Comment ne pas penser que le Hamas exulte aujourd’hui ? Pour l’historien, la décision d’Emmanuel Macron de reconnaître l’état palestinien intervient au pire moment

© Fabien Clairefond pour Le Figaro
SIPA / © Nicolas Messyasz
Le timing de l’annonce d’Emmanuel Macron vous a-t-il surpris?
Les otages n’ont pas été libérés, Le Hamas n’a pas été désarmé, et il n’y a eu à ce jour aucune reconnaissance de l’état d’Israël par son environnement arabe, à l’exception bien sûr de l’Égypte et de la Jordanie. Pourquoi cette reconnaissance maintenant alors qu’une telle décision aurait dû clôturer un processus de paix et non l’ouvrir ? On peut certes invoquer la volonté d’un président démonétisé d’exister après sa dissolution manquée. On hésite sur les motivations entre l’espoir d’enclencher une dynamique positive et des considérations narcissiques, qui ne sont pas à exclure de la part d’un homme qui laisse un État en faillite et une société traversée par une guerre civile à bas bruit.
Netanyahou estime que la position française « récompense la terreur ». Partagez-vous sa crainte ?
Comment ne pas penser que le Hamas exulte aujourd’hui, alors qu’il est écrasé militairement mais qu’il ne libère pas les derniers otages et continue à terroriser sa population en la mitraillant autour des points de ravitaillement humanitaire, faisant en sorte d’imputer à l’État juif le bilan de ses victimes ? Cette inversion de réalité est un chef-d’œuvre du genre. Ou comment une bande de massacreurs génocidaires et devenu une organisation de résistance. Et un État engagé dans un combat existentiel est mué en « affameur génocidaire ». Chapeau bas devant une manipulation des esprits qu’auraient apprécié à sa valeur les appareils de propagande nazie et communiste d’hier.
Et comment le Hamas ne crierait-il pas victoire ? Obtenir la reconnaissance d’un état de Palestine après le 7 octobre, comme si le 7 octobre l’avait permis. Pour nombre d’esprits, hélas, le raccourci s’imposera. Cette reconnaissance isolée casse la solidarité du G7 et risque d’être un coup d’épée dans l’eau. L’Espagne et l’Irlande ont reconnu l’État de Palestine : en quoi cela a-t-il fait avancer le processus de paix ?
La lettre de Macron est adressée à Mahmoud Abbas. Mais le président de l’Autorité palestinienne est-il encore légitime ?
Monsieur Abbas est certes déconsidéré aux yeux de l’immense majorité des Palestiniens, mais pour l’instant il est la seule autorité légitime. À qui d’autre monsieur Macron pouvait-il adresser sa lettre ? Le seul point positif de l’affaire est de mettre en lumière l’absence de stratégie politique de Monsieur Netanyahu. Une victoire militaire sans vision politique conduit à l’enlisement, et c’est aujourd’hui le risque que fait prendre ce gouvernement, minoritaire dans l’opinion, à l’armée d’Israël. Une partie de l’état-major de Tsahal conteste d’ailleurs cette absence de perspective politique. Quand le Hamas sera écarté et le territoire démilitarisé, la reconstruction de la Palestine passera nécessairement par des élections libres sous supervision de l’Égypte, de la Jordanie, de l’Arabie saoudite, des États-Unis et d’Israël.
La solution à 2 États a-t-elle encore une chance de voir le jour ?
Je rappelle qu’elle est préconisée depuis 1937 et la Commission britannique Peel, et qu’elle a été refusée à six reprises par la partie palestinienne. Parce qu’accepter l’État palestinien, c’est accepter le partage et donc reconnaître l’État d’Israël. De là, le slogan « From the river to the sea, Palestine will be free » [« De la rivière à la mer, la Palestine sera libre », NDLR] : non pas un État palestinien à côté de l’État juif, mais à sa place.
Pouvez-vous concevoir un État négociant avec ses éradicateurs, dont la Charte (1988, révisée en 2017) déclare explicitement qu’elle entend purifier cette terre de la pourriture juive [sic] ?
Il n’y a rien à négocier avec des génocidaires qu’approuve aujourd’hui encore une large partie de la société palestinienne de Cisjordanie qui adhère au Hamas et où les partisans du compromis sont, hélas, minoritaires.
En se retirant du Sud-Liban en 2000 puis de Gaza en 2005, Les Israéliens ont laissé prospérer le Hezbollah au nord et triompher le Hamas au sud. Il paraît difficile de demander aujourd’hui aux Israéliens un retrait qui placerait Tel-Aviv et les centres vitaux de leur pays à 15 km de la frontière du futur État palestinien. Désignez-moi un État acceptant de bon cœur le suicide ? C’est pourquoi les massacres du 7 octobre ont ruiné, au moins pour quelque temps, une perspective à 2 États. L’Occident, qui s’évertue à la proposer comme un mantra, oublie que la partie arabe l’a toujours refusée.
Propos recueillis par Victor Lefebvre pour le JDD