Tribune Juive

David Castel. L’autre ennemi(e) de Bibi

L’autre ennemi(e) de Bibi. 

Petites nouvelles de démocratie. Puzzle à fragmentation. Les morceaux éparpillés s’assemblent en heurts, en incertitudes. 

Côté pile, la scène est banale. Israël, comme n’importe quel autre pays, avance. Une fête de mariage approche. La célébration de la vie, même dans les moments les plus sombres. Les couples se forment, les alliances se scellent. 

On dansera sur la musique archi célèbre de Mati Caspi.

L’idole des boumers. Force tranquille face au monstre silencieux qui ronge son corps. Son regard marqué par la fatigue, celui d’un homme vivant. Un rêve encore inachevé flotte dans l’air – un rêve qu’il espère encore accomplir. La solidarité dans un monde dissous dans le chaos. L’âme des artistes ne se laisse pas briser si facilement.

Le marché immobilier, lui, continue de se mouvoir, comme si de rien n’était. Les prix dans le nord, aux frontières du pays, montent en flèche. La guerre, loin d’être un frein, semble stimuler la dynamique : les gens, comme pour prouver quelque chose, continuent d’acheter, comme si le futur était déjà derrière eux. A l’approche des vacances de Tishri, les prix n’ont plus que l’absurde  comme limite.

Des faits divers se glissent entre les événements du quotidien : un jeune homme gravement blessé dans une collision accidentelle, un ouvrier de 50 ans chutant sur un chantier, un rabbi accusé d’abus sexuels. 

La recherche de sens se perd dans les ténèbres. 

Rayon politique, les batailles internes font rage. Polémique du jour : faut-il destituer Ayman Odeh le député qui n’est pas d’extrême droite ? Une autre forme d’ultranationalisme. Il défend l’indéfendable, celui qui compare des otages innocents atrocement capturés par les barbares, aux criminels légalement détenus par un pays respectueux des procédures. Les partis religieux, petits mais pivots, pour une fois sur la même longueur d’onde, restent silencieux, soi-disant par « discrétion », quand chacun sait qu’ils boudent depuis des mois, pour la raison que les gens normaux souhaitent conscrire leurs yeshiva boys.

Ce soir, en raison de cette abstention, la motion est rejetée. Les rabbins ont de facto soutenu l’ennemi, même intérieur. 

Coté face, zones de conflits. Des vrais. 

Une femme raconte l’inimaginable, les tortures qu’elle a endurées, que les inhumains lui ont infligées durant sa captivité. 

Heureusement, Tsahal plus que jamais en première ligne, agit sans relâche. Aujourd’hui, elle a éliminé l’inhumain qui a détenu l’otage Emily Demari. Écrasée par l’émotion de sa satisfaction de voir disparaître le visage du mal, « Que je n’oublierai jamais », dit-elle.

Une goutte de satisfaction dans un océan de douleur…

La guerre est là, et elle ne se calme jamais.

Bien entendu, comme chaque jour, Gaza a tiré deux missiles. Interceptés, pas de victimes. 

Le danger reste omniprésent. 

Bibi négocie de nouveaux compromis, un peu plus de retrait de Rafah. 

Résistances. Actions fortes, tragédies. Une tension constante.

La guerre sans fin frappe les frontières. Au Sud Liban le Hezbollah sursaute. En Syrie, les tanks du perfide Ahmed al-Charaa sont en mouvement vers les villages druzes du sud du pays (notre nord). Contre l’Iran qui bouge encore, Trump plaide désormais la ruse de « l’attaque indirecte ». 

Les zones grises de l’innocence perdue se mélangent pour former un tourbillon d’émotions quotidiennes, implacables, aveugles aux cicatrices.

Une journée ordinaire.

Ou presque.

Car Israël n’est PAS un pays comme lee autres. 

Attention. Ce qui suit est l’évocation d’événements certes improbables, mais en tout cas plausibles dans nos démocraties. Mais impossible dans aucun des 50 pays environnants. 

Elle s’appelle Gali Baharav-Miara.

Procureure Générale. Plus Haute autorité judiciaire d’un pays où la Justice est fortement indépendante. 

À elle seule, symbole à la fois de nos valeurs, et celui de tout ce que nos ennemis haïssent. Femme, forte, charismatique. Indépendante d’esprit. Libre. 

Bon, sur le plan domestique, on peut la décrire comme, disons, déterminée. Plus familièrement, il faut bien reconnaître qu’elle a Bibi dans le colli. 

En résumé, elle l’accuse d’agir au-dessus des lois. 

À ses yeux à lui, elle entrave sa liberté de gouverner. 

Comme aux frontières d’Israël, lcombat Bibi Vs Gali se mène sur tous les fronts.

Premier épisode : procès pour corruption. A commencé en 2020. Encore actuellement en cours à raison de plusieurs audiences par semaine sauf interruption, rarissime, pour cause de guerre à mort contre les mollahs ou encore de rencontre avec le Chef du monde libre. 

Un chef de gouvernement en exercice sur le banc des accusés, vous chercherez des exemples ailleurs. Chef de guerre le matin, accusé l’après-midi, c’est plutôt rare. Unique, en fait. 

Deuxième épisode : Gali contestait la légalité du renvoi, légèrement brutal, par Bibi, de Ronen Bar, chef du Shin Bet, et accessoirement investigateur en chef sur le scandale du Qatargate. (Rappel de la saison précédente: deux très proches de Bibi, Feldstein et Urich, auraient (ab)usé de leurs fonctions pour servir de relations publiques au Qatar. Soft power en (très) haut lieu).

Cet épisode-là partait pour bien se conclure : hier, dimanche 13 juillet, la Haute Cour venait de valider un cessez-le-feu entre les deux belligérants. 

Rappel utile : Israël est une démocratie, riche d’institutions enracinées dans la tradition millénaire des valeurs juives de liberté et de respect, et pour cette raison, fortes, solides et respectées. Chez nous, la justice est une chose sérieuse. 

Pas d’équivalent chez les centaines de millions de « citoyens » qui entourent (et menacent) ce village de liberté. 

Donc, la Haute Cour, a réussi à imposer le consentement mutuel:  Bibi devra informer la Cour de la nomination du successeur de Bar sous deux mois. 

Analyse rapide pour les malcomprenants: Le Shin Bet doit faire fissa pour boucler son enquête sur le Qatargate.

Accalmie uniquement en apparence. 

Bibi ne rêve que de virer Gali. 

Sauf que, vu le rôle de la dame, l’exécution du plan s’avère un peu délicate. 

Ah, oui, je rappelle que l’histoire se passe dans un état de droit. Houhou, les éminents éditorialistes, vous savez, ce petit gadget qui est ABSOLUMENT inexistant dans aucun des 50 pays opposés depuis toujours à la présence juive. 

Avec des lunettes un peu plus propres, vous verriez peut-être dans cette différence-là, la fameuse origine du conflit, au lieu de nous rabâcher vos slogans débilitants.

Bref, retour au match. 

Donc, Bibi fait tout pour virer la chef des procureurs, qui est évidement indépendante. Enfin pas évident pour tout le monde vu les cultures alentour. 

Et comme au contraire de ces dernières, on n’est pas en dictature, renvoyer un opposant indépendant exige un peu de procédure. Base atomique dans nos démocraties: la procédure est la petite sœur de la liberté. Ah oui, c’est vrai, ça n’existe pas chez vous, les contempteurs, la liberté. 

Bref, Bibi, qui n’est pas beaucoup moins déterminé que Gali, accélère ses efforts. 

Dernière idée, le mois dernier, en mode réflexe à la capitaine Haddock : une commission de cinq ministres tiendra une audience spéciale pour décider de valider l’éviction de la méchante procureure générale. 

Bibi, respectueux des lois, avait demandé à la Cour suprême de donner son aval à ce nouvel outil. 

Bingo. 

La Cour a dit oui. Le tribunal ministériel s’est réuni ce matin.

Gali ne s’est pas présentée. 

1 – 0 pour Bibi. 

Mais il n’était que 9 h du matin.

À 9 h 15, Égalisation. 

Le parquet dépose une petite bombe : un projet d’acte d’accusation contre Urich, qui sera jugé pour mise en danger de la sécurité de l’État et des vies humaines. 

Pause. Ralenti. Retour sur les faits.

Fin août 2024. Israël abasourdi d’horreur découvre six otages assassinés dans un tunnel du Hamas à Gaza. 

Hirsch Goldberg-Polin, Carmel Gat, Uri Danino, Alex Lobanov, Almog Saroussi et Eden Yerushalmi. 

Le soir même, Bibi donne une conférence de presse. 

A l’issue, un proche conseiller, Eli Feldstein, s’approche. Il informe le chef du gouvernement qu’il détient l’original d’un document confidentiel, Tsahal décrit la stratégie de négociation de l’ennemi mortel. Bibi « exprime son intérêt ». 

Le 6 septembre 2024, scoop au Bild. Le journal allemand publie ce fameux document secret. 

Sauf que.

Sa publication n’avait pas été autorisée par la censure militaire, qui doute de sa fiabilité.

Le 7 septembre, lendemain de la publication, Bibi, qui indique avoir découvert le document « dans la presse », réunit son cabinet. 

Jonathan Urich, son ghostwriter, écrit sa fiche, qui s’avère remplie de références aux fameuses informations secrètes transmises par Feldstein. 

Sauf que.

Pour l’accusation, Eli Feldstein et Jonathan Urich n’avaient pas le droit de détenir ces documents censurés. Et ils les ont divulgués à l’étranger, dans l’intention d’influencer l’opinion publique. Une fuite pour fausser le discours public en faveur d’un Bibi assoiffé de soutien dans la guerre qui l’empêtre. 

De quoi, pour Gali, fonder l’infraction d’atteinte à la sécurité de l’État.

Pour couronner le tout, le lendemain de l’arrestation de Feldstein et d’un autre suspect dans cette affaire, Ari Rosenfeld, Urich avait changé de portable pour empêcher l’utilisation des données comme preuves. 

Petit rappel introductif d’instance pour ceux qui n’ont pas pris de note: Feldstein et Urich sont également stars de l’autre scandale à la mode, le « Qatargate ».

Retour à Gali, qui ne lâche rien. 

Elle veut aussi des poursuites contre Kobi Yaakobi, chef de l’Administration pénitentiaire, proche allié d’un ministre très nationaliste de la Sécurité nationale, un certain Itamar Ben Gvir. Yaakobi aurait informé un autre officier supérieur d’une enquête sur des violences nationalistes juives. 

Bien sûr, Ben Gvir dénonce ces accusations politiques, voire criminelles, qui ne visent qu’à menacer les agents de la politique de dirigeants élus, politiser le système répressif et maintenir le pouvoir de l’État profond. Son soutien est total à son ami qui restera à son poste (l’intéressé ayant pourtant indiqué qu’il démissionnerait s’il était mis en examen).

Bibi surenchérit. 

Il critique le moment choisi pour cette décision, nulle et infondée, honteuse, déplorable et gravement suspecte d’avoir été conçue pour un autre but que de servir l’intérêt général. 

« Jonathan n’a commis aucune atteinte à la sécurité de l’État ». 

Démocratie, liberté de paroles, débats. 

L’opposition demande des comptes. 

Yaïr Lapid monte au front, reproche à Bibi son manque de vigilance dans la protection du saint des saints. 

Urich de son côté nie toute accusation. Il n’a détenu illégalement aucune information secrète. Lui aussi dénonce un moment tout sauf fortuit et prouvera son innocence sans l’ombre d’un doute.

Il ne fera probablement, dans ce but, que répéter ce qu’il soutient avec constance depuis 9 mois, et qui semble frappé au coin du bon sens : il n’a agi, avec Feldstein, qu’avec consentement et approbation du grand manitou.

Le problème avec le parquet, c’est qu’il est parfois bien informé. 

Le dossier est moins net pour Urich, qui se trouve contredit par l’enquête. 

Contrairement à ce qu’il affirme, il possédait bel et bien les informations secrètes envoyées par Eli Feldstein, ce qui est d’ailleurs facile à établir : le 7 septembre, lendemain de la publication dans Bild, il les a utilisées pour écrire le discours de Netanyahu. 

Preuve pour le parquet que Feldstein avait remis à Urich la traduction du document depuis le Shabbat précédent. Justification de la décision de le renvoyer en correctionnelle.

Sauf que. 

Si Feldstein a remis à Urich, cela veut aussi dire que celui-ci a remis au Premier ministre. 

Or, nouveau rappel pour ceux qui ont oublié le début de l’histoire : Bibi a toujours affirmé avoir pris connaissance du document « par les médias ». 

Branle bas de combat à Balfour. 

Réquisition urgente et immédiate de storytellers, il faut une nouvelle version comestible. 

Urich n’a jamais transmis de document classifié. Il n’a jamais participé à rien, n’a jamais été exposé à rien.

Feldstein a-t-il pu agir seul ? Dans la négative, qui semble probable, hausse considérable de l’implication de Bibi, qui a pour le moins œuvré à la divulgation publique du document secret. 

2-1 pour Gali.

Mais le match est loin d’être achevé. 

Suspense. 

Retour à la procédure. 

La décision de renvoi devant les juges ne sera confirmée que sous réserve d’une audience qui en décidera souverainement.

Le projet d’accusations prendra plusieurs mois pour devenir officiel. Benjamin Netanyahu ne sera pas convoqué à témoigner.

Le temps de rédiger cette brève du jour, retour à la cruauté. Explosion d’un char dans le nord de la bande. 

Sépharim Menachem, Shlomo Yakir Sherem et Yuli Faktor sont tombés.

Trois nouvelles merveilles héroïques arrachées à leurs aimants. 

On a vu que la liberté avait une sœur, la procédure.  

Mais toutes deux ont une autre sœur, perverse et vicieuse : la guerre. La sœur consanguine qui renvoie l’absurdité de l’humanité, et brise des avenirs en une fraction de seconde. 

La soeur, ennemi impitoyable.

Nous ne faisons pas de pause dans notre combat pour la liberté et la démocratie. 

Nous n’en faisons pas non plus contre l’ignominie. 

Ces deux guerres vont de pair. 

Mais c’est vrai, vous ne pouvez pas le savoir. Vous ne menez aucune des deux. Vous aurez la guerre et le déshonneur.

Notre démocratie n’est pas parfaite, mais elle est là, vivante, et elle résiste. 

C’est cela qui inquiète tant ceux qui l’entourent.

© David Castel

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