
J’ai découvert David Grossman en 1987, au moment de la première intifada.
Il était alors journaliste à la radio israélienne, et avait effectué toute une série de reportages dans ce qu’on appelle pudiquement « les territoires ».
Ces articles avaient été publiés et traduits en français dans un livre intitulé : « Le vent jaune ».
En hébreu : הזמן הצהוב
Ce qui veut plutôt dire littéralement : un temps jaune. Une expression pour décrire un vent mauvais, une ambiance empoisonnée, un air irrespirable. Ce qui régnait dans la société israélienne au moment de la « guerre des pierres » et de sa répression par Tsahal.
Grossman s’était rendu dans le camp de réfugiés palestiniens de Deheishei pour interviewer ses habitants.
Voilà ce que lui répondait une femme :
« Arafat est un bourgeois, il roule en Mercedes et il n’éprouve pas notre souffrance.
Nous sommes contre lui, car il veut la paix avec les juifs.
Nous, nous voulons une solution par la force. Ce qui a été pris par la force, nous sera rendu par la force. Seulement ainsi ! »
Grossman se tourne alors vers des enfants qui jouent à côté.
» _ Est-ce que tu sais qui ils sont les juifs ?
_ C’est l’armée.
_ Il y a d’autres juifs ?
_ Non.
_ Que fait ta mère ?
_ Elle travaille à El Qods ( Jérusalem ) pour les juifs. Elle nettoie leurs maisons.
Tout à coup, l’enfant prend un bâton en plastique et me vise.
_ Pourquoi me tires-tu dessus ?
_ Parce que je veux tuer des juifs ».
Et Grossman de conclure :
« Je suis là debout, à écouter, et je m’efforce d’être neutre. De comprendre, sans juger.
Mais je suis là aussi pour m’insurger contre cette éducation à la haine aveugle, contre cette colossale énergie gaspillée à nous haïr ».
…
Hier, David Grossman dans une interview au journal italien « La Repubblica » a affirmé :
« Maintenant, avec une douleur immense et le cœur brisé, je dois constater que ce qu’il se passe devant mes yeux, est un génocide ».
Au même moment, le Hamas et le Jihad islamique diffusaient des vidéos insoutenables de deux otages israéliens encore vivants.
Des squelettes, aux corps et à l’esprit brisés.
Le Hamas proclamait ainsi sa victoire sans condition, après la reconnaissance par la France et d’autres pays d’un état palestinien. La victoire du terrorisme sur les démocraties.
…
David Grossman est un grand écrivain, il connaît la signification de chaque mot, il est quelqu’un qui connaît parfaitement les habitants juifs et arabes de cette région.
Il a payé le prix du sang, son fils Ouri est mort au Liban.
Mais je dois dire, pour le paraphraser, avec une douleur immense et le cœur brisé, il m’a profondément déçu.
C’est un vent jaune qui parcourt en ce moment Israël et ces derniers mots de Grossman me l’ont rendu irrespirable.
© Daniel Sarfati