
Mon amie Debbie, en couple (45 et 50 ans), deux enfants, un chien.
Déplacés le 15 octobre vers l’hôtel Leonardo de Tibériade jusqu’au 15 novembre 2024.
Ils ont de la chance, chambre avec balcon vue sur le lac. Deux chambres communicantes de 15m2, plus le chien.
Un mini bar où il n’est pas possible de mettre une bouteille d’un litre cinquante.
Pour leurs vêtements, pour le long terme uniquement, les penderies de vacancier de leur chambre.
Ils achètent deux petits porte-vêtements. Le kibboutz les laisse entrer afin de venir prendre d’autres vêtements de saison.En général le matin. 1h30 de trajet Tibériade – Hanita. Rebelote pour le retour.
Tous les jours le petit déjeuner, déjeuner et dîner sont identiques. Malgré le nombre important d’enfants, il ne vient pas à l’idée du chef de proposer des pizzas et des frites. Heureusement c’est bon.
Imaginez de manger pendant 13 mois la même chose. Essayez chez vous pour en avoir une idée.
Étant logés en pension complète par l’État, ils ne reçoivent aucune compensation pécuniaire.
Il faut vivre de ses économies. Ceux qui sont dans ce cas en ont très peu, sinon une autre solution aurait été possible.
Ils sont au chômage tous les deux. Israël n’est pas l’État providence français. Aucune indemnité. Ils vont donc devoir dépenser leurs économies pour améliorer l’ordinaire.
Le plus dur : leurs enfants n’ont pas de place dans une école de Tibériade. Une année d’étude perdue.
Ils sont autorisés, une fois leur retour possible, à intégrer la classe supérieure avec des cours de rattrapage.
Aude et moi sommes allés les voir un week-end en novembre 2023.
Nous leur avons demandé ce qui leur ferait plaisir : aller dans le meilleur restaurant italien de la ville pour manger des pâtes et des pizzas pour les enfants. Ce que nous avons fait bien évidemment.
Le maire d’avant avait cessé de faire de la ville une exclusivité cacher afin d’avoir du tourisme à Shabbat.
Donc une rentrée d’argent pour la ville. Le nouveau maire est religieux. Vendredi et samedi c’est ville morte. C’est Kippour.
Sur la Tayelet (promenade) il n’y a rien sauf d’être assis sur un banc avec son smartphone ou de rester à l’hôtel, où il y a encore plus de promiscuité et de bruit que d’habitude puisque beaucoup ne sortent pas et vont à la piscine qui par moment est inaccessible.
Il faut bien comprendre que ceux qui sont logés dans les hôtels n’ont pas d’autres choix.
Le 15 novembre 2024 la coupe est pleine. Pour ceux qui ne sont pas en hôtel, l’Etat verse 6000 shekel par adulte et 2500 par enfant. Pour leur famille le compte est de 17 000 shekels. Debbie trouve un grand appartement vue lac.
Elle n’a pas de honte à me dire qu’une fois par semaine elle se rend dans un supermarché qui offre gratuitement des plats.
Leur retour a lieu le vendredi 27 juin. Depuis deux mois, son mari a repris son travail de nuit à l’usine du kibboutz. Il passe la semaine au kibboutz et les rejoint pour Shabbat. A son arrivée, un abri anti bombes – le mamad – est en construction. Il dort dans le bruit et la poussière. Le 2 juillet à mon arrivée le mamad est en ordre de marche.
Psychologiquement c’est Debbie qui est la plus marquée. Elle souffre depuis longtemps de bi-polarité. Elle a des cauchemars et repasse dans sa tête les Azakot. Les sirènes d’alarme qui vous informent combien de minutes ou secondes vous avez pour vous rendre à l’abri anti-bombes-le miklat.
Au moment où j’écris ces lignes, ce matin, Debbie n’a pas pu se rendre à son travail. Elle travaille au supermarché du kibboutz.
Son mari semble avoir passé, comme ses enfants, ces 20 mois avec résilience et fatalisme.
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Mon amie Drora – 84 ans – vatika (ancienne) du kibboutz.
Le petit ami de sa petite-fille vit avec ses parents dans une grande villa au kibboutz Sdot Yam à côté de Césarée.
Nous lui avons également rendu visite.
Pour les Vatikim du kibboutz c’est toute leur vie.Le fait d’être un.e déplacé.e a une double sens : ne pas savoir quand aura lieu le retour et ne pas être chez soi est à cet âge une charge morale très lourde.
Leur attachement est plus que viscéral.
Tous sont arrivés dans les années 50. Ils ont vécu jusqu’au tournant des années 90 dans le mode collectiviste.
Si le kibboutz a finalement été privatisé c’est pour la raison suivante : Entourés par une société civile de consommation, ils se sont rendu compte qu’ils n’avaient pas accès à toutes sortes de confort. Après avoir donné 40 ans de leur vie, ils devaient en recevoir les agréments et dividendes. Le kibboutz collectif leur donnait tout sauf ce qui leur permettait de voyager, d’agrandir leur maison entre autres. Ils ne percevaient aucun salaire alors que théoriquement il existait. Leur future pension était gérée par un fond de pension du kibboutz.
Il y eu des drames lors de la privatisation quand ont été révélés les salaires.
Je mentionne un cas, il y en a eu d’autres.
Un des vatikim a travaillé au Pardess (orange, citron, avocat, banane) en tant que responsable durant ces 40 ans. Il découvre que son salaire est le smic quand d’autres… Le montant de sa pension a été réévalué.
Elle est accueillie dans une splendide maison et entourée d’attention constante.
En fait, cela semble idyllique mais elle habite « une chambre d’hôtel ».
Le reste de la maison elle y accède en tâchant au maximum de ne pas déranger. Son déracinement reste entier malgré les conditions. Lorsqu’on vit dans ces conditions à cet âge, on n’a envie de rien, même si on a de l’argent. Comme les bracelets où on fait tourner les boules, c’est exactement son état d’esprit.
Quand l’armée a donné son OK pour le retour à Hanita le 31 mars, le 1er avril matin elle franchissait la porte de sa maison. Remplie d’émotion, elle a pleuré, m’a-t-elle raconté.
Si son état psychique est bon, elle garde des séquelles. Elles se manifestent par des courbatures et d’autres bénignes maladies.
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Le troisième cas que l’on trouve parmi l’ensemble de la population, c’est le mien.
J’ai reçu un sms de l’armée le 9 octobre matin disant que tous ceux qui le peuvent partent dans l’heure.
A 14h je partais avec ma chienne pour Tel Aviv grâce à un ami taxi.
Dans mon esprit il s’agissait d’une opération comme les dernières qui eurent lieu à Gaza,soit pour une maximum de 12-15 jours. Il faisait très beau dans tout le pays. Je pars donc avec une petite valise et des vêtements d’été… pour 15 jours. Dans la précipitation j’avais oublié mon passeport. Je suis revenu le prendre 15 jours plus tard et une valise pleine avec des vêtements chauds. Il n’était plus question d’une opération de 15 jours.
Tel Aviv où habite, seul, mon neveu Samuel. J’avais oublié qu’il n’aimait pas les chiens. Très gentiment il a tenu le coup 5 semaines. Durant ces 5 semaines je n’étais pas vraiment au top. Parfois je ne me levais pas de la journée sauf pour promener Passiflora.
Une très bonne amie, Marie, m’a accueilli chez elle. Quand elle n’est pas en Israël,elle le AirbandBiz. J’ai trouvé que c’était la moindre chose que je lui règle les dépenses d’eau, de gaz et d’électricité.
Toute ma vie je me souviendrai de sa réponse : « Rien, c’est ma contribution à la guerre ». J’ai pleuré d’émotion.
Quelques bas pas très importants.
Toutes les bonnes choses ont une fin. Je suis parti le 10 janvier à Jérusalem dans le studio de la femme de mon frère qu’elle a trèss gentiment mis à ma disposition, le temps qu’il faudra.
Depuis le 6 janvier j’étais dans un état second : qui va pouvoir m’y conduire avec ma chienne ?
J’ai une autre grande chance. D’avoir mon meilleur ami, Guy, qui habite à Holon.
Merci à eux deux, lui et sa voiture d’être arrivés à bon port.
Ce 10 janvier j’étais en totale dépression.
L’arrivée dans le « studio » allait m’achever. Sa taille ne me permettait pas d’ouvrir ma valise.
Quand Passiflora s’allongeait pour dormir, je devais l’enjamber pour aller de mon lit à la kitchenette.
Ce n’était pas un studio mais une studette.
Ce mois à Jérusalem a été le pire de mon état de déplacé. Durant tout ce mois, j’ai été en dépression.
Au bout de mes forces, je décide de rentrer à Paris où ma famille habite.
Il faut comprendre que j’avais décidé de rester durant toute la guerre en Israël.
Quand je suis parti et jusqu’à mon retour, j’ai et j’ai eu ce sentiment d’abandonner mes amis et le pays.
Et depuis à Paris ? 3 mois de dépression totale. Ennui.
Après 16 mois je revois, en pleine forme, depuis mon arrivée la Galilée au fond de mon jardin.
A bientôt,
Michel
Hanita
Le 8 juillet 2025