Tribune Juive

Stéphane Rozès. Ce que révèle l’Affaire Vallaud Belkacem-Moscovici

L’affaire Vallaud-Belkacem–Moscovici, au moment où ce dernier justifie la purge imposée aux Français face au déficit, ne vaut pas tant par les personnalités politiques en cause, assez communes, que par ce qu’elle révèle du moment que nous traversons.

Les historiens seront sidérés par cette longue et « étrange défaite » que nous connaissons dans un relatif silence.

C’est sans doute le signe de l’accumulation des problèmes, de la fatigue démocratique et d’un fatalisme politique momentané que le républicain et patriote ne peut qu’observer, accablé.

Mais de quoi s’agit-il, à travers l’arrivée de l’ex-ministre socialiste de l’Éducation à la Cour des comptes, de façon discrétionnaire ?

D’un arrangement politique entre amis, pour des raisons de convenance personnelle et politique, au moment où les travailleurs français, les retraités et les patients sont appelés à payer lourdement les fautes des gouvernants de droite comme de gauche.

Mais surtout des effets délétères de l’entre-soi social au sein des élites et des classes dirigeantes, de leur déconnexion du réel et de leur lien avec le peuple français.

Le président de la Cour des comptes, en charge de contrôler l’utilisation des fonds publics et de contribuer à l’évaluation des politiques publiques, a été durant des décennies aux plus hautes responsabilités économiques en France et dans l’UE, comme ministre et Commissaire, sans avoir jamais travaillé dans une entreprise — a fortiori dirigé une.

Il a appris l’économie dans les livres. S’il en avait été autrement, il saurait que la compétitivité et l’harmonie d’une entreprise comme d’un pays résultent de la cohérence entre sa culture, son type d’organisation, sa vision et son projet incarné par un dirigeant.

Il saurait que les comptes publics désastreux de la France — qu’il constate pour proposer des politiques de rabot, en même temps que la dégradation des services publics — viennent des directives de l’UE qu’il a énoncées et transposées à Paris, puis à Bruxelles, dont il a été un artisan zélé et somnambule.

Cette transposition par l’État des directives d’une Union européenne néolibérale, post-nationale, est contraire à l’imaginaire, aux façons de voir, d’être et de faire de la nation, ainsi qu’à ses intérêts.

Il en est résulté une résistance du réel, du corps national.

Les technocrates croyaient appliquer des politiques rationnelles et économes, mais leur inculture de ce qu’est réellement l’économie les a menés à détruire la cohérence entre compétitivité économique et efficacité sociale de notre modèle.

Ils pensaient contrôler par le haut, alors que le cours des choses procède du bas, des représentations et des conduites des Français.

C’est un peu comme si l’on mettait des gendarmes partout au bord des routes tout en retirant les panneaux de signalisation.

Alors, à des procédures et structures nouvelles de gouvernance, de contrôle et d’organisation du sommet de l’ Etat contraires à notre modèle répondaient, en réaction, retour de bâton du réel, d’autres structures procédant du bas, du corps national, de ses territoires, entraînant empilement d’organismes, organisations dysfonctionnelles et dépenses publiques dispendieuses.

Privé de souveraineté nationale, le pays était livré par les politiques à des comptables, inspecteurs des finances, dépourvus de toute vision stratégique et incapables de distinguer le court, le moyen et le long terme, les dépenses et l’investissement.

Résultat : nos services publics se sont dégradés, notre compétitivité économique s’est effondrée, et nos comptes publics sont dans le rouge.

Cela n’empêche en rien ces pompiers pyromanes de continuer, avec arrogance, à faire la leçon aux Français, et de distribuer d’autant plus leurs potions amères et politiques du rabot qu’ils se sont mis bien à l’abri aux frais de la République.

Quant à l’ancienne ministre de l’Éducation, elle a participé à l’affaissement de l’école de la République, par idéologie et gauchisme sociétal, en jouant de tous les ressorts de la communication politique et morale.

Néolibéraux de gauche et néolibéraux de droite, au sommet de l’État, auront mis la France à genoux en trente ans, et se montrent d’autant plus intraitables qu’ils sont irresponsables et mis à l’abri.

Ils qualifient de populistes ceux qui constatent leurs dégâts et s’accablent de leurs comportements : les Français qui se demandent comment ils finiront leurs fins de mois, pourront se loger convenablement, se soigner, ou faire étudier leurs enfants dans de bonnes conditions pour travailler dignement et utilement pour la collectivité. Seraient populistes, les citoyens qui interpellent le politique.

La République tient, au sein de la nation, par ses serviteurs du quotidien : ses fonctionnaires de terrain, ses paysans, ouvriers, employés, chefs d’entreprise, cadres.

Les Français aspirent à une renaissance de notre pays.

La condition en est qu’ils soient à nouveau maîtres de leur destin par le retour de la souveraineté nationale, condition de la souveraineté populaire et de la démocratie.

Alors, à nouveau, le modèle français régénéré pourra répondre aux défis qui l’attendent au sein de l’Europe des nations — celle de Mendès et de de Gaulle — pour retrouver sa place dans l’Histoire.

© Stéphane Rozès

Ancien DG de l’Institut CSA, Stéphane Rozès est essayiste. Dernier ouvrage paru, entretiens avec Arnaud Benedetti: « Chaos, essai sur les imaginaires des peuples ». Octobre 2022
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