Tribune Juive

Gaza et L’Opinion publique. Par Charles Rojzman

Gaza n’est plus une ville, ni même un champ de ruines: c’est un mot, une incantation, un miroir tendu à l’Occident

Il y a dans le monde une fatigue obscure, une lassitude des vérités, comme si l’Histoire elle-même s’était avachie dans l’obscénité des images et des slogans. Gaza n’est plus une ville, ni même un champ de ruines: c’est un mot, une incantation, un miroir tendu à l’Occident pour qu’il se contemple dans sa honte fabriquée. On parle d’Auschwitz, on parle du ghetto de Varsovie : mots trop grands, trop lourds, que l’on balance comme des pierres contre Israël pour se donner l’ivresse d’être du côté du Bien. Et dans ce vertige moral, plus personne ne veut voir ce que tout regard lucide sait : cette guerre n’est pas née d’un caprice israélien mais d’un projet islamiste qui n’a pas même pour horizon un peuple, mais une pureté religieuse, une disparition, un effacement.

J’entends les cris. Je vois les cadavres d’enfants, les visages couverts de poussière. Je ne les nie pas. Mais je refuse l’instrumentalisation. Ce n’est pas Israël qui les tue : c’est la guerre. C’est le Hamas qui les a livrés à la guerre. C’est l’idéologie qui a transformé les entrailles d’une ville en arsenal et ses habitants en boucliers vivants. C’est la logique millénaire de la haine qui sacrifie ses propres enfants pour faire plier l’adversaire et attend qu’une caméra transforme leur mort en arme politique. Gaza, c’est l’image avant le fait, le cri avant la pensée, le sang comme rhétorique.

On compare, on aligne les métaphores : Varsovie, Dresde, Raqqa, Mossoul. On oublie que l’histoire des guerres est toujours l’histoire des civils écrasés sous le poids d’une stratégie. Mais l’indignation n’a pas de mémoire. Ce qui était nécessaire à Raqqa devient génocidaire à Gaza. Ce qui fut glorieux à Dresde devient criminel à Khan Younès. Il n’y a pas de vérité dans cette balance : seulement un goût morbide pour la rédemption par procuration, ce vieux plaisir chrétien déplacé dans la bouche des laïcs.

Je regarde l’Occident parler de Gaza et je vois une civilisation qui ne croit plus en elle

Je regarde l’Occident parler de Gaza et je vois une civilisation qui ne croit plus en elle. Les mots ne servent pas à décrire, mais à s’excuser. Israël devient l’occasion rêvée de cette confession perpétuelle où l’Europe se lave de son passé en accusant un Juif debout. Le Juif qui se défend, qui refuse la place de victime, qui répond à la mort par la force : voilà ce que l’Europe ne pardonne pas. Auschwitz est devenu une religion ; Israël, son blasphème.

Et derrière ce théâtre, il y a la fatigue d’un monde qui n’a plus la force d’affirmer ce qu’il est. L’antisémitisme n’est plus un cri de haine : c’est une lassitude, un soupir collectif, un désir d’en finir avec ce rappel insupportable que l’Histoire est tragique et qu’elle exige de choisir. On maquille cette vieille pulsion dans les habits de l’humanisme, on parle de droits de l’homme pour ne pas dire la haine du Juif fort, du Juif souverain, du Juif vivant.

Alors, oui, Gaza est bombardée. Oui, des enfants meurent. Oui, c’est terrible. Mais ce qui est en jeu dépasse Gaza. Ce qui est en jeu, c’est la capacité de l’Occident à nommer ses ennemis, à défendre la civilisation qu’il prétend encore incarner. Et je le dis sans détour : ce n’est pas le Hamas qui détruira l’Europe. Ce sont ses propres élites, ces clercs du renoncement, qui transforment chaque guerre en procès contre nous-mêmes et qui, au nom de l’humanité, organisent patiemment notre effacement.

Il n’y a pas de neutralité possible. Il y a le réel et il y a le mensonge. Gaza est l’endroit où l’Occident choisit de ne plus voir le réel pour mieux s’aimer dans le mensonge. Et ce choix-là, aucun peuple ne l’a jamais fait impunément.

© Charles Rojzman

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