
Entre les colonnes du Congrès américain et les eaux sombres de la mer Rouge, Benjamin Netanyahou s’avance comme un funambule sur le fil de l’Histoire : « Nous sommes prêts à finir cette guerre… si le Hamas ne peut plus jamais agir ». Phrase sobre. Mais chaque mot y saigne.
Cette promesse — ou est-ce une menace ? — fait écho à la tentation perpétuelle de ceux qui veulent ordonner le chaos. Mais peut-on ordonner ce qui est né pour dissoudre ? Israël lutte contre une entité qui ne gouverne rien, mais détruit tout. Une organisation dont les tunnels sont les cathédrales et les enfants sacrifiés les prières.
De l’autre côté, la mer. La mer Rouge, rouge justement, de sang et de silence. Deux navires visés. Deux blessés. Deux disparus. Et une vérité nouvelle, nue comme une vérité ancienne : cette guerre n’est plus confinée à Gaza. Elle hante les routes du commerce mondial, elle effleure le pont Mirabeau, elle remonte le Nil et descend la mémoire.
Une société qui, depuis 7 octobre 2023, regarde à nouveau le néant face-à-face. Israël ne peut pas parler de paix comme les autres. Il sait que toute trêve est un aveu temporaire. Et que dans l’intervalle, des enfants codent pendant que d’autres se terrent.
Israël se bat pour protéger ses vivants. Le Hamas se bat pour exhiber ses morts. Israël pleure ses soldats comme des fils. Le Hamas se sert de chaque cadavre comme d’une carte de négociation. Israël construit. Le Hamas détruit — et détourne même les tuyaux de l’aide humanitaire pour creuser ses tunnels.
Le monde regarde ailleurs: les diplomaties édentées murmurent « proportion » à ceux qui enterrent des enfants. Paul Celan écrivait : « Nul ne témoigne pour le témoin ». Il se trompait. Le témoignage, lui, témoigne pour le témoin. Israël témoigne, non pas pour convaincre, mais pour tenir. Il ne parle pas pour être cru, il parle pour rester debout.
Comme Primo Levi, il sait que la mémoire est un piège. Trop souvent évoqué, un souvenir devient un stéréotype. Mais trop souvent tu, il devient poison. Que faire alors ? Comment dire l’indicible ? Comment raconter les cris sans trahir le silence ? La poésie, dit Celan, est la seule capable d’évoquer l’Absence. C’est peut-être pourquoi l’hymne israélien commence par une espérance.
À Jérusalem, Tel-Aviv, Sderot, des hommes rêvent encore. Même sous les sirènes. Même dans les hôpitaux visés. Même au cœur du chagrin. Ils rêvent, car rêver est un acte de résistance. Ils bâtissent. Ils innovent. Malgré tout. À cause de tout.
Mais la paix, elle, recule. Chaque fois que l’on ose mettre sur le même plan un État qui soigne et un groupe qui se glorifie de tuer. Chaque fois qu’on hésite à nommer le mal. Primo Levi rappelait que les bourreaux étaient « moyens » : ni monstres ni héros. Juste des hommes qui n’avaient pas su dire non.
Et nous ? Que disons-nous, aujourd’hui ? Sommes-nous les témoins ou les muets ? Sommes-nous les enfants de la mémoire, ou les petits-enfants du déni ? Le cri du sang d’Abel n’a jamais cessé. Et cette fois encore, il monte, du sol d’Ofakim, de Be’eri, des kibboutzim égorgés.
Netanyahou, à Washington, tend une main ferme : pas de paix sans désarmement du mal. Il ne négocie pas une trêve. Il trace une ligne. Comme le dit la chronique talmudique : « Il y a ce qui peut être discuté. Et ce qui doit être jugé ».
Le monde regarde. Il faut qu’il entende. Ce qui se joue, ce n’est pas un territoire. C’est la possibilité même d’une mémoire.
Car si l’on oublie ce que signifie vivre, alors on comprendra trop tard ce que veut dire disparaître.
Et Israël, lui, a décidé de vivre.
© David Castel