
C’est une tendance aussi tenace que ridicule : dès qu’un débat effleure l’islamisme, l’immigration ou les exigences communautaires, certains militants en quête d’audience dégainent une Shoah fantasmatique visant les musulmans. La ficelle est grosse, mais le pathos est efficace : qui oserait répondre, sans risquer l’anathème ?
La dernière en date à dégainer le chèque mémoriel sans provision s’appelle Shannon Seban. Avec assurance, et probablement cette autosatisfaction tranquille qu’on acquiert dans les cercles parisiens où l’on confond audace et paresse, elle a osé comparer la situation des musulmans en France aujourd’hui à celle des Juifs dans les années 30-40.
Chère Shannon, il faut oser. Et vous avez osé. Vous avez franchi la ligne rouge du ridicule en talons aiguilles — mais vous n’êtes pas la première. À force de vouloir transformer chaque musulman en Dreyfus, vous finirez par rendre l’affaire grotesque.
Non, les musulmans ne sont pas les nouveaux Juifs. Et vous le savez très bien.
Il n’y a pas, en 2025, de statut de sous-citoyen musulman.
Il n’y a pas de lois d’exception, pas d’étoiles cousues, pas de déportations. Il y a, au contraire, une obsession de la diversité, des campagnes contre l’islamophobie, des nominations à la pelle dans les institutions, les médias, les universités, les syndicats.
Où sont les rafles de l’aube, les wagons plombés, les caves de la Gestapo ?
Là où le Juif d’Europe était pourchassé pour ce qu’il était, le musulman en France est aujourd’hui critiqué pour ce que certains font en son nom. Nuance essentielle, que votre lyrisme piétine.
Pas de crimes au nom du judaïsme. Pas de zones sous contrôle juif. Pas d’États protecteurs.
Dans les années 30-40, les Juifs ne revendiquaient ni statut à part, ni lois spéciales. Ils n’exigeaient pas d’aliments casher dans les cantines, pas de non-mixité dans les piscines, pas de jours fériés religieux dans les entreprises.
Ils ne tuaient personne en criant « Yahvé Akbar ».
Ils ne menaçaient pas des profs d’histoire.
Ils ne tuaient pas des enfants dans des écoles.
Ils n’étaient soutenus par aucun État étranger. Aucun équivalent du Qatar, d’Ankara ou d’Alger ne finançait des rabbins activistes ou des synagogues radicales.
Ils ne transformaient pas des quartiers entiers en zones d’exception, où la République est absente et la loi du caïd dominante.
Et surtout, chère Shannon, il n’y aura pas de commandos de franchouillards armés de saucissons-pinards pour organiser une ratonnade nationale dans des territoires où la kalash fait reculer la police. Vous prêtez à la majorité silencieuse une violence qu’elle n’exerce pas, pendant que vous excusez celle d’une minorité tapageuse.
L’antisémitisme des années 30 était une politique d’État. L’islamisme d’aujourd’hui est un défi à l’État.
Vous inversez les rôles avec une désinvolture sidérante.
Les Juifs étaient une minorité parfaitement intégrée, loyale, souvent patriote, parfois même héroïque. Ils étaient Français sans guillemets, sans double allégeance, sans revendication séparatiste.
Ils ont été exterminés sans qu’aucun crime ne leur soit reproché.
Aujourd’hui, les tensions autour de l’islam ne naissent pas d’une paranoïa raciste, mais de faits concrets : attaques terroristes, pressions communautaires, refus de l’assimilation, revendications identitaires.
Les Juifs de 1939 n’ont jamais demandé à vivre à part.
Certains islamistes de 2025 veulent que la France s’adapte à eux.
En confondant tout, vous salissez tout.
En comparant la situation des musulmans français à celle des Juifs sous Vichy, vous commettez une double indécence :
• Vous banalisez la Shoah, réduite à un joker rhétorique pour faire taire les débats sur la laïcité, l’immigration, le vivre-ensemble.
• Vous absolvez les islamistes, en les drapant dans une posture de victime absolue, au mépris des victimes réelles de leurs actes.
Il n’y a pas de camps pour les musulmans, Shannon. Il y a des écoles, des mosquées, des chaînes YouTube, des élus communautaires, des influenceurs, des relais dans les médias et dans la politique.
Il n’y a pas de solution finale à l’horizon. Il y a, au contraire, une République qui plie, recule, tergiverse, et se fait insulter pour ne pas avoir assez cédé.
Conclusion : ne jouez pas à ce jeu-là.
Vous croyez sans doute faire œuvre de justice. Vous ne faites qu’alimenter une confusion délétère.
À force de vouloir faire des musulmans les nouveaux Juifs, vous rendez l’antisémitisme invisible et la dénonciation de l’islamisme inexprimable.
À force de croire que tout se répète, vous empêchez de voir ce qui change radicalement : la nature de la menace, le rapport au pays, la force d’entraînement identitaire.
Vos propos chère Shannon, sont un outrage à l’Histoire, une insulte aux victimes de la Shoah et de l’antisémitisme.
Chère Shannon, on ne met pas une kippa sur une burqa.
Ni un voile islamique sur la Shoah.
© David Duquesne
Infirmier, David Duquesne est l’auteur de « Ne fais pas ton Français! Itinéraire d’un bâtard de la République », paru chez Grasset en 2024, récit de sa douloureuse assimilation en tant que fils d’une musulmane d’origine algérienne et d’un français.
« Je suis né dans le Nord, à Lens, au coeur d’un quartier populaire. Ma mère Houria, d’origine kabyle, dut se battre pour s’arracher au traditionalisme familial. Elle rencontra mon père à l’usine, à la fin des années 1960. Je suis le fils d’une musulmane d’origine algérienne et d’un Français.
J’ai grandi avec ce double héritage, voyant mon quartier changer, les positions identitaires se crisper, le désir d’intégration se désintégrer, le communautarisme s’emparer des familles, la défiance et la violence s’installer, l’islamisme gagner du terrain…
Éduqué par la République, je partageais et défendais farouchement ses valeurs universalistes. Aux yeux de la communauté d’origine de ma mère, j’étais un traître ; aux yeux de certains Français, soit un métèque à jamais incarcéré dans ses origines, soit un provocateur « islamophobe ».
Pour sortir de cet étau, j’ai décidé de raconter l’histoire de ma douloureuse assimilation, qui témoigne du déchirement vécu par tant de « transfuges identitaires » dans une France en mutation ». David Duquesne