
Le gouvernement de Netanyahu patauge sur le plan militaire à Gaza et s’aliène le monde entier, ainsi qu’une grande partie d’Israël et de la diaspora juive
Au cours des premiers mois de la guerre entre Israël et le groupe terroriste palestinien du Hamas, divers responsables israéliens ont émis toutes sortes de propositions pour renforcer l’aide humanitaire à Gaza, alors même que Tsahal progressait lentement dans l’enclave pour affronter les 24 bataillons du Hamas.
Parmi ces idées figurait celle d’encourager plusieurs pays à déployer des hôpitaux flottants au large de Gaza, voire d’y faire participer des navires israéliens. La France et les Émirats arabes unis ont effectivement positionné des hôpitaux flottants à proximité, où des patients gazaouis ont été pris en charge. Une autre idée suggérait d’amarrer des bateaux de croisière près de la bande de Gaza pour servir de refuge temporaire aux personnes âgées ou malades, en pleine zone de guerre. Cela ne s’est pas concrétisé. Pas plus que la proposition consistant à larguer des colis d’aide humanitaire sur Gaza, accompagnés de photos des otages et de promesses de récompense contre toute information sur leur localisation.
Au lieu de cela, Israël s’est disputé en interne sur le montant de l’aide à fournir, et avec l’ONU sur les mécanismes de distribution et les moyens d’empêcher que celle-ci ne tombe entre les mains du Hamas. Bien plus récemment, il a interrompu les livraisons pendant 11 semaines à partir de mars, dans une tentative de faire pression sur le Hamas pour obtenir la libération d’autres otages, ce que le groupe terroriste n’était pas, et n’est toujours pas, disposé à faire tant qu’Israël ne s’engage pas à mettre fin à la guerre.
Israël a levé cette suspension à contrecœur en mai, lorsque la Fondation humanitaire pour Gaza, soutenue par les États-Unis et Israël, a commencé à opérer. Une initiative sans doute bien intentionnée, mais dans le cadre de laquelle des centaines de Gazaouis auraient été tués en tentant d’accéder à l’aide, nombre d’entre eux apparemment par Tsahal, dans un chaos presque quotidien.
Jusqu’à cette semaine, l’aide entrant à Gaza restait bien en deçà des niveaux observés avant mars. Israël a finalement accepté d’en augmenter sensiblement le volume, sous la pression croissante de la communauté internationale face à la dégradation de la situation humanitaire, aggravée par des rapports faisant état de dizaines de morts par famine et des images d’enfants émaciés. Aujourd’hui, le président américain Donald Trump, l’allié le plus fidèle d’Israël, a promis une implication accrue des États-Unis dans l’acheminement de l’aide. « On peut sauver beaucoup de gens », a-t-il déclaré lundi. « Je veux dire, certains de ces enfants – c’est une véritable famine, je le vois. On ne peut pas simuler ça. Donc nous allons nous impliquer encore davantage. »
WSJ chart on the dramatic reduction in aid to Gaza after Israel upended the UN’s aid distribution system pic.twitter.com/P3SBlvkLET
— John Hudson (@John_Hudson) July 29, 2025
Il en va de même pour la conduite générale de la guerre. La posture du gouvernement israélien se limite largement à des déclarations sans stratégie réelle. Le Premier ministre Benjamin Netanyahu affirmait encore en septembre qu’Israël était « à deux doigts de la victoire », et le ministre de la Défense Israel Katz menace régulièrement le Hamas de le précipiter en enfer s’il ne libère pas davantage d’otages. Mais ces déclarations spectaculaires restent sans réelle stratégie. Si les capacités militaires du Hamas ont été profondément affaiblies, le groupe continue de recruter et, surtout, il a échappé à la menace qu’il redoute le plus : l’instauration d’un régime alternatif à Gaza qui le remplacerait.
Netanyahu a toujours refusé d’envisager un rôle légitime pour l’Autorité palestinienne (AP), dirigée par Mahmoud Abbas, dans la gouvernance de Gaza. Il l’accuse de partager les objectifs d’élimination d’Israël du Hamas, sous couvert d’une volonté apparente de coexistence destinée à tromper la communauté internationale. Il rappelle également que l’AP a été brutalement évincée de Gaza par le Hamas en quelques jours, en 2007.
En réalité, seules trois options se dessinent pour « l’après-guerre » à Gaza : le scénario inacceptable d’un Hamas restauré dans l’intégralité de son pouvoir, sans contrepoids et toujours résolu à anéantir Israël ; une occupation israélienne totale pour une durée indéterminée ; ou un mécanisme de gouvernance internationale, avec un rôle de supervision des États-Unis et la participation d’acteurs régionaux. Cette troisième voie repose toutefois sur l’existence d’une composante palestinienne légitime au moins en apparence, à savoir, l’AP, faute de quoi les autres acteurs seraient perçus comme de simples puissances dominantes sans légitimité.
Les dirigeants des partis d’extrême droite Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir, sans lesquels la coalition de Netanyahu tomberait, défendent depuis longtemps, et ouvertement, la deuxième option. Cette semaine, alors que circulaient de nombreuses informations non confirmées selon lesquelles le gouvernement envisageait une occupation totale de Gaza (où Tsahal affirme contrôler actuellement 75 % du territoire) et réfléchissait aussi à une possible annexion, Smotrich a déclaré mardi que Gaza était « une partie indissociable d’Israël » et exigé la reprise massive du projet d’implantations dans l’enclave – d’où Israël avait évacué, il y a vingt ans, entre 7 000 et 8 000 résidents dans le cadre du désengagement unilatéral.
Il a reconnu avoir été raillé pour être resté au gouvernement malgré l’augmentation de l’aide humanitaire, alors même qu’il avait promis à plusieurs reprises de quitter la coalition si cela devait arriver. Il s’est néanmoins justifié d’une manière pour le moins préoccupante, affirmant qu’il aurait « apparemment, des raisons de croire que de bonnes choses vont se produire ».
Alors que Tsahal est sous pression comme jamais après près de 22 mois de guerre, et que Netanyahu fait tout son possible – y compris écarter le président de la commission des Affaires étrangères et de la Défense de la Knesset – pour éviter que des dizaines de milliers de jeunes ultra-orthodoxes pourtant aptes au service militaire ne soient enrôlés, on voit mal comment l’armée pourrait maintenir une occupation totale de Gaza et relancer parallèlement le programme d’implantations. Mais nul doute que Ben Gvir, le voyou multirécidiviste qui dirige la police, et Smotrich, le suprémaciste juif que Netanyahu a promu à un poste ministériel au sein du ministère de la Défense, ont quelques idées en tête. (Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la Knesset a voté la semaine dernière, à une écrasante majorité, une motion non contraignante appelant à l’annexion de la Cisjordanie.)
Les alliés régionaux et internationaux d’Israël, en revanche, n’ont de cesse toujours exhorté Israël à travailler avec eux pour mettre en œuvre la troisième option d’un mécanisme international de gouvernance à Gaza, incluant une AP étroitement encadrée, sans aucun rôle pour le Hamas. Lors d’une réunion des Nations unies (ONU) mardi, les pays arabes et musulmans ont condamné l’invasion et le pogrom perpétrés par le Hamas dans une déclaration conjointe sans précédent. Ils y appellent notamment le Hamas à déposer les armes et à libérer tous les otages, dans le cadre d’un appel à mettre fin à la guerre à Gaza et à progresser vers une solution à deux États au conflit israélo-palestinien.
Un drapeau israélien flotte sur un char de combat déployé à un poste situé le long de la frontière entre la bande de Gaza et le sud d’Israël, le 29 juillet 2025. (Crédit : Jack GUEZ/AFP)
Dans l’état actuel des choses, le gouvernement dirigé par Netanyahu est en train de s’enliser militairement à Gaza et de s’aliéner le monde entier, ainsi qu’une grande partie de la population israélienne et de la communauté juive mondiale, par sa gestion des civils gazaouis : leur alimentation, leur bien-être, leur avenir.
Netanyahu prend ses distances du bout des lèvres avec des ministres d’extrême droite comme Amichay Eliyahu, qui appellent à « rayer Gaza de la carte », tout en les maintenant à leur poste. Il ne s’oppose pas aux appels de Smotrich et Ben Gvir en faveur de nouvelles implantations juives et de l’annexion de Gaza ; il semble même de plus en plus enclin à les suivre. Il continue d’adhérer au plan proposé par Trump en février, qui visait à forcer tous les Gazaouis à quitter le territoire – un plan que même Trump ne défend plus aujourd’hui.
Tous les alliés autoproclamés d’Israël ont publiquement exprimé leur indignation face aux signes de malnutrition à Gaza et aux morts quasi quotidiennes de civils tentant simplement d’accéder à l’aide alimentaire. Tous réclament désormais une fin urgente de la guerre. Et presque tous expriment désormais leur soutien à un État palestinien, une perspective à laquelle s’opposent les Israéliens bien au-delà de la base de Netanyahu, et ce plus que jamais depuis le pogrom perpétré le 7 octobre par le Hamas – une attaque monstrueuse lancée contre Israël depuis un territoire où Israël n’avait aucune présence ni revendication, dans le but avoué et proclamé de détruire Israël.
Le choix d’Israël d’utiliser l’aide humanitaire comme levier pour faire pression sur le Hamas, combiné aux images et vidéos en provenance de Gaza, qui ont même convaincu Trump que la famine y est bien réelle, ont, ces derniers jours, fait chuter encore davantage la position d’Israël sur la scène internationale. Le pays est désormais perçu comme un véritable paria, dirigé par un gouvernement que même ses alliés les plus proches ne jugent plus capable de mener une guerre dans le respect des droits. Au sein même d’Israël, comme dans la diaspora, l’angoisse, la division et les critiques ne cessent de croître.
Le Hamas a déclenché la guerre il y a près de 22 mois avec son invasion non provoquée au cours de laquelle ses terroristes ont assassiné plus de 1 200 personnes – pour la plupart des civils – dans une déferlante de violence d’une cruauté extrême, marquée par des meurtres de masse, des actes de torture, des viols, et des incendies volontaires. Ils ont enlevé 251 otages, dont 50 sont toujours détenus dans l’enclave, ont transformé Gaza en bastion terroriste, et ont cyniquement instrumentalisé leur propre population en la réduisant au rôle de bouclier humain et de levier de propagande. Et malgré cela, aujourd’hui, c’est Israël qui est perçu comme le principal coupable. Les dégâts causés sont d’ordre générationnel.
Seul Trump n’a pas encore apporté son soutien aux partisans de la création d’un État palestinien, qui comptent désormais deux nouveaux membres permanents du Conseil de sécurité : la Grande-Bretagne et la France. Il s’est néanmoins montré indulgent mardi, lorsqu’il a concédé que Keir Starmer et Emmanuel Macron avaient le droit d’avoir leur opinion, ajoutant que « ce n’est pas grave. Cela ne signifie pas que je suis d’accord ».
Trump promet désormais que les États-Unis vont intervenir pour renforcer l’aide humanitaire à Gaza. Et il réclame avec insistance une fin urgente de la guerre.
Il est plus que temps que Netanyahu, inconstant sur la question de l’aide à Gaza, indécis sur les termes d’un accord de cessez-le-feu en échange de la libération des otages, prenne enfin une décision.
Adoptera-t-il, certes tardivement, la moins mauvaise des mauvaises options pour mettre fin à la guerre : un accord pour récupérer tous les otages possibles, assorti d’une volonté de mettre en place un mécanisme international et régional dirigé par les États-Unis, afin de reconstruire une Gaza non menaçante, au prix d’un rôle étroitement supervisé pour l’AP, certes profondément problématique, mais sans aucun rôle pour un Hamas désarmé et supplanté ? Une telle démarche permettrait aussi de réduire la pression diplomatique – et potentiellement économique – croissante en faveur d’un État palestinien selon des conditions qui récompenseraient le Hamas et menaceraient à nouveau Israël.
Ou bien, après avoir déjà fragilisé le caractère judiciaire et démocratique d’Israël, est-il résolu à lancer une occupation longue, intenable et insoutenable de Gaza, qui accentuera l’isolement d’Israël et le transformera en un État élargi à la composante juive déclinante – soit l’échec total de la vision sioniste d’un Israël juif et démocratique ?
© David Horovitz
