David Ben Gourion, prophète laïc du messianisme juif. Par Philippe Sola

Il y a des livres qui résonnent, non seulement par ce qu’ils nous apprennent, mais par ce qu’ils réveillent. Ce recueil de deux textes courts, écrits par David Ben Gourion, L’État d’Israël et l’avenir du peuple juif :  En faveur du messianisme, présentés, annotés et traduits par Pierre Lurçat, est de ceux-là. On croit connaître Ben Gourion, le fondateur, le politique, le stratège ; on le redécouvre ici en penseur visionnaire, porteur d’une parole essentielle : celle de la vocation messianique d’Israël. Ce n’est pas le Ben Gourion sécularisé, distancié du religieux, qui s’exprime ici, mais bien celui pour qui l’idée de la rédemption – juive mais aussi universelle, en cela il rejoint la veine de Rosenzweig et de Buber qui abhorraient l’opposition des deux adjectifs – est au cœur de la survie nationale. Il est frappant de voir à quel point, derrière le père fondateur de l’État moderne, se dessine un héritier des prophètes, qui affirme : « Celui qui ne voit pas la vision de la rédemption messianique au centre du particularisme de la nation ne peut pas voir la vérité fondamentale de l’histoire juive ». 

À contre-courant des lectures instrumentales, Pierre Lurçat met en lumière un Ben Gourion pour qui le messianisme n’est pas un levier de mobilisation, mais l’ossature d’une vision historique du peuple juif. Loin d’opposer tradition et modernité, religion et politique, ce Ben Gourion-là les relie dans une tension féconde. La conscience nationale, selon lui, fusionne particularisme juif et humanité universelle. Une pensée que ne renierait pas le Rav Kook. Ben Gourion considère que la matière et l’esprit ne sont pas deux domaines séparés. Il souhaite aux Israéliens un épanouissement global de leur être, où le corps et l’âme sont interconnectés. Le travail de la terre, l’esprit pionnier, ne sont pas pour lui de simples instruments économiques, mais les fondements d’une société régénérée, vivifiée par l’idéal.

Le livre explore aussi la virulence des critiques dont ce messianisme a fait l’objet – hier comme aujourd’hui. On y lit les paroles d’un jeune écrivain, un certain Gershom Scholem, à l’université hébraïque, voyant chez Ben Gourion la « noirceur de la flamme du diable ». Aujourd’hui encore, les accusations de « messianisme » lancées contre Netanyahou ou ses alliés rejouent les mêmes procès d’intention. Mais, rappelle Ben Gourion – et avec lui Lurçat –, il ne faut pas faire de cette foi une insulte. Car c’est bien elle, cette foi profonde en une histoire porteuse de sens, qui a permis aux Juifs d’endurer l’exil, d’y survivre, en poursuivant la restauration d’une unité perdue. Cette foi n’est pas un repli mais une rédemption à visée universelle, car « aucune rédemption n’est possible pour Israël sans rédemption du monde entier ». Il y a bien, dans l’expérience juive, une part d’exil radical qui fait écho à une étrangeté, à un désaccord existentiel avec le monde. Comme un sentiment de nostalgie immémoriale. Nous naissons, nous agissons, puis nous mourons. Quelque chose ne tourne pas rond. Tout n’est pas encore dans tout. L’homme aspire au retour à l’unité fondamentale. Et le judaïsme, contrairement aux autres monothéismes, lui en reconnaît la responsabilité. Le judaïsme affirme la liberté, le jeu (comme un mécanisme a du jeu), la responsabilité. Il suppose que nous pouvons — et devons — aider à hâter les temps messianiques, sans jamais les forcer. Ben Gourion, contrairement aux préjugés, s’inscrit dans cette voie et cette espérance.

L’un des mérites de l’ouvrage est de réinscrire cette pensée dans une histoire intellectuelle méconnue : celle d’un affrontement entre les promoteurs du sionisme comme renaissance nationale, et les adversaires, souvent issus du monde universitaire ou pacifiste, pour qui la souveraineté était une trahison du judaïsme. Brit Shalom, Einstein, Hugo Bergmann, ou encore Gershom Scholem sont convoqués dans ce débat fondamental. Ben Gourion rappelle que l’État d’Israël ne peut compter que sur un seul allié véritable : le peuple juif. Et que sa sécurité, loin de reposer uniquement sur une force militaire sophistiquée, dépend d’un autre facteur : une immigration massive, une fidélité renouvelée au projet initial, un attachement lucide à la vision rédemptrice. Au cœur de tout, demeure une certitude : l’idée religieuse – non la religion en tant qu’institution, mais la foi en un Dieu de justice et de miséricorde – a été la matrice du peuple juif. Ce n’est pas l’observance des Mitsvot qui a préservé l’identité juive à travers les siècles, mais le souffle d’une espérance. Cette foi messianique, selon Ben Gourion, n’est pas l’ennemie de la démocratie. Elle en est, au contraire, la condition spirituelle et morale. Elle n’oppose pas les peuples : elle les lie dans un projet commun d’universalité enracinée. Ben Gourion ne cesse d’insister sur l’éducation comme pilier. Il souhaite qu’elle soit fondée sur les valeurs de la culture juive, sur la connaissance de la Bible, sur l’avancée des sciences, sur l’amour de la patrie, mais aussi sur le respect de l’autre, la tolérance, l’aide mutuelle. Trois éléments doivent, selon lui, maintenir l’unité du Kelal Israël : la culture hébraïque, le lien à l’État, et la vision de la rédemption messianique.

L’identité juive, selon moi, est une identité spéculaire. Elle ne s’affirme pas frontalement, elle questionne. Elle n’est pas position, mais retrait. En se retirant, elle interroge l’autre. Elle dérange. Le Juif est ce point aveugle de l’universel, et David Ben Gourion a tenté d’apporter une réponse pacifiante à cette opposition (Ben Gourion n’hésite pas à se référer au Traité théologico-politique de Spinoza). Il faut lire ce petit livre traduit, publié et annoté par Pierre Lurçat, pour comprendre ce que veut dire fonder un État sur une vision. Pour mesurer ce que signifie l’élection non comme privilège, mais comme mission. Pour entendre la voix d’un homme d’État qui, tout en ayant quitté la synagogue, n’a jamais renoncé à la centralité du rêve prophétique. Ce livre est une œuvre de résistance. Résistance à l’oubli, à l’inversion des valeurs, à la dégradation des mots. Il nous rappelle que la rédemption n’est pas derrière nous, mais devant. Que la liberté est toujours à conquérir — par l’homme, dans l’histoire, avec Dieu, jamais sans lui.

« Soit nous serons un peuple d’élection, soit nous ne serons pas un peuple », disait Ben Gourion. Ce petit recueil nous persuade qu’il n’y a pas d’alternative plus actuelle. Alternative ironiquement et constamment rappelée par les Nations – en cela, loin de l’infirmer, elles viennent confirmer la vocation rédemptrice d’Israël.

© Philippe Sola

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Philippe Sola est écrivain. Auteur de « Métaphysique de l’antisémitisme »

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  1. En 1948, les Juifs orthodoxes représentaient 5% de la population juive d’Israël laquelle s’élevait à environ 630’000 habitants, soit 31’500 Juifs orthodoxes. Aujourd’hui, ce chiffre est passé à 13-14% sur une population juive de 7 millions, soit 945’000 à 980’000 de Juifs orthodoxes vivent en Israël. Leur impact sur la société israélienne dans son ensemble et sur le monde politique, sont susceptibles de diviser les Israéliens sur les priorités stratégiques du pays. Et cela d’autant que les Juifs orthodoxes ont disposé d’une véritable minorité de blocage au sein de la majorité.
    Il y a quelques mois sur LCI, l’ancien premier ministre Ehoud Barack qualifiait les ministres Ben-Gvir et Smotrich de « ministres messianiques » du gouvernement Netanyahou, car tous deux ultra-nationalistes obsédés par un « Grand Israël » avec reconstruction du Temple d’Hérode. La foi messianique, selon Ben Gourion, « n’est pas l’ennemie de la démocratie. Elle en est, au contraire, la condition spirituelle et morale ». Certes, mais dans le doute, Ben Gourion a eu la sagesse et l’intuition géniale de s’être opposé à l’adoption d’une constitution écrite pour Israël, et pour cause. Parmi les raisons invoquées figuraient « Les questions religieuses ». En effet, Ben Gourion, voulait contenir l’influence du judaïsme orthodoxe sur la législation israélienne. Il craignait qu’une constitution écrite ne soit utilisée pour imposer des lois religieuses strictes. Aujourd’hui malheureusement, le messianisme de certains se transforme en fanatisme religieux, à l’instar de ces jeunes Haredim qui s’en prennent physiquement aux pèlerins chrétiens en visite à Jérusalem Est. Ben Gourion, « prophète laïc du messianisme juif » ? Peu importe. Il a su identifier un danger existentiel pour l’avenir de la démocratie israélienne.

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