David Duquesne. « Le prix du réel : quand la vérité rend infréquentable »

Depuis plus de quarante ans, un climat de peur s’est installé en France autour des questions d’immigration et d’islam. Ce climat n’a rien d’un débat ouvert : il repose sur une pression morale constante, un terrorisme intellectuel rampant qui ne dit pas son nom, mais qui agit efficacement. Quiconque ose exprimer une critique, pourtant légitime et pondérée, prend aussitôt le risque d’être ostracisé, classé parmi les infréquentables, voire socialement condamné.

Ce phénomène dépasse largement le champ médiatique ou politique. Il opère au cœur même des classes moyennes, dans les milieux professionnels, familiaux, associatifs, amicaux. Ici, la parole devient périlleuse, non parce qu’elle est fausse ou haineuse, mais parce qu’elle transgresse les codes implicites du conformisme. On vous laisse parler une fois, on vous oppose des lieux communs — « Tu exagères », « C’est plus complexe », « Attention à l’amalgame » — mais si vous insistez, alors on vous isole.

Ce qui est frappant, c’est que ce rejet n’est pas motivé par un désaccord rationnel, mais par la peur du stigmate, de l’étiquette, de l’association dangereuse. Il y a une panique diffuse à l’idée d’être vu comme « proche de », « dans la même mouvance que », « pas clair sur ces sujets ». Et cette peur pousse même les gens qui pensent la même chose que vous à vous abandonner, voire à vous désavouer publiquement.

Cette mécanique a été parfaitement résumée par Arthur Schopenhauer, philosophe du réel sans illusion :

« Ce que le troupeau déteste le plus, ce n’est pas tant l’opinion différente que le courage de celui qui ose l’exprimer ».

Tout est là. Ce n’est pas l’idée en elle-même qui dérange, c’est le fait de la dire à voix haute, avec fermeté et sans honte. Celui qui parle ainsi force les autres à se regarder en face, à confronter leur silence, leur lâcheté, leur prudence stratégique. Et cette confrontation est insupportable.

C’est pourquoi, dans la société française actuelle, ceux qui ont raison trop tôt, ceux qui brisent le silence, sont souvent les plus sévèrement punis. On ne leur pardonne pas d’avoir vu clair avant tout le monde. Et on ne leur pardonne surtout pas de ne pas avoir attendu l’autorisation générale pour le dire.

Ce phénomène est d’autant plus toxique qu’il s’appuie sur un ruissellement idéologique puissant, venu des élites culturelles et médiatiques. Depuis plusieurs décennies, les grands médias, majoritairement marqués à gauche, ont façonné une vision du monde où toute critique de l’immigration est assimilée à du racisme, et toute réserve sur l’islam à de l’intolérance. Cette lecture a infusé dans les couches moyennes, qui n’osent plus exprimer ce qu’elles vivent. Elles se replient dans des discours convenus, récitent des éléments de langage, et surtout, se désolidarisent de toute personne qui dérange le confort collectif.

Il y a là un mécanisme de protection tribale. On sacrifie celui qui parle, non pas parce qu’il a tort, mais parce qu’il menace l’équilibre moral du groupe. On l’accable pour éviter d’être accusé à son tour. Cette lâcheté déguisée en vertu a été justement dénoncée par Alexandre Del Valle, dans une formule tranchante :

« Les coupeurs de langue sont les alliés objectifs des coupeurs de tête ».

Autrement dit, ceux qui imposent le silence aux lucides préparent le terrain des violences futures. En censurant le langage, on empêche la société de nommer ses problèmes — donc de les résoudre. Et ce déni collectif ne fait que nourrir la colère, la défiance et, tôt ou tard, la brutalité.

On touche ici à une mécanique collective de destruction, bien connue dans les régimes totalitaires ou les systèmes de domination molle, mais que l’on peine encore à nommer en France. C’est un engrenage d’autant plus pervers qu’il avance sous couvert de vertu, d’amour, de « protection de l’image », de morale progressiste — mais qui, dans les faits, broie les individus récalcitrants.

La mise à mort sociale ne s’arrête pas aux plateaux télé ni aux cercles d’opinion. Elle se déploie jusque dans les foyers, les couples, les familles, les métiers. Elle prend racine là où la personne croyait être protégée : dans l’intimité, dans la filiation, dans l’amour. Et c’est là que le poison agit le plus profondément.

On croit, au départ, pouvoir dire les choses calmement, raconter une histoire, exprimer une vérité vécue. Mais si cette vérité dérange l’ordre établi — surtout quand elle contredit le récit sacralisé de la société multiculturelle heureuse — alors on devient un problème à neutraliser. Pas parce qu’on ment, mais parce qu’on dit trop bien ce que d’autres veulent cacher.

Certains en paient le prix dans leur chair. On leur refuse le rôle de parent, de grands-parents, on les coupe de leurs enfants, de leurs petits-enfants, on les pousse à renoncer à leurs projets, à se renier eux-mêmes, à choisir entre leur parole et leur famille. On leur colle dans le dos l’étiquette « islamophobe », « raciste », « extrême droite », alors qu’ils viennent parfois eux-mêmes de l’autre rive, qu’ils sont les enfants de l’immigration, du sacrifice, du travail, de l’assimilation. Et c’est cela, justement, qu’on ne leur pardonne pas.

Il faut bien le comprendre : dans cette société où le réel est devenu un blasphème, celui qui ose le décrire devient une menace symbolique. Et cette menace, on la traite comme autrefois les hérétiques. On ne se contente pas de l’exclure, on le rend vulnérable. On le désigne. On l’isole. On le pousse à la faute. Et dès qu’il tombe, on justifie la chute en pointant sa « déviance », sa « radicalité », son « obsession ».

Mais le plus grave est ailleurs : on fait de lui une cible. Car dans ce climat de désignation publique, l’infréquentable devient un signal. On l’a dit « raciste » ou « fasciste » ? Alors on sait, dans certains quartiers, qu’il est « autorisé » de l’insulter, de l’agresser, de le menacer, de lui faire peur. La meute sait lire les codes. La délation morale venue d’en haut devient mise en danger physique venue d’en bas.

La France ne souffre pas d’un excès de parole, mais d’un déficit de vérité partagée. Elle se paralyse sous l’effet d’un conformisme mou, d’un souci d’image, d’un chantage émotionnel permanent. Le vivre-ensemble, devenu religion d’État, a remplacé la lucidité par la liturgie.

Or une démocratie ne peut survivre sans liberté d’analyse, sans conflit assumé, sans possibilité de heurter. Celui qui ose encore parler, non pas pour diviser, mais pour alerter, devrait être entendu, pas éliminé.

Le drame n’est pas que certains disent des choses dérangeantes.
Le drame, c’est que tant de gens, qui pensent la même chose, préfèrent les laisser seuls au front.

© David Duquesne

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