Tribune Juive

Christopher Laquieze. Voilà pourquoi je ne supporte pas le développement personnel



Parce que sous ses dehors apaisants, ses promesses de mieux-être et ses accents de sagesse intérieure, il masque l’une des plus grandes supercheries intellectuelles de notre époque : faire passer pour “cheminement spirituel” ce qui n’est, le plus souvent, qu’une manière habile d’adapter l’individu à un monde profondément malade — sans jamais questionner ce monde.

Le développement personnel n’est pas une tentative de libération mais une pédagogie de l’alignement.

Il vous enseigne comment respirer en milieu toxique, comment penser “positivement” en contexte absurde, comment optimiser vos “ressources internes” alors même que tout autour de vous appelle à la révolte.

Et cette capacité à nous rendre fonctionnels dans l’invivable est précisément ce qui le rend si efficace — et si dangereux.

Ce qui me gêne, ce n’est pas qu’il parle d’émotions, de confiance, d’éveil.

C’est qu’il le fait en retirant systématiquement toute lecture politique, toute prise en compte du contexte social, toute conscience de l’histoire.

Il ne demande jamais * »Pourquoi tant de gens souffrent de vide, d’angoisse, de fatigue, de perte de sens ? »*.

Il vous explique comment les rendre productifs malgré cela. Et on appelle ça « épanouissement ».

Mais quelle est cette idée de l’épanouissement qui ne passe jamais par une critique du monde,
qui considère toute tension comme un bug du mental, et toute douleur comme une occasion de “rebondir” ?
Depuis quand la lucidité est-elle devenue un obstacle à la santé ? Et pourquoi faudrait-il à tout prix “accepter ce qui est” — comme si ce qui est devait forcément être accepté ?

Le développement personnel repose sur un dogme implicite : le réel ne changera pas, c’est donc à toi de te réajuster.

Et c’est là, précisément, que je le tiens pour coupable : il ne vise pas à rendre les êtres libres, mais adaptables.

Il remplace la pensée par la gestion, le doute par le recadrage, le conflit par la respiration consciente.

Je suis contre le développement personnel parce qu’il transforme la souffrance en faute, le mal-être en problème technique et la fragilité en incapacité à “changer de regard”.

Je suis contre parce qu’il participe à cette immense entreprise contemporaine : la disparition du commun.

Il ne reste que des individus, seuls face à eux-mêmes, chargés de se “réparer”, pendant que les structures continuent de produire, d’user, de consommer.

Je suis contre parce que c’est une pensée qui a renoncé à toute pensée. Elle ne veut pas comprendre le monde. Elle veut le lisser, le digérer, le contourner. Elle parle beaucoup de conscience — mais oublie toujours la conscience de ce qui se passe réellement.

Je ne cherche pas à aller “mieux”. Je cherche à aller plus juste.

Car dans un monde qui exige constamment de nous que nous soyons performants, enthousiastes et alignés, refuser de l’être, c’est peut-être la seule manière de rester vivant.

© Christopher Laquieze

Essayiste, Auteur, Christopher Laquieze est éditorialiste chez « Marianne » et « Bastille »

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