
On avait peint des colombes sur les murs décrêpis de la République, des fresques naïves où des enfants de toutes les couleurs se tenaient la main. Des barres HLM comme des cathédrales modernes, aux vitraux brisés par les cailloux, aux escaliers suintant l’urine et la peur. La gauche, cette grande sœur sentimentaliste du pouvoir, chantait des berceuses à un peuple qui ne dormait plus. Et SOS Racisme, cette fanfare de l’illusion, distribuait des badges comme on jette de la poudre aux yeux des aveugles. Vivre ensemble, disaient-ils. Comme s’il suffisait d’édicter la fraternité pour qu’elle pousse dans les fissures du béton.
Mais on ne décrète pas l’amour comme on ordonne un couvre-feu.
Il y a longtemps que certains avaient prévenu. Malika Sorel, prophétesse solitaire, hurlait dans le désert idéologique. On l’écoutait comme on écoute un chien aboyer dans la nuit : avec agacement et peur superstitieuse. Pourtant, elle parlait juste. La France n’était pas un monstre, pas une matrice de racisme, mais une mère fatiguée. Et certains de ses enfants, ou plutôt ses beaux-enfants par alliance de papiers et de visas, la giflaient à la moindre contrariété.
Car oui, il faut le dire, il y a parmi nous des ennemis du vivre ensemble. Ce sont les enfants d’un mariage forcé entre l’Histoire et l’Oubli. Ils ne veulent pas de la noce. Ils veulent l’héritage. Pas la filiation. Ils refusent l’hymne mais réclament la bourse. Ils ne veulent pas s’asseoir à la table de la République : ils veulent la renverser.
Ils frappent pour un regard. Ils égorgent pour une cigarette refusée. Ils tuent pour un mot. Pas toujours, non. Mais suffisamment pour que la peur devienne une compagne fidèle dans les couloirs du métro et les halls d’immeubles. Ils n’ont pas de drapeau. Mais ils ont un code. Ils n’ont pas de Dieu, mais des prêcheurs. Ils n’ont pas de pays, mais des quartiers. Leurs lois sont les lois du clan. Leurs valeurs : l’honneur, la vengeance, l’argent. Leurs maîtres : des caïds parfumés à l’huile de voiture volée, des imams à la barbe biblique et aux yeux de glace.
On a tout nié. Tout excusé. On a dit : pauvreté, relégation, chômage. Comme si la misère était un argument pour la barbarie. Comme si les souffrances autorisaient les crachats. Comme si l’échec social devait se payer en litres de sang.
J’ai vu cela ailleurs. À Bogotá. À Ramallah. À Grozny. À Chicago. Partout, le même masque : une haine qui se déguise en combat. Un désir de dominer qui se pare de nobles causes. L’islam ? Un alibi. Ce n’est pas une religion, ici. C’est un drapeau. Un masque de carnaval. L’excuse universelle du ressentiment.
Mais ils ne sont pas seuls à haïr. Car la haine, comme l’amour, est un tango. Elle se danse à deux. Et ce n’est pas le peuple qui est repu, las, honteux de lui-même. Non. C’est une caste de la société — médiatique, intellectuelle, administrative — suivie par quelques troupes militantes de gauche et d’extrême gauche, qui tente de faire croire que ce peuple est repu, las, honteux de lui-même. Qui veut imposer le renoncement comme horizon. Qui maquille la résignation en sagesse, l’effacement en progrès. Nous n’avons pas tendu l’autre joue : on l’a tendue pour nous. Et maintenant qu’elle est tombée, ils détournent les yeux.
Mais il n’y a pas de merci dans la bouche des enfants en colère.
© Charles Rojzman
Vient de paraître: « Les Masques tombent, le réel, arme secrète de la démocratie »
Quatrième de couverture :
« Sous les secousses visibles d’une époque en crise, quelque chose de plus profond vacille. Une âme. Celle d’un monde qui ne sait plus très bien ce qu’il cherche, ni ce qu’il fuit.
Dans l’âme de fond d’une société en crise, l’auteur descend au plus intime de la tempête. Il ne s’attarde pas aux symptômes — désordres politiques, fractures sociales, angoisses climatiques — mais tente d’en écouter le souffle souterrain, ce murmure confus d’une civilisation en perte de sens.
Quel est ce mal diffus qui ronge les sociétés modernes ? Quelle fatigue secrète traverse les individus, les peuples, les discours ? Et si la véritable crise n’était pas tant celle des systèmes, mais celle du cœur, de l’imaginaire, du lien ?