
Giora Eiland, ancien chef des opérations de Tsahal et ancien chef du Conseil national de sécurité d’Israël, fut l’un des architectes du désengagement de la bande de Gaza en 2005. Il dénonce ici l’inanité de l’opération « Chariots de Gédéon » dans la bande de Gaza, lancée par le Premier ministre.
Giora Eiland : La politique israélienne par rapport à Gaza est menée sans aucune planification stratégique. C’est une erreur fondamentale. Il faut toujours commencer par définir ce que l’on souhaite obtenir comme résultat, l’objectif possible et réalisable. Une fois cet objectif défini, on se demande comment y parvenir. Or depuis le début de la guerre, Netanyahou a refusé de suivre ce processus. Depuis le commencement, les présidents Biden et Macron, ainsi que beaucoup d’autres, sont venus en Israël. La plupart ont posé la même question, que Biden a formulée de manière très claire dès la première semaine : « Que se passera-t-il le jour d’après la guerre ? Quel est l’objectif stratégique ? Où voulez-vous en arriver ? » La réponse de Netanyahou a été à la fois stupide et insultante. Il a répondu : « Quand nous arriverons au jour d’après, nous parlerons du jour d’après. » C’est terrible.
Netanyahou aurait dû dire : « Monsieur le président, Israël n’a aucun intérêt territorial ou politique à Gaza. Notre seul intérêt est sécuritaire. Il consiste à ce que Gaza ne puisse plus jamais menacer Israël. Par conséquent, nous sommes prêts, ici et maintenant, à engager un dialogue avec tous les pays arabes modérés et les pays occidentaux, et je suis prêt à écouter toute proposition concernant l’avenir de Gaza à condition qu’il soit clair qu’il y ait derrière cette proposition à la fois la volonté et la capacité de démilitariser Gaza, afin qu’elle ne constitue plus une menace pour Israël. » C’est ce qu’il aurait dû dire, mais il ne l’a pas dit.
Depuis qu’il est revenu à la Maison-Blanche, Donald Trump a-t-il changé la donne ?
Il y a trois mois, nous avons manqué une réelle opportunité : Trump, dans une déclaration assez surprenante lors d’une conférence de presse avec Netanyahou, a dit que l’avenir d’une partie des Gazaouis ne se trouve pas nécessairement uniquement à Gaza, mais pourrait aussi être en Égypte ou en Jordanie. Les pays arabes en général, et ces deux-là en particulier, se sont tout de suite sentis sous pression et ont dû sortir de leur zone de confort. Un sommet arabe d’urgence s’est tenu au Caire, à l’issue duquel le président égyptien Sissi a déclaré de façon plutôt incroyable que l’Égypte était prête à assumer la responsabilité de la reconstruction de Gaza, ce que les Égyptiens fuient depuis des années ! Il fallait saisir l’occasion.
Malheureusement, Israël a dit non à l’initiative égyptienne, alors que sa réponse aurait dû être la suivante : « Il nous semble être une bonne idée que vous, les pays arabes, Égypte en tête, soyez responsables de la reconstruction de Gaza et, en fait, du contrôle de Gaza. Seulement, nous avons une condition : toute partie responsable de la reconstruction de Gaza doit prouver qu’elle a à la fois la capacité et la volonté de démilitariser Gaza. Si c’est le cas, parlons-en. » C’est ce qu’il aurait fallu faire. Netanyahou évoque un scénario de fin de guerre où Gaza serait démilitarisée, mais il n’a aucun plan sur la manière d’y parvenir, avec qui le faire, qui serait partenaire dans cette démarche, et comment cela se réaliserait concrètement.
Netanyahou a déclaré qu’à la fin de l’opération militaire « Chariots de Gédéon », « tous les territoires de la bande de Gaza seront sous contrôle sécuritaire israélien, le Hamas sera totalement écarté, puis nous appliquerons le plan Trump, qui est génial ». La guerre peut-elle aboutir à ce résultat ?
De deux choses l’une : soit nous n’y parviendrons pas, soit nous y parviendrons mais à un prix exorbitant. L’approche de Netanyahou constitue une erreur stratégique terrible. La principale raison en est l’évolution de la nature des guerres au XXIe siècle. Il n’est pas possible de contrôler un territoire où sont mélangés des terroristes et une population civile. Les Américains l’ont appris en Afghanistan, les Américains et leurs alliés l’ont appris en Irak, et nous l’avons appris nous-mêmes pendant dix-huit ans au Liban, de 1982 à 2000. C’est impossible. Le prix à payer serait très élevé et pourrait inclure des attentats quotidiens. Il faut également comprendre ce que cela signifie d’assumer la responsabilité sécuritaire : à partir du moment où nous déclarons que Gaza est sous notre responsabilité, le monde cessera de financer Gaza. On dira : « Puisqu’Israël est sur place, à lui d’assumer. Les égouts sont en panne ? Réparez-les. Le système d’eau ne fonctionne pas ? Il n’y a pas assez de nourriture ? Les hôpitaux sont défaillants ? À vous de gérer, c’est votre responsabilité. » Le coût d’un gouvernement militaire, ne serait-ce que sur le plan économique, se chiffre en milliards. Donc on envisage de débourser des milliards pour entretenir Gaza, subir des attentats en permanence et se retrouver en conflit avec le monde entier. C’est absurde.
Quelle serait la bonne stratégie selon vous ?
Il y a deux options, toutes deux préférables à ce que fait le gouvernement Netanyahou. La première consiste à accepter un accord de libération des otages , ce qui signifierait la fin de la guerre et l’engagement d’y mettre un terme. Contrairement à d’autres, je ne crains pas que le Hamas se renforce au point de pouvoir nous infliger un nouveau 7 Octobre. Cette solution serait préférable à la poursuite de cette effusion de sang. Quelque 70 % de l’opinion publique israélienne pensent que c’est cela qu’il faut faire. Mais ce n’est pas l’avis du gouvernement. La seconde option, préférable à mon sens, serait d’essayer, s’il en est encore temps, de saisir l’initiative égyptienne et dire : Israël est prêt à accepter la reconstruction de Gaza par les pays arabes, à condition que cela inclue la démilitarisation. Et là, Israël dispose d’un véritable levier. Sauf que nous ne menons aucun processus politique. Nous restons coincés avec les slogans du début de la guerre, du type « seule la pression militaire apportera des résultats », alors qu’on voit bien que cela ne fonctionne pas
Vous affirmez que Netanyahou aurait dû dire à Washington qu’Israël n’avait aucun intérêt territorial à Gaza. Pourtant, les déclarations de certains ministres sous-entendent le contraire.
Je soutiens que nous n’avons aucun intérêt à nous installer à Gaza. C’est absurde. Notre intérêt, qui va de soi, est que Gaza ne constitue plus une menace pour Israël. Cela, il n’est pas nécessaire de l’expliquer.
En revanche, lorsqu’on prétend que notre intérêt serait de réinstaller des centaines d’Israéliens au milieu de deux millions de Gazaouis, il faudrait que quelqu’un nous explique pourquoi.
Envisageons que le gouvernement continue sur sa lancée et aille au bout de l’opération « Chariots de Gédéon », où cela pourrait-il mener ?
Dans une très mauvaise direction, celle d’une poursuite sans issue des combats. Une partie des otages va mourir. Les corps de ceux qui sont déjà morts disparaîtront et il ne sera pas possible de les retrouver. D’autres soldats israéliens vont être tués. Les réservistes israéliens sont à bout.
Le monde entier est contre nous. Le coût économique est énorme.
Je ne sais pas qui est capable d’expliquer ce que nous sommes en train de faire. Il n’y a aucune cohérence dans la politique du gouvernement. Ce n’est pas que la guerre ne soit pas juste ou légitime, mais elle n’est pas menée de façon intelligente.
© Giora Eiland

Excellente analyse , Nethanyaou n a aucune strategie a long terme , il n exprime aucune vision alors que nos jeunes gagnent la guerre , notre gouvernement est incapable de batir une victoire politique , c est lamentable .