Tribune Juive

Les Trois Gardiens du Secret de « Lag BaOmer » : Rabbi Shimon bar Yohaï, Serah bat Acher et la Ghriba

Serah bat Acher, Rabbi Shimon bar Yohaï, La Ghriba

Par: David Ichoua Moatty

Université hébraïque de Jérusalem

Il est des secrets qui ne s’écrivent pas. On les chante. On allume autour d’eux des feux, on porte sur soi des amulettes, on les murmure près des tombes. Entre l’île de Djerba en Tunisie et la Galilée en Israël, entre la grotte de Méron et les pierres du sanctuaire de la Ghriba, trois secrets sont gardés : celui d’un homme, celui d’une femme, et celui d’un être sans nom. Trois porteurs de lumière.

Au cœur des célébrations de Lag BaOmer — remplies de bûchers, de piyoutim et de pèlerinages — brillent trois colonnes de feu. Trois figures, trois mystères :

Tous trois sont vivants — non par leur corps, mais dans la mémoire collective. Ils sont au cœur du mythe et du chant de la tradition judéo-tunisienne.

🧔 Rabbi Shimon bar Yohaï: le juste dans la grotte

À Lag BaOmer, tous les regards se tournent vers Rabbi Shimon bar Yohaï — ce maître qui fuit l’Empire romain et vécut treize ans dans une grotte, enveloppé de poussière et de lumière, se nourrissant de caroubes et buvant d’une source d’eau vive.

Même s’il n’est pas l’auteur du Zohar, son nom y est gravé à chaque ligne. Il ne vécut pas éternellement — mais son âme réside encore à Méron, à Djerba, et dans un chant que tous connaissent :

Hébreu                              Traduction française
בַּר יוֹחָאי, נִמְשַׁחְתָּ אַשְׁרֶיךָBar Yohaï, tu as été oint, heureux es-tu !
שֶׁמֶן שָׂשׂוֹן מֵחֲבֵרֶיךָD’une huile de joie plus que tes compagnons.

Rabbi Shimon est ce juste qui soutient le monde — le pilier du monde, reliant les sphères supérieures et inférieures, reliant le secret révélé à la simplicité profonde.

Voici un lien vers la version tunisienne du piyout « Bar Yohaï ».
Paroles : Rabbi Shimon Lavi ; Interprètes : Yishaï Taharani et Nehoray Boukhris – Projet « Al-Ghariba »

🧕 Serah bat-Acher : la témoin éternelle

Elle n’est presque pas mentionnée dans la Bible, et pourtant elle est devenue une figure intemporelle dans la tradition juive. Serah bat-Acher, petite-fille de Jacob, est selon le midrash celle qui annonça à Jacob que son fils Joseph vivait encore, et celle qui connaissait l’emplacement de ses ossements. On raconte qu’elle ne mourut jamais — mais qu’elle vécut à travers les générations, gardienne du secret de la délivrance.

Certains disent que sa tombe se trouve au cœur de la synagogue El-Ghriba sur l’île de Djerba. Dans une pièce intérieure où les femmes allument des bougies et déposent des coquilles d’œufs portant les noms de leurs filles, beaucoup voient un lieu sacré lié à sa présence. Là, elle est simplement appelée la Ghriba — l’étrangère, la préservée, la merveilleuse.

 🧕 La Ghriba: le corps sans nom

Si Serah bat-Acher est une figure avec un nom, la Ghriba est une figure sans nom — mais non sans présence.

Parmi les nombreux pèlerins de Lag BaOmer à Djerba, rares sont ceux qui demandent qui était la Ghriba — car elle a toujours été là. Était-elle une juste venue de Babylonie? Une prophétesse? Serah bat-Acher elle-même? Ou bien une âme collective, une sainteté féminine sans forme ni idole — seulement feu et seuil.

Durant la hiloula à El-Ghriba, des Juifs du monde entier viennent prier sur son lieu, allument des bougies, chantent des piyoutim, et tournent autour d’un espace qu’elle n’habite pas — et où pourtant elle est entièrement présente.

   La voix de la Ghriba dans le piyout

Et parfois, après les histoires et les commentaires, ce sont les mots chantés qui parlent le plus fort. Le piyout « Ana Ghriba » (« Moi, la Merveilleuse »), attribué à Asher Mizrahi (1890–1967), compositeur et chantre judéo-tunisien, perpétue cette présence. Il fut composé à la mémoire de Monsieur Khamais Cohen, trésorier de la synagogue de la Ghriba.

Dans ce texte, c’est la Ghriba elle-même qui parle à la première personne — une voix de bénédiction, de promesse, et de transmission. Le piyout reprend plusieurs éléments présents dans l’article : la promesse de protection pour ceux qui viendront lui rendre visite ; l’évocation de Serah bat-Acher, identifiée à la Ghriba, comme celle qui est entrée vivante au Jardin d’Éden ; et le rappel de son ascendance, en tant que petite-fille de Jacob, patriarche d’Israël. Le texte souligne également l’existence d’autres sanctuaires appelés Ghriba, situés à Kef (Tunisie), Annaba (Algérie) et dans le quartier Hafsia de Tunis, montrant ainsi l’ampleur géographique et symbolique du culte. Enfin, fait notable : ce n’est pas Rabbi Shimon bar Yohaï qui est mentionné dans le piyout, mais Rabbi Meïr — figure immensément populaire parmi les Juifs de Tunisie.

   Le piyout « Ana Ghriba » (« Moi, la Merveilleuse »)

Voici un lien vers le piyout « Ana Ghriba ».
Paroles : Asher Mizrahi ; Interprétation : Michael Sitbon, David Riahi, Gad Yishaï.

Voici les paroles du refrain ainsi que trois des sept strophes du piyout:

Source : Boukris, Ouriel, Hallel veZimra, Bnei Brak : L.B, 2023, pp. 374–375

Refrain :

Je suis la Ghriba, et je récompenserai de bien quiconque viendra me visiter et viendra à moi. Je suis Serah bat-Acher : je suis entrée vivante au Jardin d’Éden.

Première strophe :

Mon père Jacob s’est porté garant pour moi : l’Ange de la mort ne m’atteindra pas. Et quiconque viendra en mon lieu et y priera, ne verra jamais aucun mal.

Deuxième strophe :

Dans les villes je suis seule et isolée. Mes merveilles sont éprouvées et reconnues : à Kef, à Annaba, à Djerba — et à Tunis, à la Hafsia.

Sixième strophe:

Ô vous les visiteurs, que Dieu vous réjouisse. La Ghriba intercèdera en votre faveur. Rabbi Meïr veillera sur vous — en tout lieu, en tout chemin.

   Trois gardiens du secret. Trois strates de mémoire. Trois espérances.

En ces jours où nos frères et sœurs sont retenus en captivité, où notre pays est en guerre, et où le monde entier prie pour que cesse la souffrance —
Puissent-ils se lever dans les mondes supérieurs et plaider pour nous : Rabbi Shimon, par sa lumière émanant de la grotte,Serah bat-Acher, par la force de sa mémoire et la Ghriba, par sa sainteté mystérieuse.
Qu’ils intercèdent pour le retour des otages, la fin des effusions de sang, et l’avènement d’une paix véritable.

© David Ichoua Moatty

Université hébraïque de Jérusalem

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