
Il m’arrive souvent de citer cette phrase prononcée par le fameux et facétieux réalisateur américain Billy Wilder, né en Galicie en 1906 et qui vivait en Allemagne avant d’émigrer aux USA via la France : « Les pessimistes ont fini à Hollywood, et les optimistes à Auschwitz ».
Contestée et parfois tournée en dérision, cette citation ne doit rien au hasard si on s’intéresse un tout petit peu au parcours dudit Wilder, et au nombre de membres de sa famille qui ont péri dans les camps de concentration et d’extermination d’Auschwitz Birkenau.
Je reprends aujourd’hui cette citation, sans me livrer au « point Godwin » détesté par Apolline de Malherbe quand il est utilisé par Maitre Jakubowitz, moins pour les parallèles puérils de Thierry Ardisson.
Je le reprends pour constater qu’au sein des Français juifs (ou des Juifs français c’est selon), l’optimisme et le pessimisme se disputent les esprits en ce moment. Il arrive même, chez chacun d’entre nous, peu ou pas immunisés contre le malheur et le désarroi nés de la tentative génocidaire du 7 octobre, de passer d’un état à l’autre au gré de ce que nous entendons, lisons, voyons… Subissons serait -je pense- un verbe plus précis.
Des « faits » qui s’additionnent
Le pessimiste en moi s’est plus que jamais ces derniers jours retrouvé confronté au feu roulant d’une actualité portée par le conflit de Gaza. Un conflit qualifié, au plus haut sommet de l’état de tentative génocidaire, qui n’en finit pas de débrider tout ce que ce pays compte de porteurs de haine envers les Juifs. Et ils sont nombreux. Pas seulement à LFI, pas seulement parmi les populations originaires du Maghreb ou de terres d’Islam.
Je fus principalement témoin il y a quelques jours d’une scène, profondément choquante, en plein Paris 20ème, qui me renvoya à ce que connurent les Juifs en Allemagne, avec la montée progressive mais rapide au pouvoir d’Hitler et de ses troupes, en particulier dans la foulée de la Nuit de Crystal.
Je lus ensuite pendant le week-end l’ouvrage « La Fin des Juifs de France ? » de Dov Maïmon et Didier Long. Les deux auteurs, foule de chiffres et d’interviews à l’appui, annoncent la possible disparition de la « communauté juive française » à l’orée 2050. Leur thèse principale est en substance : « la République ne peut plus (ne veut plus ?) protéger ses citoyens juifs, forçant certains à envisager l’exil et l’Alyah, celle-ci n’étant cependant pas envisageable pour les plus modestes qui sont aussi les plus nombreux. »
Le pessimiste en moi
J’aurais pu comme d’autres compenser en riant à gorge déployée de la croisière des pieds nickelés de la palestinophilie, avec Greta, Rima et leurs amis.
J’aurais pu faire du sport pour que montent en moi les hormones du bien-être.
J’aurais pu écouter de la musique, comme j’aime tant le faire, me plonger dans une série ou, mieux encore, m’évader en ouvrant un bon roman, si possible bien épais et très éloigné de la France en ce mois de juin 2025…
Mais non, je n’ai rien fait de tout cela. La part de pessimisme en moi a au contraire pris soudain tout l’espace et m’a poussé à écrire un texte, devenu une chanson. Comme pour « Esseulés » il y a quelques mois (1) dans lequel je pointais notre déréliction et notre sentiment d’abandon, je me suis lancé dans ce texte au petit matin, après une nuit presque totalement blanche. Les mots venaient tout seuls. Les larmes aussi…
J’en ai parlé le lendemain avec plusieurs de mes amies ou amis à qui j’ai tenté de faire écouter ma chanson. Les réactions furent très variées quand j’expliquais redouter que « pour nous, ici, c’était peut-être foutu… ».
Si certains abondaient dans mon sens, d’autres me reprochaient mon défaitisme et m’expliquaient, parfois sur le ton de la colère, qu’il était « hors de question de céder à la peur et au défaitisme ». Qu’il était « interdit de baisser les bras et que nous allions nous battre, car ce pays était le nôtre, quoi qu’il en coûte« .
Et vous, qu’en pensez-vous ?
Je peux entendre cet argument, je peux aussi le contester en partie. J’ai donc choisi de vous soumettre mon texte, partiellement autobiographique, qui imagine un Français Juif, en proie au désarroi, s’interrogeant sur sa capacité à demeurer dans son pays de naissance et de cœur.
Le train roulant de l’Histoire « avec sa grande hache » comme le disait Georges Perec va-t-il nous condamner à partir ? Et vous, qu’en pensez-vous ?
A MA FRANCE
J’ai puisé dans mes vers libres
Pour parler de toi, mon pays
Que je vois comme un bateau ivre
Comme un idéal trahi
J’étais si fier de toi,
Si fier de ton histoire
De ton hymne qui me faisait pleurer
Je m’accrochais à ton drapeau
J’étais un petit gars de France
Qui aimais tes femmes et tes chansons
Et qui aimais tes livres
Qui partageais tes passions
J’ai connu un pays sans haine
Ou à la haine sous le manteau
J’ai vécu sans peur et sans peine
Au pays de Zola et d’Hugo
Mais les histoires d’amour
Finissent mal, c’est banal
Me voici à contre-jour
Dans une prison, hexagonale…
Sans cesse, on me renvoie
A qui je suis ou pas
Me voici aux abois
Constatant les dégâts
Je suis un minoritaire
Victime que l’on peint en bourreau
Taureau grimé en torero
Condamné, seul sur la terre
Je porte sur mes épaules
Le poids de mes ancêtres
Toujours le mauvais rôle
Le nez à la fenêtre
Oui, les histoires d’amour finissent mal
Car pour aimer il faut être deux
Nous voici en phase terminale
Incapables d’espérer un avenir radieux
Tu veux que je parte, France ?
Tu ne veux plus de nous ?
S’il faut reprendre l’errance
Je suis prêt, plutôt que vivre à genoux
J’étais un petit gars de France
Qui aimais tes vins et tes chansons
Tes paysages et tes quêtes de sens
Pas tes jalousies et tes répulsions
J’étais un petit gars de France
Qui se souviens de son enfance
De ses rêves d’adolescent…
En pleurant
Moi, le petit gars de France
Qui va partir, puisqu’il le faut
Pas plus traitre que je ne suis un héros
Prends-soin de toi mon pays, je t’embrasse…
© Gérard Kleczewski
— Sarah Cattan (@SarahCattan) June 11, 2025