Tribune Juive

David Castel. 17 contre 12

17 contre 12

Une nation, ça ne se résume pas. Ça s’encaisse. Ça cogne. Ça surgit dans un cri ou dans un silence. Ce n’est pas un programme, c’est une douleur qui persiste, un amour qui ne meurt pas. Israël, ce n’est pas un titre de presse, c’est un battement. Et parfois, ça s’attrape dans un détail qu’on ne voit pas venir.

Un homme. Trente-cinq ans. Il sort acheter de l’eau. L’eau, rien que ça. Pas pour lui. Pour sa femme. Elle accouche. Il fait chaud. Août brûle les trottoirs. Il traverse la rue, simple comme une prière. L’arbre lui tombe dessus. Mort nette. À côté, elle crie pour donner la vie. Chambre 108, hurlement. Chambre 110, silence. Voilà Israël. Ce n’est pas une parabole. C’est une cadence. Une vie arrachée, une autre poussée. Une tragédie grecque sans les dieux, mais avec les vivants. Chez nous, le réel a des cernes sous les yeux. Il ne joue pas à l’équilibriste : il tombe et il recommence.

Et pendant que l’un meurt pour un litre d’eau, un autre déchire la piste, blessure ouverte sous les crampons. Blessing Afrifah. Dix secondes et neuf centièmes. Une giclée de vent. Un corps qui file, un pays qui suit. Vingt-six ans que le record tenait debout comme un vieux garde-frontière. Il tombe. Israël court. Pas pour fuir, pour rester vivant. C’est une course contre les chagrins qu’on n’a pas le droit d’avoir. Une course contre le monde qui ne veut pas voir. Une course contre le temps, ce vieux menteur.

Deux scènes. Une mort, une ligne d’arrivée. Entre les deux, un peuple qui ne veut pas choisir entre douleur et vitesse. Il prend les deux. Il serre les dents.

Et pendant qu’il pleure ses morts et fête ses sprinteurs, le monde l’observe, les mains dans les poches, chacun son jugement.

Le premier, regard sec, ferme les yeux sur Gaza. Pas par mépris. Par lucidité. Il voit les sacs de farine coincés au poste. Il sait pourquoi. Il a lu le manuel du Hamas. Il connaît la méthode : affamer pour régner. Il ne justifie pas, il comprend. Pour lui, la guerre n’est pas une option, c’est un piège. Il défend Israël même dans ses dérives, parce qu’en face, il voit pire : la haine qui, elle, ne dévie jamais. Il sait que la morale est une arme à double tranchant — et que dans ce coin du monde, on peut mourir du bon côté de l’histoire.

Le deuxième, lunettes embuées de vertu, ne voit que les ruines. Et dans chaque ruine, une preuve. Une preuve contre Israël. Le Hamas ? Une brume. Les otages ? Une gêne. Le blocus ? Une faute. Il ne regarde pas les roquettes, il regarde les résultats. Et les résultats, ce sont des photos. Des enfants. Des cris. Des corps. Il condamne. Fort. Il ne veut pas comprendre — il veut punir. Et dans ce procès, Israël est toujours coupable. Trop fort, donc forcément brutal. Trop debout, donc forcément oppresseur. Il ne cherche pas à sauver. Il cherche à accuser.

Le troisième hésite. Il cherche. Il doute. Mais ce doute-là est noble. Il ne veut pas que la faim soit une tactique. Il pense qu’on peut se défendre sans se perdre. Il aime Israël, mais avec exigence. Il rappelle que la force d’Israël n’est pas dans ses bombes, mais dans sa mémoire. Il veut qu’on nourrisse sans plier. Qu’on résiste sans se trahir. Ce n’est pas un pacifiste, c’est un frère. Il sait que le Hamas est un cancer, mais il sait aussi que toute guerre laisse des cicatrices sur l’âme.

Et puis, soudain, une surprise. Dix-sept pays arabes. Pas des ONG. Pas des universitaires en sarouel. Non : Le Caire, Doha, Riyad. Les Émirats, Bahreïn, la Jordanie, le Maroc, la Mauritanie, le Soudan, Oman, la Tunisie, le Koweït, la Libye, le Yémen, l’Algérie, le Liban, et même la Syrie, parfois à demi-mot. Le cœur du monde arabe. 

Des puissants. Qui disent : désarmement. Qui osent : Autorité palestinienne, pas kalachnikov. C’est un choc. Un vrai. Ils ont compris que nourrir le Hamas, c’est creuser leur propre tombe. Qu’il faut arrêter de pleurer sur les morsures quand on engraisse la bête. Ils parlent. Et leur voix, cette fois, n’a pas d’accent d’excuse. Ils nomment le mal. Le Hamas. Ils veulent l’extirper. Pas pour faire plaisir à Israël, mais pour sauver leur région. Parce qu’ils savent : tant que le Hamas tient Gaza, il n’y aura que des enterrements.

En face, douze pays. Les habitués du tribunal de l’Histoire. Le Nicaragua, l’Afrique du Sud, la Turquie, la Malaisie, l’Iran, l’Irlande, la Bolivie, le Venezuela, l’Indonésie, la Norvège, le Chili, la Colombie. Un bloc disparate, mais soudé dans l’accusation. Israël, toujours coupable. Peu importe l’ennemi, ils préfèrent juger celui qui vit. Ils dénoncent Israël comme on se dédouane. Le Hamas leur échappe, mais leur indignation voyage bien.

Et au centre de cette cacophonie, la France. La brume douce. Elle ne tranche pas. Elle murmure. Elle condamne, mais sans nommer. Elle soutient, mais à heures fixes. Elle parle de paix comme on parle météo. Elle veut deux États, mais pas trop vite. Elle n’aime pas les conflits. Elle préfère les conférences. Elle caresse le drapeau palestinien et serre la main israélienne. Mais ne veut pas dire qui a mis le feu. Paris, grande prêtresse du « en même temps ». La diplomatie en équilibre instable. Elle condamne le 7 octobre, mais sans exigence. Elle soutient le désarmement du Hamas, mais sans jamais lever la voix. Peur de heurter. Peur de perdre la pose.

Et pourtant, le monde change. Dix-sept pays qui disent la vérité. Douze qui préfèrent la vieille rengaine. Et Israël, seul, toujours debout. Il n’a pas demandé cette guerre. Elle s’est imposée. Il ne cherche pas à conquérir. Il cherche à respirer. À vivre. Dans un monde qui voudrait qu’il meure en silence.

Mais Israël court encore. Il trébuche. Il tombe. Il se relève. Il pleure. Il hurle. Il accouche dans un couloir, pendant qu’un arbre s’effondre. Il bat des records. Il enterre ses morts. Il tend la main. Il serre les dents. Il ne demande pas qu’on l’aime. Il demande qu’on le voie.

Et c’est peut-être cela, son vrai exploit : rester debout dans un monde qui voudrait le voir plier. Vivre, malgré tout. Vivre entier. Vivre lucide. Vivre pour transmettre. Vivre, parce qu’il ne peut pas faire autrement.

© David Castel
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