
D’un côté, nous avons Boualem Sansal, un écrivain qui fait rayonner la francophonie dans le monde entier ; de l’autre, il y a Doualemn, vain tiktoker qui aimerait faire bastonner les opposants à la gérontocratie algérienne. L’homophonie est presque parfaite entre le prénom du premier et le pseudonyme du second, sauf que la fin de Doualemn se prononce « m » « n », ce qui est somme toute logique pour quelqu’un qui a lancé un appel à la violence.
On ignore pour quelle raison de nombreux médias ont présenté le dénommé Doualemn (Boualem Naman de son vrai nom) comme un simple influenceur. En effet, dans la mesure où il a appelé à la violence contre un opposant au régime algérien, il a cessé d’être seulement un influenceur pour devenir également un agent d’influence, soit un propagandiste au service des intérêts politiques d’une puissance étrangère. Faire du placement de produit pour une crème hydratante ou militer pour le rétablissement de la question médiévale en cas de crime de lèse-majesté, ce n’est pas tout à fait la même chose… Il n’y a guère qu’à l’extrême gauche que l’on peut encore faire la confusion entre influenceur et agent d’influence, comme on confond déjà résistant et terroriste ou encore mollah et démocrate.
Quant à Boualem Sansal, c’est un écrivain qui dit la réalité. Il est donc considéré comme un dangereux subversif dans notre monde où le narratif wokiste dominant impose sa version matrixée du présent. C’est sans aucun doute pour cela que la justice algérienne l’a emprisonné et c’est peut- être pour cela que les autorités françaises ne montrent pas beaucoup d’empressement à le faire libérer.
Deux salles, une ambiance !
Dans ces deux affaires qui ont dépassé le strict cadre judiciaire pour atteindre une dimension diplomatique, on pourrait croire que les magistrats français et algériens se sont concertés tant leurs décisions sont complémentaires pour rendre in fine raison à l’Algérie. En effet, tandis que la justice algérienne embastillait immédiatement Boualem Sansal (sans même lui permettre de rencontrer son avocat jugé trop juif), la justice française garantissait la liberté de circulation et la liberté d’expression de Doualemn :
– d’abord, le 29 janvier, le tribunal administratif de Paris a suspendu son processus d’expulsion. La routine pour un système judiciaire français kafkaïen qui passe une large partie de son temps à infirmer des OQTF inappliquées qu’il a lui-même émis.
– ensuite, le 6 février, le tribunal administratif de Melun a annulé cette OQTF pourtant déjà virtuelle et, cerise sur le gâteau, a condamné l’État à verser 1200 euros d’indemnités au sieur Doualemn. Bref, au lieu de le virer, on lui a fait un virement et c’est l’affluence d’argent pour l’agent d’influence. On est heureux d’apprendre que la salle de fitness privée de Salah Abdeslam n’a pas épuisé tous les crédits du ministère de la justice puisque nos impôts financent aussi l’agent d’influence d’une puissance hostile à la France… Si j’étais Vladimir Poutine, je viendrais clandestinement à Paris pour réclamer une pension !
– puis, le 6 mars, le tribunal correctionnel de Montpellier a prononcé à l’encontre de Doualemn une condamnation de 5 mois de prison avec sursis pour son appel à la violence. Donc, si j’ai bien compris, la justice hexagonale a annulé la procédure d’expulsion (qui n’est de toute façon quasiment jamais appliquée) concernant un individu en situation irrégulière (auteur de surcroît d’un appel à la violence) afin d’avoir ensuite la possibilité de condamner ledit individu à…rien. Ne pas s’étonner ensuite que les tribunaux soient engorgés.
– enfin, le mardi 18 juin dernier, le tiktoker -qui colle à la France comme le sparadrap du capitaine Haddock- est ressorti libre du Centre de Rétention Administrative du Mesnil-Amelot. On l’imagine regagner son domicile en chantant à tue-tête la bande originale de « La reine des neiges », heureux de retrouver les nouveaux followers et de célébrer les nouveaux revenus que ce buzz médiatico- judiciaire lui aura probablement procuré.
En résumé, à la suite de son Tour de France des tribunaux, Doualemn est assuré de devenir un symbole de liberté pour la junte algérienne qui, quant à elle, détient toujours un ressortissant français en otage… Ubu roi ? Non, empereur !
La lyre et le couteau
A noter que l’opposant visé par l’appel à la violence de Doualemn serait le poète berbère Mohamed Tadjadit (actuellement prisonnier politique) : une fois de plus, on constate la haine irrépressible du régime algérien et de ses relais médiatiques à l’égard des gens de lettres (1).
Montesquieu, Diderot, Rousseau et Voltaire étaient morts en 1789, mais ce sont leurs livres qui ont abattu les murs de la Bastille et l’absolutisme de droit divin. Et c’est parce que le pouvoir dictatorial algérien sait que l’écriture et la lecture constituent les fondements de la liberté de pensée que ses prisons sont encombrées d’écrivains et de poètes, tandis que les islamistes pseudo-repentis de la
« Décennie noire » ont bénéficié de la clémence de la justice et déambulent désormais en toute impunité dans les rues, croisant et narguant les familles de leurs victimes. Bref, le système judiciaire algérien considère que la lyre du poète est plus dangereuse que le couteau du terroriste et que la césure d’un vers est un crime bien plus grave que celle d’une tête… C’est pourquoi l’écrivain qui a fait couler l’encre est condamné, tandis que l’assassin qui a fait couler le sang est gracié.
Il est vain, cependant, de se scandaliser du traitement infligé à Boualem Sansal par le régime algérien. Après tout, cette junte militaire d’extrême droite fait juste son sale boulot de dictature en muselant la liberté d’expression… Rien d’original ou de surprenant !
En revanche, on peut légitimement s’interroger quand le gouvernement et le président du pays des Droits de l’Homme n’agissent pas pour obtenir la libération de l’un des plus grands écrivains français condamné pour délit d’opinion.
Un ministre des Affaires étranges, erre…
Que penser en effet du ministre français des Affaires étrangères, qui mobilise tous les moyens de la République pour voler au secours de deux autres pseudo-influenceuses en croisière (menacées, tout de même, par des sandwichs israéliens !), mais qui abandonne Boualem Sansal dans sa geôle ?
Outre qu’on est stupéfait d’apprendre qu’il est désormais possible de concilier la navigation de plaisance et le militantisme gauchiste (Yachtmen de tous les pays, unissez-vous !), nul n’oublie que, le 6 avril dernier, ce même ministre des Affaires étrangères était allé à Alger -comme on va à Canossa- pour rien puisque Boualem Sansal est resté depuis, derrière les Barrot.
Faut pas prétendre jouer les Zola quand la ligne diplomatique officielle de la France à l’égard de l’Algérie est celle de la repentance post-coloniale et, qu’au lieu d’écrire « j’accuse ! » pour libérer un écrivain innocent, on psalmodie « je m’excuse » à l’oreille de tyrans corrompus…
L’Élysée frappé du syndrome d’Alger
Que dire également d’Emmanuel Macron, extrêmement pugnace et même téméraire quand il s’agit de menacer Poutine ou quand il faut faire l’exégèse des propos de Trump, mais totalement déliquescent quand il se retrouve face au président Tebboune ? Il se voulait Mozart, il ne fut que Daladier.
On se souvient ainsi de « la France macronito-sioniste », insulte adressée au président français dans « Algérie Presse Service », l’AFP algérienne. Ladite insulte (par ailleurs à teneur antisémite) est curieusement restée sans réponse à ce jour… Le pouvoir algérien a donc intégré que la République française est un paillasson sur lequel il peut impunément s’essuyer les pieds.
Le problème, c’est qu’Emmanuel Macron, en tant que président, ne s’appartient pas puisqu’il incarne la République et représente tous les français. En ne répliquant jamais aux provocations et aux injures du pouvoir algérien à son égard, il tolère par conséquent que la France et les français soient humiliés à travers lui.
Le syndrome de Stockholm est cet étrange dérèglement psychologique qui conduit des otages à éprouver une empathie contre-nature à l’endroit de leurs ravisseurs et à soutenir leurs revendications. L’Élysée serait plutôt atteint, en ce qui le concerne, du « syndrome d’Alger », soit une toute nouvelle pathologie dont les symptômes sont l’indifférence à l’égard des otages français et la soumission face à leurs kidnappeurs. A moins que l’on ait affaire à une résurgence de l’épidémie munichoise de 1938… Si c’était le cas, les labos pharmaceutiques n’ont pas encore produit de vaccin à arrêt-haine immunisant à la fois contre le virus de la dictature qui sévit à Alger et contre celui de la lâcheté qui se répand à Paris.
Le poète a toujours raison
Et pendant que Boualem Sansal croupit en prison, à gauche, on compare Rima Hassan à…Victor Hugo ! Victor Hugo, rien de moins ! Et mon Delogu, c’est du Poulet ?
Boualem Sansal, immense écrivain dont on n’a peut-être pas encore totalement mesuré l’importance, est atteint d’un cancer. Il meurt à petit feu en prison. Et, « en même temps », meurt l’œuvre littéraire qu’il portait encore en lui. Le pouvoir algérien vient d’inventer l’autodafé préventif et la France officielle détourne les yeux. Sans doute que cette France officielle, dont la capitale morale est Munich, considère-t-elle qu’il est préférable de laisser brûler son patrimoine littéraire plutôt que de risquer l’embrasement de certaines banlieues. Pour ma part, je ne parierai pas sur la longévité d’une culture qui préfère un tiktoker allogène à un écrivain français.
« Le poète a toujours raison/Qui voit plus haut que l’Horizon/Et le futur est son royaume » chantait Jean Ferrat… Une société qui enferme ses poètes et une société qui ne les protège pas avortent toutes les deux de leur avenir. Pour chaque auteur en prison, après chaque autodafé (réel ou virtuel), c’est un peu de civilisation qui s’éteint.
Une ultime question reste en suspens : pendant que l’écrivain Boualem Sansal agonise en cellule, est-ce que le président de la République française, après avoir reçu les youtubeurs McFly et Carlito à l’Élysée, va également y inviter le tiktoker Doualemn ?
(1) L’Algérie n’a pas besoin de poètes ! – Rupture
© Marc Hellebroeck