de couleur brune, qu’ils prétendaient ressemblantes à celles des cadres allemands de la S.A.
C’est ainsi qu’a commencé une campagne systématique visant à justifier ce qui s’était passé. L’attaque a été décrite comme une éruption spontanée, et la responsabilité a été mise sur les Betarim eux-mêmes.
À la suite de la violence, Berl Katznelson a démissionné de son poste à l’Exécutif de l’Histadrut.
Une éditorial du 20 avril dans Haaretz a exprimé de la tristesse et des inquiétudes que ce n’était pas une « éruption spontanée imprévue ». L’auteur a noté que des tracts avaient été préalablement préparés et que « des bandes de poings » étaient prêtes à agir.
- Onze ans plus tard, le Palmach (gauche) a traqué et remis des membres d’Irgun (droite) aux Britanniques lors de l’opération Saison, et
- quatre ans plus tard, le navire d’armes Altalena a été bombardé sur ordre de Ben-Gourion.
Au début de novembre 1932, juste un semestre plus tôt, Jabotinsky a publiquement déclaré des mots prémonitoires :
« Le temps est venu de donner aux choses leur vrai nom : la prise de contrôle par les ‘gauchistes’ en Terre d’Israël conduira à des combats à coups de couteau entre Juifs eux-mêmes. Non seulement des combats, mais des combats à coups de couteau, et pour l’instant, je n’y vois aucune garantie que le processus s’arrêtera à l’utilisation d’armes froides. Cette prophétie a une sonorité désagréable ; mais il faudrait être un golem aveugle pour ne pas en douter. »
Trop de gens présument que les lignes de séparation entre le sionisme poursuivi par l’aile socialiste, qui a créé le syndicat Histadrut et le parti politique Mapai, avec une constellation d’autres factions plus marxistes, et le mouvement révisionniste de Ze’ev Jabotinsky, qui a évolué vers Herut puis le Likoud, et ses sections plus nationalistes, sont principalement centrées sur les politiques visant des forces extérieures.
Ces affrontements étaient nécessaires pour combattre le régime britannique durant les jours précédant l’État, et pour adopter l’approche appropriée face au danger présenté par le terrorisme arabe depuis cette période. Cependant, d’autres conflits intérieurs se sont manifestés sur des éléments domestiques tels que des préoccupations économiques et sociétales, idéologiques et pratiques.
En janvier 1925, Jabotinsky a publié un essai intitulé « La Gauche » et a ainsi commencé son différend, qui a perduré après sa mort jusqu’au début des années 1970, sur la question de savoir si le sionisme devait graviter autour des intérêts de classe ou des préoccupations nationales. Bien qu’il ait déclaré que « ceux que nous appelons ‘gauchistes’ pouvaient être les meilleurs des sionistes », il pensait qu’ils avaient tort dans leur approche.
Ce qui l’agaçait au départ (et le rendait presque désespéré) était l’insistance de Ben-Gourion et de ses camarades sur le fait que l’objectif principal du sionisme était une transformation économique du peuple juif, puis de s’engager dans un projet de « construction de la terre » et seulement ensuite, finalement, de créer un État juif.
Jabotinsky craignait que l’aile gauche n’assume une stature privilégiée et dominante. Et elle l’a fait.
Pour Jabotinsky, c’était « dangereux ».
Il insistait sur le fait que « notre tâche n’est pas de ‘construire la terre’ mais de transformer progressivement cette terre pour y établir une majorité juive ».
Pour lui, la voie du sionisme ouvrier était une « aberration ». Et pourquoi ? Ce qui se développerait, affirmait-il, était que les réalisations à petite échelle deviendraient l’objectif des efforts sionistes, et la vision globale serait repoussée à un futur lointain.
Pire, le complexe hégémonique multi-institutionnel en développement – du syndicat au fonds de solidarité en passant par le journal, la maison d’édition, les clubs sportifs, etc. – créait une hégémonie qui dominerait non seulement les entreprises pionnières mais également la supériorité dans les domaines social, diplomatique et politique. Quiconque n’appartenait pas au « camp » serait ostracisé, voire puni. Jabotinsky craignait que l’aile gauche n’assume une stature privilégiée et dominante. Et elle l’a fait.
Pour qu’un chalutz (pionnier) émigre vers le territoire sous mandat, un certificat était nécessaire. Ce certificat dépendait uniquement de l’humeur de l’Agence juive, qui délivrait ces certificats selon une « clé » injuste : les résultats des élections du Congrès sioniste. Et, ici et là, des protekzia (connections) intervenaient. Ce processus, à toutes fins utiles, était reproduit pour l’attribution d’opportunités d’emploi et le droit d’obtenir des terres à des fins agricoles.
Cette hégémonie dans le comportement s’est infiltrée dans la conscience civique israélienne sous la forme de l’expression « le livret rouge », signifiant l’appartenance au syndicat Histadrut. Sans cet objet précieux, on était mis à l’écart. Une ombre est tombée sur le Yishuv d’avant l’État, et ce qui s’est développé, notamment après l’afflux d’immigrants durant les cinq premières années de l’État en provenance de pays arabes, était une division entre la Première Israël et la Seconde Israël.
- Au départ, la fracture sociale reposait sur la division idéologique d’avant l’État entre le camp de Jabotinsky et celui de l’Histadrut.
- Après la fondation de l’État, ces non-Européens arrivés des États arabes se sont retrouvés, comme on l’a déjà décrit, dans une réalité où « la hiérarchie avait déjà été définie – et de surcroît, ils arrivaient sans aucun outil pour parvenir au pouvoir ».
Le terme « Seconde Israël » a été popularisé d’abord dans une série d’articles sur les conditions dans les camps de transition des immigrés dans Haaretz en 1951 et dans un discours du 8 octobre de Ben-Gourion cette année-là. Alex Weingrod a publié en 1962 un article dans Commentary intitulé « Les Deux Israël », et c’est lui qui a mis en avant l’imagerie de la hiérarchie des valeurs.
Le terme est réapparu lorsque le groupe de protestation des Pantères Noirs est devenu actif en 1970 et surtout après la victoire électorale du Likoud en 1977, fondée sur l’article de Shlomo Avineri en 1973 « Israël : Deux nations ? ». La Seconde Israël était une catégorisation socio-économique et culturelle de ceux qui étaient des nouveaux arrivants, principalement en provenance de pays du Moyen-Orient, vivant en périphérie. Ils étaient appelés Sépharades ou Mizrahim. Ils n’étaient pas occidentaux.
Selon Weingrod, la Seconde Israël est « récente, et ses origines se trouvent dans des terres musulmanes ; c’est l’Israël des villages yéménites et des villes de développement marocain, des bidonvilles de Tel Aviv et du vieux quartier kurde de Jérusalem ». Et la Première Israël ? C’est l’Israël des « premières générations d’immigrants européens – l’Israël des visions pionnières… les vieux kibbutzim, le nord de Tel Aviv à la mode et l’élite de Rechavia à Jérusalem ». Elle est basée sur « l’idéologie de l’agriculture collective et coopérative et de l’économie industrielle contrôlée par les travailleurs ».
Le fait est qu’un vaste réseau de pouvoir politique, économique, académique et culturel s’est enraciné et, dans une grande mesure, reste entre les mains des descendants de la génération fondatrice – des grands-parents aux petits-enfants et, désormais, aux arrière-petits-enfants. Ils constituent le noyau de la révolte des élites que nous avons observée ces deux dernières décennies.
Ils occupent les postes prestigieux dans l’armée, notamment l’armée de l’air, la première à refuser de servir durant la révolte contre la réforme judiciaire. Ils sont dans les médias, bien entendu, dans les universités, évidemment, dans toutes les administration et au gouvernement – l’Etat profond – et enfin, à la justice, la Cour suprême. Ils ont perdu toutes les élections depuis la fin des années 70, alors ils s’accrochent à ces postes de pouvoir afin d’imposer leur vision, leur politique, leur monde contre la volonté de la majorité des citoyens.
- Membre du conseil exécutif de Israel’s Media Watch, il a contribué à des publications majeures, dont The Los Angeles Times, The Jerusalem Post et l’International Herald Tribune. Lui et sa femme, qui ont cinq enfants, vivent à Shilo.
© Yisrael Medad