
Jonathan écoutait. Patiemment. Douloureusement. Rien d’autre à dire. Surtout, rien d’autre à faire.
Confession, complainte ? En tout cas désespérance. Ce vieil ami, vétéran du siècle dernier, pour la première fois tête courbée, avait démarré son monologue, voix basse dans l’air du soir. Sans attendre avis, réponse, débat.
Confession, sans aucun doute. Il avait connu la fuite devant l’allemand, la traque, la peur. Par chance, l’abri dans un village indifférent mais accueillant, la cache dans une ferme du bout du monde. Il se souvenait du retour, en 1945. De cette découverte horrifiée, inassimilable, des camps de concentration. Fours crématoires, charniers, pelletées de cadavres, êtres humains décharnés, hagards. De l’incrédulité devant la révélation de la mécanique infernale industrialisée, rafles, camps, trains de la mort, tri, gazages. Enfants, femmes, vieillards. De la terrible interrogation. Comment une telle monstruosité a-t-elle pu être conçue, mise en œuvre , Comment a-t-elle pu être ignorée ? Du peuple qui en était responsable. Ignorée, acceptée ?
Question angoissante, jamais résolue. Qui, soudain résonnait en écho dans sa propre existence. Bien sûr, il n’ignorait rien de la dimension incomparable des situations. La volonté de rapprocher le nazisme, la guerre 39/45 du conflit Israël/Islamisme, guerre de Gaza, relève de l’antisémitisme le plus ignoble. Il est de ce point de vue bien persuadé de la nécessaire inversion des termes. Israël est la victime d’une volonté mortifère, le Hamas, le Hezbollah, les Houthis, leur commanditaire l’Iran, sont les nazis d’aujourd’hui. Il sait aussi que la machinerie de communication du Hamas, terriblement efficace internationalement, transfère sur Israël, très défaillant sur ce plan, l’abomination de ses propres comportements. Des boucliers humains au vol et au trafic de la nourriture, Du détournement d’argent à la préemption des structures de santé, d’éducation. De la création et du refuge d’une ville souterraine à l’abandon de la population civile dans la surface de guerre.
Mais il sait aussi que les médias israéliens, optant pour un silence assourdissant, ont occulté obstinément les informations et les images permettant une connaissance équilibrée de la situation de guerre. Participant au consentement tacite de la population israélienne de ne connaître que le versant interne de la dramatique en œuvre. Laissant ainsi, par voie de conséquence, se libérer sans contrainte la lie de haine sous-jacente de l’antisionisme, cache-sexe de l’antisémitisme mondiale séculaire. Favorisant la focalisation de la mise en accusation internationale sur ce conflit, exclusivement par rapport à d’autres affrontements existant, autant, souvent plus dramatiques.
Il connait dans ses tripes, l’angoisse brulantes de la quête des otages, l’affichage quotidien des visages des soldats tués ou blessés. Il sait la distorsions des faits que les réseaux déversent à la charge d’un Israël éternel accusé. Mais Il sait aussi. A Gaza, les bombardements incessants, les destructions, les blessés et morts civils, enfants, femmes, hommes de tous âges, le ballotage permanent, de zones à zones, de corridors à corridors dévastés d’une population en guenilles, la saga abjecte des camions humanitaires bloqués, détournés, volés. Il sait la liberté d’exaction laissée aux extrémistes religieux dans une partie des territoires occupé. Il ne sait que trop l’éloignement d’une société en guerre des principes moraux contributifs de sa création, de son développement.
Il sait que ce leader qui, de l’assassinat de Rabin à la mise au pouvoir de la radicalité religieuse, a conduit un détournement existentiel du projet sioniste, qui a sali ce pays d’une tâche difficilement effaçable, revivifié un antisémitisme mondial agonisant, qu’il ne lâchera son règne que contraint et forcé.
Il se souvient alors, dit-il, de cette revendication de Daniel Cohn-Bendit, en 1968, proclamant en défi, ‘’Je suis un juif allemand’’.
Et je me demande, la peur au ventre, si moi aussi, ici, dans d’autres proportions, je ne suis pas un juif qui sachant, a laissé faire, a abandonné une partie de soi-même.
Dans la nuit installée, Jonathan laissa le silence prendre sa place. Gravité et respect. Le temps de la réponse viendrait. Plus tard.
© Claude Meillet, Explorateur d’identité
« Jonathanitude »
Articles, signés Jonathan, traitant soit des évolutions de la société, soit particulièrement de la situation en Israël