Claude Meillet. « Clair-Obscur »

« L’obscure clarté qui tombait des étoiles », le vers du Cid revenait en mémoire à Jonathan. Faisant écho à la formulation du reproche que venaient lui adresser son neveu et sa copine de promo. Vous nous laissez en plein ‘clair-obscur’ – Vous ? – Vous, votre génération, nous, notre génération. La copine, chevelure rousse affirmative à l’appui, précisant, magnanime, c’est un constat, pas un reproche. Pris à froid par ce pseudo constat, il ne lui restait plus comme défense, que la contre-attaque. Il les mit au pied du mur. De quoi parle-t-on? Politique, société, la  planète, les idéologies…. ? De tous, mon général, répondit sans ciller, son habituellement si tempéré neveu. Qui sans hausser son ton, avec une tranquille certitude lui proposa de lui en faire démonstration en trois temps. Pour justement clarifier les choses, ajouta la jolie rousse. Un beau duo de procureurs pour un trio d’accusation, se dit Jonathan, maintenant prêt à tout.

« Dans ce ‘clair- obscur’, naissent les monstres ». Gramsci

« La crise, c’est quand le vieux monde est en train de mourir et que le nouveau monde tarde à naître. Dans ce ‘clair- obscur’, naissent les monstres ». C’est cette formule de Gramsci, commença par expliquer son neveu, qui, par sa force propre, est à l’origine de leur conviction.  Une formule qui, probablement, s’adressait directement au monde politique. Et ça n’est pas l’univers actuel qui le contredira. A commencer par le nouveau règne Trump. Le pays encore le plus puissant du monde entraîné par le plus inculte et le plus amoral de ses politiciens, d’une démocratie centenaire, ouverte sur l’international, vers une quasi théocratie. Totalement oligarchique. Prétendant réguler le monde. Par la force au lieu du Droit. Détruisant toute solidarité mondiale au plan de la santé, la recherche, la justice, l’égalité. Leurrant le peuple qu’elle prétend représenter. Accompagné par une Chine, appuyant sa volonté impériale à long terme sur le déni d’une vraie égalité sociale et de la liberté de ses citoyens. Par la dictature rétroactive  d’un « empereur communiste », appliquant à l’intérieur comme à l’extérieur un comportement  de prévarication et de pure imposition d’une force  impure. Accompagné encore par une fantastique démocratie indienne, dévoyée elle aussi par l’exercice d’un pouvoir personnel. Sans parler de ces pays du centre européen qui dérivent vers un nationalisme autocratique. Rejoints par le gouvernement de « la seule démocratie » du Moyen-Orient, Israël. Passé, sous la férule d’un très doué prédateur et de son clan fidèle, du statut de nation modèle, démocratique, modèle de créativité, dynamisme, d’équilibre laïcité- religion, modernité, résilience, ouverture, à nation honnie, dominatrice, amorale, à dominante religieuse excessive. Faisant oublier la menace existentielle multiforme qui justifient nombre de ses lignes de défense. Concentrant sur elle tous les feux d’un antisémitisme qu’elle contribue à activer.

Mais ce vieux monde n’est pas seulement en train de mourir par sa dimension politique. Plus grave, certainement. Il meurt aussi par le vide de la pensée. Qui pense le monde en  train de naître ? Gutenberg a sans doute changé le monde au Moyen-Age. Mais que dire de l’intelligence artificielle. Il faut être un idiot naturel pour ne pas voir surgir un nouveau monde. De la santé, du travail, de l’éducation, de…..Renforçant des phénomènes mondiaux. Galopants.  L’hyper médiatisation universelle, l’inondation mondialisée du tout puissant smartphone qui gère en pleine permanence la vie personnelle de probablement deux-tiers des individus de la planète. La prise de pouvoir du monde de l’information par les réseaux dits sociaux , lieux contemporains où se livre sans doute le plus vitale des luttes entre le bien et le mal.

Face à ce monde qui naît, le vieux monde ne nous propose que des réponses frelatées. Le recours au religieux. « Le XXI siècle sera religieux ou ne sera pas », l’affirmation d’André Malraux rate la réalité . Les termes sont justes, mais leur ordre est erroné. Le siècle devient religieux mais pour conduire le monde à sa disparition. Voir Mollahs, voir Haredim. L’imposture des idéologies. Les classiques,  nationalisme, libertarisme, fondamentalisme, autoritarisme, conservatisme populisme…. ,les toutes chaudes, wokisme, écologisme, féminisme…., les resucées, fascisme, socialisme, anarchisme…. Et les minables, pour les minables, l’antisémitisme/antisionisme, l’islamo-gauchisme, le gauchisme….Auxquels s’ajoute une catégorie, plus qu’une idéologie. La théocratie. Sans idéologie autre que celle de la puissance. Probablement la plus influente et la moins identifiée. Présente et invisible partout. Aperçue, occasionnellement, derrière Trump avachi sur son bureau, alignée, souriante, servile et servie.

Enfin, plus largement, quid de la société elle-même ? Quelle réponse apportée aux grands phénomènes qui vont marquer ce monde en émergence. Quid de la crise climatique ? Hormis ces grandes messes périodiques. Ces discours énergiques réitérés par des hommes encravatés et des femmes manucurées dans des enceintes majestueuses. Qui n’arrêtent pas  de rebondir de promesses en promesses toujours repoussées. Quid du traitement de la crise contiguë de l’écologie ? Qui, comme sa grande sœur, impacte prioritairement les pays, donc les peuples les plus pauvres. Quelle réponse, humainement acceptable, politiquement gouvernable, donner au phénomène irrésistible de la migration des populations du Sud vers le Nord, au phénomène irréversible de la mixité des populations du monde entier. Où donc trouver le commencement d’un début de réflexion d’ensemble concernant l’urbanisation terrestre et la multiplication de mégapoles auto cumulatives.

Enfin, encore comment contrôler, combattre, faire reculer ’’l’ensauvagement’’ du monde ? Guerres petites et grandes, locales, inter-états, complexes militaro-industriels triomphants, industrie et commerce florissants de l’armement. Quid d’un ONU défaillant, inopérant ? Quid du cancer invasif de la corruption des élites ? Quid du combat contre la pieuvre mondialisée de la drogue, la puissance démultipliée des mafias, l’industrie de l’évasion des capitaux….

Alors, comment devant ce tableau, ne pas craindre qu’apparaisse un de ces monstres  que l’avenir pourrait bien engendrer ? Que la génération actuelle laissera en héritage à la nouvelle ?

N’en jetez plus, la cour est pleine. Jonathan devant cette avalanche, ne pouvait que s’en tenir à sa ligne de défense, contre-attaquer. Ne manque-t-il à cet « obscur », indéniablement bien nourri, une lueur jeté par ce « clai » que Gramsci lui-même évoque ?

Provenant de vous déjà, nouvelle génération. Qui, comme nous l’avons fait en notre temps, devrez imaginer, mettre en œuvre des solutions. Trouver la force de lutter contre des monstres nouveaux. Provenant aussi de l’autre moitié de la population humaine . En train de rompre les liens qui l’empêchait. La femme. Avenir de l’humanité tout autant que des hommes. Provenant enfin de la capacité que vous aurez, nouvelle génération, à réinventer la politique des temps en train de naître. A faire émerger les nouveaux Kant, Descartes, Platon, qui sauront s’extraire de la fascination médiatique castratrice, recréer une pensée du monde.

Au boulot, neveu. Toi aussi, petite rouquine

© Claude Meillet

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