Tribune Juive

Francis Moritz. U.E. France, le dilemme de la dissuasion nucléaire

« Qui veut la paix, prépare la guerre » (Clausewitz)

Quand on évoque la Defense européenne, il faut entendre avant tout, la dissuasion nucléaire et ce faisant, on doit penser économie de guerre. 

La France, encore première militairement parmi ses pairs de l’UE, n’a cessé de mettre en avant SA bombe atomique et donc SA dissuasion face à la Russie, si jamais … Comme l’Union Européenne, nous sommes à la croisée des chemins.

Berlin qui revendique vouloir devenir la première armée conventionnelle en Europe et ses experts s’expriment avec beaucoup de prudence sur l’éventualité pour l’Allemagne de se doter de l’arme ultime. En effet, sur 27 pays, qu’est-ce qui pourrait en dissuader certains de détenir aussi la capacité nucléaire. Accessoirement, en matière de souveraineté défensive, on vient d’apprendre que la France a signé le 10 juillet un accord avec l’Angleterre, dénommé « Déclaration de Northwood ».

Ce qu’il stipule :

« Les deux pays maintiennent des forces nucléaires indépendantes, mais s’engagent à les coordonner en cas de ‘menace extrême visant Europe’: aucune menace extrême ne pourrait rester sans réponse par la France et le Royaume Uni.  Une coordination serait mise en place et Coprésidée par l’Elysée et le Cabinet ministériel de la Grande Bretagne pour superviser les mesures à prendre en matière politique, capacités et opérations » (Source Gov.UK)

Il s’agit du renforcement de l’architecture de défense européenne, face à des défis comme la menace russe ou l’incertitude sur la fiabilité des garanties américaines. (Reuters)

L’accord porterait aussi sur la coopération dans La Défense aérienne et anti-missile, le développement de missiles longue portée et « exploration de l’usage de l’IA dans les frappes nucléaires ». On considère que c’est une évolution importante concernant la France.

La notion de coopération étroite apparaît comme très nouvelle à Paris. Cependant, chaque pays conserve son autonomie décisionnelle nucléaire, tout en renforçant la coordination stratégique dans un cadre binational. C’est sans doute la première fois, dans l’histoire européenne avant tout, que deux puissances nucléaires s’engagent dans une coordination formelle vers ce qui pourrait devenir une protection collective renforcée de l’Europe. (Source Financial Time): On n’en est plus à une contradiction près.

Le parapluie nucléaire français en question pour l’UE

Paris, depuis plusieurs années, invite ses partenaires européens à des dialogues bilatéraux en vue de discuter et de définir le rôle de la France dans une dissuasion européenne (Source « Revue Politik »)

Les inconvénients du parapluie français 

Pour les experts allemands, l’arsenal Français est spécifiquement conçu pour infliger aux centres de décisions russes des dommages « inacceptables ». Ils ne croient pas que Paris s’engagerait dans ce qui constituerait un suicide national face à une riposte russe de même intensité. En effet, à la différence de Moscou, la France ne dispose pas à proprement dit d’un arsenal nucléaire tactique, contrairement à la Russie. Celle-ci disposerait de plusieurs centaines de bombes tactiques, on parle même de 1500 à 2000. La Grande Bretagne: aucune. (Source: FAS, SIPRI)

Quelle est la doctrine nucléaire russe, première puissance en armes tactiques

Contrairement aux doctrines occidentales, Moscou envisage un usage tactique précoce en cas de conflit majeur, notamment si l’équilibre des forces conventionnelles tourne en sa défaveur. Doctrine dite de « l’escalade pour la désescalade » ou encore « l’escalade pour dominer ».

Rappel : en 2022-24, plusieurs responsables russes déclaraient que la Russie n’excluait pas un usage tactique nucléaire en Ukraine, grâce à son implantation, dans un rayon de 500 km terrestre et maritime.

La frappe nucléaire française 

La doctrine française repose sur une dissuasion « strictement suffisante » et autonome. Soit aérienne, portée par Rafale B (armée de l’air), soit maritime, par Rafale M embarqué (marine) portée de l’ordre de 500 kms. 

La France dispose d’un arsenal à double usage (stratégique et pré stratégique). Elle possède le missile ASMP-A pour une frappe d’avertissement, donc proche de l’emploi tactique, dans le cadre d’une graduation de la dissuasion, et de 4 sous marins nucléaires, lanceurs d’engins nucléaires missiles M51/TN75 d’une portée de 8.000 kms.

Le président français a rappelé que l’utilisation de l’arme nucléaire française est du ressort exclusif de la France. Ce qui ne peut que donner à réfléchir à Berlin.

L’accord conclu avec Londres pose certaines questions: Si la décision appartient exclusivement au détenteur de la force nucléaire, qui la déclenchera, que ce soit entre les deux puissances de l’accord ou l’une des deux ? La même question se poserait entre la France et ses partenaires au sein de l’UE. Faudra-t-il envisager un bouton rouge spécial multi doigts, la question est posée.

Quelle doctrine à Berlin

Les responsables allemands se montrent très réservés sur l’option française et sur le développement d’une bombe allemande, car on se rend compte du bouleversement que cela provoquerait à l’extérieur et à l’intérieur de l’UE face à une Russie qui ferait tout pour l’en empêcher.

Adopter une tactique

Il faut s’efforcer de maintenir les États-Unis en sein de la Défense européenne. On se rend bien compte que dans ces accords, les décisions s’entendent à moyen et longue terme. De plus, on doit aussi prendre en compte les choix existants de certains pays, Allemagne, Roumanie avec Israël pour la Défense anti aérienne, sur la frontière est de l’Europe. Les armes nucléaires américaines déployées en Europe doivent rester en place en Allemagne, Italie, Pays Bas, Belgique, dont l’utilisation reste bilatérale, jusqu’à ce que l’Europe soit effectivement en mesure de les remplacer.

Les Européens doivent étendre leurs capacités conventionnelles pour éventuellement faire face à une menace russe. À date, seuls Berlin et Varsovie semblent capable d’atteindre l’objectif. L’Allemagne est en train de muer en économie de guerre. Exemple: devant la chute durable de la production automobile, on veut transformer certaines usines en productions militaires. La France n’est pas du tout dans cette capacité, vu sa situation économique, alors qu’il s’agit de souveraineté nationale, cela donne à réfléchir.

Devant la pression de certains responsables qui poussent au développement d’une bombe allemande, le Chancelier Merz a déclaré que la proposition était prématurée: . »Il faut tout faire pour maintenir le partage nucléaire avec les États-Unis d’Amérique pour les années, voire les décennies à venir ». 

La raison en est que l’armement nucléaire de l’Europe nécessitera un temps considérable. Il faut répondre à des questions qui « dépassent certainement le délai dans lequel nous devons maintenant améliorer les capacités de défense avec les structures existantes », a conclu Merz. Il faut donc simultanément établir un dialogue comportant des objectifs clairs de l’UE sur sa propre force nucléaire future et son soutient aux États Unis tout en conservant l’ancrage américain existant au sein de l’Otan. Ce qui ne pourra advenir que si les Européens atteignent, voire dépassent, le seuil de 3,5% de leur budget national et entretiennent avec Washington un dialogue justifiant le maintient américain comme composante de La Défense européenne et réciproquement, il faut s’attendre à la demande américaine d’une participation dans la zone indo-pacifique, en application de la logique actuelle du président américain.

L’UE devra alors repenser ses relations avec Pekin. Pendant que Paris devra aussi repenser les siennes avec Berlin et réaliser 80 ans après la seconde guerre mondiale que l’Allemagne avait bien compris avoir perdu la guerre, pendant que la France n’avait pas encore compris ne pas l’avoir gagnée.

Comment poursuivre un dialogue positif et l’alliance avec les États-Unis et quel deal avec la Maison Blanche 

Dans la perspective d’un « deal » entre Europe et Américains, que feront les détenteurs de l’arme nucléaire si la Chine décide d’envahir Taiwan ou que Washington frappe la Chine. Pourront-ils détourner le regard ou seront-ils forcés de rejoindre l’allié américain. Dans la configuration actuelle, l’Europe a très peu d’options, face aux États-Unis, qui exigeront une collaboration sans nuance. Le rapport de force sur les tarifs douaniers n’est encore qu’un début (+30% au 01/08).

L’Europe est au milieu du gué sur une monture américaine, laquelle avance ou recule. Si le courant est trop fort, la monture risque de vouloir se débarrasser de son cavalier pour poursuivre sa route. Le Chine a toujours déclaré qu’elle n’utiliserait pas sa frappe nucléaire contre des états qui n’en disposent pas. En revanche, les stratèges américains étudient l’éventualité d’une première frappe, préventive, contre la Chine. Nos dirigeants doivent impérativement anticiper et s’abstenir de procéder par réaction uniquement dans l’immédiateté, devenu un comportement chronique. La naissance d’un sauveur tous les 5 ans en France est révolue depuis longtemps.

Ainsi va le monde, 

© Francis Moritz


Francis Moritz a longtemps écrit sous le pseudonyme « Bazak », en raison d’activités qui nécessitaient une grande discrétion.  Ancien  cadre supérieur et directeur de sociétés au sein de grands groupes français et étrangers, Francis Moritz a eu plusieurs vies professionnelles depuis l’âge de 17 ans, qui l’ont amené à parcourir et connaître en profondeur de nombreux pays, avec à la clef la pratique de plusieurs langues, au contact des populations d’Europe de l’Est, d’Allemagne, d’Italie, d’Afrique et d’Asie. Il en a tiré des enseignements précieux qui lui donnent une certaine légitimité et une connaissance politique fine. Fils d’immigrés juifs, il a su très tôt le sens à donner aux expressions exil, adaptation et intégration. © Temps & Contretemps


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