
© Fabien Clairefond
Un événement récent est passé inaperçu par les commentateurs, libres ou institutionnels, du judaïsme français. Il est pourtant de grande importance. Un congrès des partis de droite européens s’est tenu récemment à Vienne, en Autriche, pour critiquer la politique de l’Union Européenne au Moyen-Orient et lancer un appel au soutien d’Israël, notamment dans la perspective de la tenue de la conférence initiée par la France et l’Arabie saoudite, en coordination avec l’ONU, qui a pour but d’imposer un Etat palestinien et de criminaliser sur le plan international et légal les pays qui s’y opposeraient.
L’objectif de ce colloque était de créer « un front clair et uni aux côtés d’Israël » et « résolument opposé aux régimes islamiste », face à l’échec des élites de gauche qui, sous couvert de la lutte contre l’islamophobie, ont échoué à contrecarrer l’infiltration des islamistes dans l’Union Européenne. Les chiffres de l’antisémitisme publiés par le CRIF ont été évoqués comme éléments du tableau. Sur la foi de ce constat, un appel à un soutien ferme de l’Etat d’Israël, « la seule démocratie du Moyen Orient », a été lancé. C’est un homme politique belge, un des leaders du Vlaams Belang, parti d’extrême droite flamand, qui appelle à « rester solidaires avec la seule démocratie du Moyen Orient ».
Comment comprendre que cet appel n’ait eu aucun relais, même négatif, parmi les institutions juives européennes ou au sein du débat idéologique interne au monde juif ? Point n’est besoin de chercher trop loin : elles sont « sous influence », paralysées par la menace (d’excommunication idéologique) de la gauche, ou ce qu’il en reste, et de l’extrême gauche anarchiste et pro-islamiste, islamogauchiste pour tout dire, qui les accuse de « fascisme » dès qu’elles envisagent de nouer des alliances avec des partis de droite. L’effet Le Pen s’est étendu pour ainsi dire à tous les régimes démocratiques : USA, Europe, y compris Israël.
Comme les institutions juives n’ont pas de courage, elles se sont ainsi privées du soutien qu’elles auraient pu retirer de ce rapprochement pour s’inscrire à côté de forces politiques supposées morales, mais qui ne leur ont rien apporté dans leur combat.
Sur ce plan-là, la position adoptée par Serge Klarsfeld sur l’évolution du Front national était réaliste et politique, autre que « morale ». Il n’a pas été suivi par les institutions juives. Les partis excommuniés par la gauche néo-stalinienne (« Tout sauf le RN », « Tout sauf Bibi ») sont pourtant présents dans les Parlements, parfois en nombre comme le RN: les exclure (au nom de l’idée de démocratie ) relève de la politique de l’autruche. Ces partis ont été élus et sont membres du Parlement. Cette excommunication a au contraire paralysé la démocratie autant en France qu’en Israël et aux USA. La démocratie n’est pas qu’un idéal. Elle est aussi un régime dans lequel la légitimité trouve sa source dans l’élection. Dans cette recomposition du paysage politique et idéologique, la droite d’aujourd’hui défend une approche qui conjugue la défense et l’illustration de l’identité nationale, ce qui fut le cadre de la démocratie libérale d’après-guerre et de la défense de l’Etat d’Israël, dans la perspective du sionisme.
La question qui est posée est simple : est-ce que les Juifs diasporiques s’en sortiront en refusant le soutien d’alliés potentiels dont les intérêts coïncident au moins temporairement avec les leurs ? D’autant que ce refus a eu des conséquences catastrophiques, qui ont non seulement installé l’extrême gauche des LFI au Parlement mais aussi assuré leur influence suite aux désistements réciproques avec les candidats macronistes et de la droite classique, et ceux du PS, cette fois ci au nom, non plus du « barrage contre le fascisme » (c’est-à-dire le Front national) mais du « Front républicain » (le même barrage, du même parti « à la sauce » républicaine)
Il faut sortir de la passivité timorée dont les institutions juives ont fait montre aujourd’hui et « descendre dans la rue »
Il faut sortir de la passivité timorée dont les institutions juives ont fait montre aujourd’hui et « descendre dans la rue ». Si le drapeau palestinien (qui est à l’origine le drapeau du caliphat en route pour la domination du monde[1] ) a envahi les rues de l’Occident, il faudrait que les drapeaux israélien et français soient aussi en nombre dans toute manifestation et activité publiques, comme c’est le cas avec le drapeau palestinien.
Il faut, avant tout, se rendre compte de la gravité de la situation présente pour percevoir la nécessité d’adopter une attitude adéquate.
Je voudrais me recommander d’une expérience: Nous avons été quelques-uns en France qui avons vu venir dès ses prémisses le danger. Tout a commencé dans les années 1980 avec la « Deuxième intifada ». Pour les mettre en perspective avec aujourd’hui, je rappelle que nous sommes confrontés aujourd’hui à une « intifada globale ». J’avais créé ainsi, avec quelques chercheurs, un centre de recherches, « l’Observatoire du monde juif » (obs.monde.juif.free.fr), deux Revues : le Bulletin de l’Observatoire, Controverses (controverse.fr), publié 5 livres sur ce sujet : Quinze ans de solitude, Juifs de France 2000- 2015(Berg, 2015, 638 pages, La démission de la République : juifs et musulmans en France (PUF 2003), L’ébranlement d’Israël, Le Seuil (2002), Les frontières d’Auschwitz (Hachette 2005), L’avenir des Juifs de France , Grasset 2006…
« Nous avions fait un beau travail mais que tout était désormais dit sans que notre message ne soit parvenu à l’opinion publique«
J’ai mis un terme à ces travaux quand je me suis rendu compte, avec la publication du numéro 18 de Controverses (http://controverses.fr/Sommaires/sommaire18.htm), que nous avions fait un beau travail mais que tout était désormais dit sans que notre message ne soit parvenu à l’opinion publique. Je suis arrivé à la conclusion qu’il fallait changer de tactique et d’attitude pour être entendu par nos adversaires et les contrer.
Tout ce qui a été écrit et publié de ces travaux est toujours très actuel, comme si c’était hier. En d’autres termes, le fait de rechercher la vérité des choses, d’analyser, d’expliquer, de démontrer, c’est bien beau et intéressant, cela nous conforte mais c’est (quasi) totalement inefficace sauf peut-être pour nous conforter et nous renforcer dans notre détermination, ce qui n’est pas négligeable.
En d’autres mots, c’est de tactique qu’il faut changer: attaquer les positions des nouveaux antisémites plutôt que démontrer académiquement la justesse de la cause des Juifs comme nous l’avons fait. Les turpitudes de la « Palestine » et du monde arabo-islamique ne manquent pas qui sont ignorées du public et qui doivent être montrées sur la scène, en s’appuyant sur les forces idéologiques qui, en France, partagent les mêmes objectifs : défense et illustration de l’Etat-nation comme la seule forme possible de la démocratie et opposition à l’idéologie du post-modernisme qui retrouve l’héritage du stalinisme quand il s’imagine que son vis-à-vis est le « fascisme »…
[1] Il rassemble les couleurs de la dynastie hashémite (qui, aujourd’hui règne en Jordanie), et celles des trois empires islamiques qui ont dominé l’histoire arabo-musulmane à Bagdad, au Caire, à Damas, que le caliphat final rassemblera dans l’empire attendu à la fin des temps sous la gouverne du Caliph, tenu pour le successeur de Mahomet et le détenteur du pouvoir temporel.
© Shmuel Trigano
Shmuel Trigano est Professeur émérite des universités
Le site internet de Shmuel Trigano:
Fondateur de l’Université Populaire du Judaïsme
http://www.unipopu.org ; universitedujudaisme.akadem.org
Fondateur de la Revue européenne d’études juives, Pardès
http://www.inpress.fr/pardes-2/ ; http://www.cairn.info/revue-pardes.htm