Tribune Juive

Daniel Sarfati. Extraits de la lettre ouverte d’Isabelle Barbéris, universitaire, au très BDSophile Tiago Rodrigues, directeur du Festival d’Avignon

Extraits de la lettre ouverte d’Isabelle Barbéris, universitaire, au très BDSophile Tiago Rodrigues, directeur du Festival d’Avignon. 

Paru dans le magazine « Marianne ». 

« Cette année, le détournement des moyens de communication du festival (la « déclaration d’Avignon », mais aussi les posts sur les réseaux sociaux utilisant la charte graphique du festival) pour appuyer un appel doloriste de soutien à Gaza m’enfonce dans le malaise – et je n’ai pas pu m’empêcher (peut-être en faisant un raccourci, mais les slogans n’aident pas à cultiver la pensée complexe !) de me remémorer vos envolées lyriques en faveur du mouvement BDS ( mouvement de boycott d’Israël ) avant votre nomination. 

Un slogan, c’est toujours trop court, surtout au regard d’une situation éminemment complexe et sous tension. 

Un slogan, c’est sans doute aussi le contraire du théâtre. 

C’est quelque chose qui cloue chacun dans ces certitudes, et qui simplifie la vision du monde. Et puis, tous les publicitaires vous le diront, un slogan, c’est fait pour séduire, pas pour changer le monde, encore moins pour réparer la souffrance. 

Ce slogan, c’est la défaite de votre programmation, où vous donnez la parole à de nombreux artistes palestiniens.

Je ne puis croire un instant que vous ayez cru « changer quelque chose » au Moyen-Orient en transformant Avignon en campagne d’affichage. D’ailleurs, j’ai encore suffisamment d’estime pour les artistes pour ne prêter à quiconque d’entre eux la naïveté de croire qu’ils vont changer quelque chose à coups de postures d’indignation à Cannes, à Avignon, et dans n’importe quel avant-poste de la culture pour privilégiés. 

On les connaît, les « Je fais « glouglou » je fais « miam miam » Je défile, criant « paix au Vietnam ! » parce qu’enfin j’ai mes opinions », chantés par Brel dans les Bonbons 67… chanson sur laquelle danse Anne Teresa de Keersmaeker et Solal Mariotte cette année, dans votre festival.

C’est aussi un détournement de votre nouvelle mission car si, en tant qu’artiste, rien ne s’oppose à l’étalage de vos convictions, ce n’est pas le rôle du directeur d’un grand festival public. 

Ce que vous êtes devenu. 

Pourquoi me direz-vous ? 

Mais parce que votre rôle n’est pas de nous convertir en militants, mais en spectateurs. Parce que votre rôle est de faire venir un public coupé du milieu de l’art, aigri à force de mépris et de leçons de morale, au théâtre, au lieu de le conforter dans son vote RN en agitant des slogans. 

Votre rôle tout simplement, c’est de créer du désir pour la culture, et on ne crée pas du désir en l’emballant dans un emballage politique.

On crée du désir en laissant de la liberté, en laissant venir, en faisant confiance à son art, à la magie de la scène, pas en brandissant une pancarte. À l’exception de ceux qui recherchent l’autosatisfaction (et c’est vrai qu’ils sont nombreux !), personne ne va voir une pièce de théâtre ni ne fréquente un festival parce qu’il se reconnaît dans « la cause défendue ». 

On y va pour découvrir, et pour rendre cette découverte possible, désirable, il faut accepter de retirer les slogans de vos frontons. Le temps du suspensif. Laissons l’art être encore un espace de désir, et non de captation.

L’extrême droite que vous combattez se nourrit de la haine de la culture : il vous appartient de vous poser toutes ces questions avec un peu de rigueur. 

De mettre en balance votre éthique de la conviction (encore une fois, je ne pénètre pas les cœurs) avec votre éthique de la responsabilité. 

Comme celle de l’après-guerre, la France d’aujourd’hui est coupée en deux comme un corps vivant – je paraphrase une expression de Paul Claudel, que l’on pourrait appliquer à toutes les démocraties déchirées par la polarisation. C’est cette France fragmentée que Vilar chercha à réparer et réconcilier, en créant un art suspensif et citoyen, que chacun pouvait habiter de son imaginaire. 

Il est possible, sans verser dans l’unanimisme béat et dépolitisé, de veiller à ne pas aggraver la blessure de plus en plus purulente ».

Pour résumer, Tiago Rodrigues c’est le contraire de Jean Vilar, créateur du festival d’Avignon. 

Vilar voulait unir tout un public dans l’amour de l’art et du théâtre. 

Rodrigues pratique un militantisme qui exclut.

© Daniel Sarfati
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