Tribune Juive

David Castel. Laisse de velours

Laisse de velours

Tout commence par un compliment. Pas un cri. Pas un ordre. Un mot doux. Un sucre sur la langue. « Généreux », qu’ils disent. Et voilà le bras qui se tend. La main qui donne. Sans qu’on l’ait levée.

On ne frappe plus les peuples, on les flatte. On ne dit plus « obéis », on dit : « tu es quelqu’un de bien ». Et le type obéit, fier d’être ce quelqu’un. Fier comme un chien qui rapporte la baballe.

Pas besoin de coup de matraque, le mot suffit. Le mot est propre. Le mot est chaud. Le mot anesthésie. Il caresse en pénétrant. Et quand il est bien huilé, il vous fait tuer votre frère avec le sourire.

Les slogans, maintenant, sentent la lessive. Les chaînes sont invisibles. La guerre se fait avec des logos. On vous donne un t-shirt éthique, une cause noble, une victime bien découpée, un bourreau prêt à l’emploi. Et vous signez. Vous relayez. Vous condamnez. Automatique.

C’est cela, la modernité : l’idéologie sous anesthésie locale. La haine enrobée de tendresse. Un petit mot collé au bon endroit. Une larme bien placée sur une image floue. Le meurtre devient humanisme. La terreur devient justice.

Israël ? Trop vivant. Trop armé. Trop sûr de son nom. Il gêne. Il casse la mise en scène. Il ne se laisse pas enterrer proprement. Alors on le salit. On le confond. On l’étouffe sous les adjectifs.

« Violent », qu’ils disent. Parce qu’il se défend. « Colon », parce qu’il vit. « Goliath », parce qu’il ne pleure plus à genoux. On inverse les rôles. On retourne l’Histoire. On repeint la mémoire couleur victime.

Dans les écoles, Jérusalem est nulle part. Dans les journaux, Gaza est partout. On pleure sur les cadavres filmés, pas sur ceux qui sont démembrés hors caméra. On aime la mort quand elle est télégénique.

Les entrepôts sont pleins, les estomacs vides. Les bombes tombent, les caméras cadrent. Le photographe attend. Le drapeau est prêt. L’enfant meurt deux fois : une fois pour la guerre, une fois pour le storytelling.

Et pendant ce temps-là, Israël largue de la farine entre deux sirènes. Il ouvre un couloir humanitaire entre deux roquettes. Il tend la main, encore, ridicule, à ceux qui la mordent. Il pleure ses enfants, en silence, pendant que le monde crie pour d’autres, plus photogéniques, plus utiles.

Car leurs morts sont utiles. Ils le savent. Ils les montrent. Ils les posent. Ils les vendent. Et vous achetez. Vous signez. Vous vous indignez — proprement, comme il faut.

Personne ne demande où sont passés les otages. Ni pourquoi les hôpitaux sont devenus des dépôts d’armes. Ni pourquoi l’UNRWA travaille en garde partagée avec le Hamas. Trop compliqué. Trop risqué. Mieux vaut une image. Un hashtag. Un frisson moral.

Pendant ce temps, le vieux piège refait surface. On ressort le mot magique : « sioniste ». Ce n’est pas « juif », bien sûr que non, voyons. C’est plus moderne, plus poli. Plus acceptable dans un dîner. Ça ne gratte pas. Ça glisse. Comme le reste.

Mais la méthode est vieille. Les blouses blanches. Les procès truqués. Les tracts soviétiques. Le vernis change. Le poison reste.

On nous parle d’occupation. Ils oublient Rishon LeZion. Ils oublient les achats de terres. Ils oublient que le mot « Palestine » n’avait ni monnaie, ni drapeau, ni capitale. Ils oublient que Jérusalem était ottomane. Ils oublient que même la haine d’avant disait : « va voir à Jérusalem si j’y suis ».

Ils oublient que le sionisme n’est pas une conquête. C’est un retour. Une langue ressuscitée. Une colline. Un deuil. Un mot dans la gorge du monde, qui ne passe pas.

Alors ils gomment. Ils redessinent. À la télé, à l’école, dans les dicos. Le crime, aujourd’hui, est un glissement lexical. Le mensonge n’explose plus. Il s’imprime.

On vous dit : Israël tue. Et vous croyez. On vous dit : complexe. Vous nuancez. On ne vous dit pas : il a été attaqué. On vous dit : il a trop riposté. On ne vous dit pas : c’était le 7 octobre. On vous dit : c’est le 8.

Un mot. Un regard. Un silence. Et vous condamnez.

Et pendant ce temps, l’armée d’Israël tente. Mal. Mais elle tente. Elle tombe. Se relève. Justifie. Encore. Toujours. Comme un gosse puni pour avoir trop crié alors qu’on l’étranglait.

Le monde, lui, s’émeut. Pleure. Très fort. Mais pas pour tout. Seulement pour les morts bien cadrés. Seulement pour ceux qui sont du bon côté de la caméra.

Et le vrai crime, le seul ? Être vivant. Armé. Juif. Debout.

Alors il faut parler. Non pas hurler. Parler. Poser les mots. Les vrais. Les durs. Les anciens. Nommer. Enseigner. Nommer encore. Jusqu’à ce que le bruit se taise. Jusqu’à ce que la vérité s’entende.

Parce que leur compliment est une laisse. Leur silence, une gifle. Et leur slogan, un poison.

Et si guerre il y a, qu’on la mène avec les mots. Les nôtres. Ceux qu’on nous a volés.

Et qu’on y colle une étiquette, tiens.

Pas « colon ». Pas « oppresseur ». Pas « agresseur ».

Juste : vivant.

© David Castel
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