Tribune Juive

Sommet de l’Otan. And the winner is… Par Francis Moritz

Dans un univers où les bruits de bottes sont devenus plus nombreux que le chant des oiseaux, la réunion de l’Otan et ses prolongements n’en a que plus d’importance. Tout ne sera pas dit à son issue, au-delà des communiqués savamment rédigés, politique oblige, essayons d’y voir clair. 

Qui se réunit ? 

Les 34 membres, dont 32 en Europe, 2 en Amérique du Nord, auxquels se sont joints récemment, la Suède et la Finlande. 

24 des 30 européens sont membres de l’UE, les 9 autres sont : États Unis, Canada, Norvège, Turquie, Islande, Albanie, Monténégro, Macédoine du Nord 

Cette réunion constitue un tournant historique pour l’Union Européenne et la défense européenne.

Quels en sont les enjeux ?

Les États Unis, exigent que les pays membres portent leur participation au budget de l’organisation à 5% de leur PIB brut contre 2% actuels et moins pour certains pays. C’est devenu une question majeure vu leur situation et l’impact sur leur budget. Le président Trump et la guerre en Ukraine ont eu un effet accélérateur. Les États Unis seuls contribuent pour 2/3 du financement total contre 1/3 pour tous les autres réunis. (Source le Stockholm peace research Institute)

La guerre d’Ukraine a mis en évidence la volonté américaine de voir les Européens prendre leur DEFENSE en mains et celle de l’Allemagne de se réarmer pour devenir la première puissance militaire conventionnelle en Europe.

L’Otan dépense environ 1506 milliards de US Dol. Les Américains contribuent pour les 2/3.

Désormais, l’UE en tête, tous les Européens membres doivent appliquer les nouveaux paradigmes très rapidement alors que très peu a été entrepris depuis des années. La France forte de sa dissuasion nucléaire, pas davantage. 

  1. Volonté de Washington de réduire sa présence en Europe. Donc recrutement impératif des armées, hommes de troupes, cadres, équipements, hébergements, etc…La répartition actuelle des troupes d’actives parmi les 28 pays européens serait la suivante (sous toutes réserve sur les chiffres) :

France 210.000

Allemagne 180.00

Italie 170.000

Pologne 150.000

Espagne 120.000

Grèce 110.000

Royaume Uni 150.000

NB. hors commandement de l’Otan, hors Turquie

Les moyens

Au-delà des intentions, reste à vérifier si l’intendance suivra. Pour ce faire, le niveau d’endettement des grands pays en dit long sur leur capacité respective.

Endettement vs Produit Intérieur Brut

Le palmarès européen est le suivant :

Grèce 153% 

Italie 135%

France 113%

Belgique 104%

Espagne 101%

Pologne 58%, passera à 65% en 2026 

Allemagne 66,1%, de très loin le pays le plus puissant d’Europe et le moins endetté.

La France, à la recherche de 40 milliards d’économies, n’a pas encore figé son budget pour 2026 et envisage, au mieux, un déficit de 5,4% avec une dette de 3.345 milliards (1°T.2025) en croissance ininterrompue. Le service annuel des intérêts dépasse le budget de l’éducation nationale. 

L’Allemagne affiche des ambitions internationales. Elle prévoit une dette massive. Elle a validé son budget 2025 et son plan financier jusqu’en 2029. Elle augmentera ses dépenses militaires à hauteur de 3,5% de son PIB en empruntant de l’ordre de 400 milliards €

Pour 2026/27 Berlin prévoit des investissements records afin de stimuler son économie, la plus importante d’Europe pour obtenir une croissance supérieure à l’actuelle.

Il est également prévu des baisses d’impôts (en lien avec l’investissement) 

Le chancelier MERZ a déclaré à plusieurs reprises vouloir faire de la Bundeswehr la toute première armée conventionnelle en Europe. L’Allemagne devra recruter de 50 à 60.000 hommes supplémentaires soit de 10 à 12 brigades de 5.000 hommes, y compris le gite, le couvert, l’armement, l’artillerie et le logistique correspondantes.

Jusqu’à maintenant les efforts de recrutement n’ont pas donné de résultats satisfaisants. Le ministre de la Défense, Boris Pistorius, réputé l’homme le plus populaire d’Allemagne est face à l’éventualité de rétablir le service militaire supprimé en 2011. Cette mesure a autant de partisans que d’opposants. Pour l’instant, la coalition a créé ce qu’elle appelle « un paquet attractif du recrutement » qui sera un service militaire volontaire. Les appels pour restaurer la circonscription sont croissants. Cependant le ministre souligne que ce serait aller trop vite, car on ne connaît pas encore le résultat du volontariat, de plus la logistique, les casernes ne seraient pas prêtes pour accueillir une vague de conscrits. Donc on tempère, d’autant que nombre d’experts jugent les objectifs allemands trop ambitieux.

Ce qu’on ne dit pas

En parallèle avec le sommet de l’Otan s’est déroulé un forum politico-militaro-industriel. Car si le développement des capacités militaires ne fait pas le bonheur de tout le monde, c’est un objet majeur de développement pour l’économie, donc les fabricants.

Il y a plusieurs volets

Intégrer la haute technologie dans la guerre moderne

L’irruption extraordinaire de l’intelligence artificielle (IA) 

Les performances réalisées par Israël dans son conflit avec la République Islamique a été une démonstration hors du commun de ce qu’un petit pays de moins de dix millions d’habitants et de 22.000 m2 pouvait infliger à un adversaire de 90 millions d’habitants et de 1.648.000 km2

L’importance des drones était dejà connue depuis 2020 durant le conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie.

Israël a su intégrer la cybernétique

dans des opérations combinées terrestres-aériennes-navales. Ce qui constituait une représentation beaucoup plus effective qu’un stand au salon du Bourget. Les leçons à en tirer sont multiples :

C’est ce qui se passe entre l’Ukraine et la Russie, industrie contre industrie.  Il faut produire plus, plus vite et plus performant. Ces trois paramètres deviennent impératifs et déterminants en temps réel. Il y avait plus de 400 participants à ce forum, autrement plus important que le salon du Bourget, 

En conclusion 

Les États-Unis : ils progressent très rapidement dans l’intégration de l’IA. 

L’administration Trump pousse à une forte accélération de cette nouvelle guerre de haute technologie, qui suscite une euphorie dans la Silicone Valley. Le budget militaire représente dejà plus d’un tiers des dépenses militaires mondiales. Il sera augmenté de 13,4% pour atteindre 1010 milliards de dollars.

Union Européenne: Le ministère de la défense allemand a désormais un « Commissaire à la gestion des armements stratégiques » le cofondateur de la start-up Helsing, citée en exemple de ce que doivent être les industriels. Cette société produit des drones suicides pour l’Ukraine, pilotés par l’IA, indétectables par les brouilleurs. Elle est envisagée pour le développement d’un mur de drones sur le flan Est de l’Otan. Helsing développe des systèmes d’IA pour avions de combats, sous-marins, chars. Ses produits, en collaboration avec le suédois Saab. Ces sociétés devraient équiper les Eurofighter. Un autre fabricant de drones allemand est en plein essor, Quantum systems, fournisseur de l’Ukraine. Cette société participera au développement d’un futur avion de combat de sixième génération (sortie dans 10 ans ou plus) 

Les obstacles

Devant la diversité des modèles, des technologies, comment les industries européennes intègreront elles à la même vitesse …  et conjointement en vue de standardiser les armements dans l’UE en particulier. 

En son absence, décidée politiquement et choisie, on ne pourra jamais parler de défense européenne. 

On ne le répète pas souvent, en 2023 l’Allemagne a commandé à Israël un système de défense anti aérienne Arrow 3 et s’intéresse deja au futur Arrow 4. L’équivalent n’existant en Europe à date.

Europe – États-Unis

Entre les États-Unis et l’Union Européenne il y a une lutte quotidienne. Les Américains concluent des accords de coopération directement avec des sociétés allemandes :

Rheinmetall avec l’Américain Anduril pour la production de drones. Une telle politique ralentit d’autant le développement entre européens qui vise à la plus large autonomie, voire à son indépendance, but encore lointain 

Les résultats du sommet et du forum militaro industriel de mardi

D. Trump revient avec un carton plein après l’opération en Iran et le « cessez le feu » verbal. 

Ce qu’a obtenu l’Europe est contrasté et ne répond qu’en partie aux attentes des dirigeants. Dès le 9 juillet les nouveaux tarifs douaniers entre UE et États Unis entreront en vigueur et on s’attend la aussi à ce que ce soit Washington qui en sorte largement bénéficiaire au détriment des européens dont la Commission n’a que très peu obtenu. C’est, presque une capitulation.

 Les Européens, après les 5% dont 3,5% destinés au renforcement direct militaire et 1,5% aux annexes, tels cybernétique, infrastructures divers, moyens de mobilités etc… validés d’ici 2035 ; sont convenus d’une révision probable en 2029, 

12 pays ont marqué leur désaccord sur cette obligation. L’Espagne a obtenu une dérogation à 2,1% En acceptant ces contraintes, l’Europe se trouve face à un énorme défi. Ce qui va déboucher sur un autre type de société, militarisée.  La France, qui vit à crédit, doit repenser en totalité son mode de fonctionnement pour y parvenir car son endettement est une contrainte énorme qui augmente sans cesse…

Le revers européen

En Europe le programme européen EU SAFE (Security action for Europe) créé un fond de 150 milliards d’euros à taux préférentiel pour permettre des achats de matériels communs. La France souhaitait limiter la possibilité d’acheter hors d’Europe à 15% pour accélérer l’intégration européenne, et aussi en pensant à sa propre industrie militaire. Suivant la demande de 12 pays, 

L’accord s’est fait sur 35%. Pour des achats en pays tiers (États Unis, Corée du Sud) au motif que ces pays ont dejà du matériel de ces origines et de livraisons en quantités et délais largement plus favorables qu’en Europe. C’est un revers sérieux et un frein réel à la montée en puissance d’une Europe de l’armement. La Pologne et autres pays pourront continuer et renouveler telle ou telle arme (avions F35, Chars Abrams, K1), hors zone Europe et de fait, maintenir la diversité actuelle et conserver une large dépendance au complexe militaro industriel américain.

Un fonds REARM EUROPE de 800Md d’Euros a été créé, mais aucune part budgétaire européenne commune n’a été validé dans un cadre spécifique de l’Otan. Ce qui reste donc flou.

Tournant stratégique

Le risque est réel de voir la France et l’Allemagne passer d’une coopération à une compétition politique et économique, fonction de leurs intérêts nationaux. Les chiffres sont sans appel. 

Berlin : a modifié sa constitution (loi fondamentale) la dépense est désormais exemptée du frein de l’endettement. Ce qui permet un endettement supplémentaire de 379 milliards d’ici 2029 soit au total 847 milliards y compris défense, climat, infrastructures. Berlin empruntera et dépensera de 2025 à 2029 649 milliards d’euros et atteindra jusqu’à 162 milliard d’Euros en 2029)

Paris: En 2024, pour les dépenses militaires, la France est le 9° pays mondial et le 2° après Berlin. En 2025 la France atteindra 50,5 milliards hors pensions et de 2024 à 2030 413 milliards soit 59 milliards par an. L’objectif est d’atteindre 3,5% à la fin de la décennie en Europe, après l’Allemagne qui passe de 95 milliards en 2025 à 162 en 2029.

Ainsi va le monde, quand il va,

© Francis Moritz

Sources

The military balance international institute for strategic studies Otan, Defense expedenditures of Nato countries, Global fire power index, Rapport de la Commission de la défense, France, Weissbuch Bundeswehr, Bundestag, SPRI Stockholm international peace institute


Francis Moritz a longtemps écrit sous le pseudonyme « Bazak », en raison d’activités qui nécessitaient une grande discrétion.  Ancien  cadre supérieur et directeur de sociétés au sein de grands groupes français et étrangers, Francis Moritz a eu plusieurs vies professionnelles depuis l’âge de 17 ans, qui l’ont amené à parcourir et connaître en profondeur de nombreux pays, avec à la clef la pratique de plusieurs langues, au contact des populations d’Europe de l’Est, d’Allemagne, d’Italie, d’Afrique et d’Asie. Il en a tiré des enseignements précieux qui lui donnent une certaine légitimité et une connaissance politique fine. Fils d’immigrés juifs, il a su très tôt le sens à donner aux expressions exil, adaptation et intégration. © Temps & Contretemps


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