Ma Nickie,
Ce matin j’ai marché derrière toi, pour t’accompagner à ton dernier lit.
Le violon, les prières, les discours puis le Kaddish, cette prière que nous espérons tous ne pas avoir à réciter.
« Ô Gardien d’Israël qui ne dort pas et ne s’assoupit pas, nous sommes le peuple de tes pâturages et l’agneau qui mange de ta main. Protège-nous par ton amour. Et si dans notre deuil, notre solitude et nos moments de désolation, nous perdons notre chemin, ne nous abandonne pas, Gardien, mais ramène-nous vers la foi ».
Ce cercueil qui semblait si grand, toi qui était si petite, j’espère qu’ils y ont glissé quelques bouteilles de champagne.
Ta mise en terre, cette terre versée avec mes mains tremblantes, ce caveau qui réunit tant des tiens, ta sœur partie si tôt et ceux jamais revenus d’Auschwitz.
Un peu plus tard, nous nous sommes retrouvés chez toi, ta famille, tes amis proches et pourtant, pardonne moi, je ne suis pas restée longtemps.
J’ai bu une coupe de champagne, comme nous l’avions toujours fait, mais ce monde qui déambulait chez toi, je n’ai pas pu.
Figure toi que j’ai failli faire décamper un monsieur que je ne connaissais pas et qui a pris ta place sur ce canapé qui nous a tant de fois réunies, la dernière fois c’était il y’a à peine deux semaines.
Dans ton appartement feutré, je m’attendais à te voir surgir.
Et puis, rien, tu n’es pas revenue.
Alors je suis partie.
Il paraît qu’on va se retrouver, garde du champagne au frais, Philippe apportera des livres et Gérard nous ouvrira les bouteilles.
Je t’aime, tu le sais, mais tu es partie trop tôt et trop vite.
Repose en paix ma tendre et fidèle amie.
Baroukh Dayan Haemet.
Leïla Ajdir Guibert
On n’a pas pleuré.
C’était au-delà des larmes.
D’ailleurs Nickie aurait détesté les larmes et la faiblesse qu’elles incarnent parfois.
Nickie avait le sens de la dignité, du quant-à soi, de la réserve bienséante que lui avait transmis ses parents.
Une réserve ourlée d’un puissant sens de l’humour et d’une capacité à l’embardée verbale qui n’ébréchait aucunement sa suprême élegance et son délicieux côté Ancien Régime biberonné aux codes sociaux les plus rigides qu’elle avait depuis des lustres balancés par-dessus les moulins.
Elle avait en son temps épousé des causes un peu moins conformes à ce que laissait présager son impeccable éducation, mais elle était maintenant en paix politique totale avec elle-même et avec les autres.
Ses enfants et les enfants de Gérard ont décrit une sorte de Pieta, madone d’amour qui avait substantiellement développé autant son coeur que son esprit.
J’écris et en même temps un goût amer me tapisse le palais à l’idée qu’elle ne me lira pas.
Le corset grammatical et lexical que je m’imposais était essentiellement la forme du respect que je tendais à son extrême compétence doublée d’une grande indulgence.
Mais Nickie est là bien sûr, même si j’ai jeté une pelletée de terre sur un cercueil plongé au fond d’un trou.
Nickie fait partie de ces êtres éternels, comme mon père, qui existent à jamais dans le coeur de ceux qui les ont approchés et aimés.
J’ai une pensée bouleversée pour Gérard, son siamois, son double fusionnel dont le souffle a vibré 43 ans au rythme de celui de sa femme.
J’espère qu’il retrouvera un peu de douceur de vivre, enlacé à jamais à celle qu’il a tant aimée.
Tu sais, Nickie, on a encore plein de choses à se dire.
Viens.
Écoute…
Michèle Chabelski
Va en Paix Nickie chérie. Que la Terre te soit légère. Baroukh Dayan Haemet. S.C.
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