Tribune Juive

La Chronique de Rachel Darmon. « Tout va très bien Madame la Marquise »

Semaine éprouvante. Yom ha Zikaron (la journée du souvenir), Yom Ha Haatsmaout (jour de l’Indépendance). Après la douleur et le recueillement, la joie explose. Passage – impossible pour certains – du deuil aux feux d’artifices. Cette année – ô combien symbolique – des incendies ont tout ravagé. Canicule extrême, vents violents, mégot oublié, origine criminelle terroriste, réchauffement climatique … Les flammes ont bouleversé le déroulement de ces deux journées nationales. Balayés les reportages télévisés sur nos héros disparus. Les chaînes de télévision montrent, en boucle, des images de gens fuyant leurs villages, de feux bloquant les routes, de pompiers combattant les brasiers. L’actualité brulante est plus forte que le souvenir. Le soir, des cérémonies ont été annulées. Aucun feu d’artifice. Dans ma tête, résonne la chanson « Tout va très bien, madame la marquise ». Pourtant, ce n’est pas ma chanson rock préférée. D’autres voient « la vie en rose ». Vit-on dans le même pays ? Comment y parviennent-ils ? Parfois je suis jalouse.

Le lendemain de la fête d’Indépendance, à l’aube, un bruit strident retentit. L’appel de la sirène du souvenir, encore ? Je dors debout. En fait, c’est l’alerte rouge . Direction « le mamad ». En famille. Pendant la guerre, les vitres de l’abri sont retirées et remplacées par un volet métallique épais. Et moi qui comptais remettre les vitres à leur place…

On se demande, à moitié endormis, qui sont ces Houthistes qui nous balancent des missiles. Je sais à peine où se trouve le Yémen (archi nulle en géographie). Pourquoi veulent-ils nous anéantir ? « Tout va très bien madame la marquise ».

Après les vacances, la Knesset a repris son activité. Le gouvernement relance le vote de lois fragilisant la séparation des pouvoirs. La guerre est repartie ; les réservistes remobilisés. Il y aura des soldats tués. Les otages risquent d’être assassinés. La population de Gaza crie famine. Des enfants souffrent de la faim. Le pays est divisé ; des participants à une cérémonie commune israélo-palestinienne ont été lynchés. Les profs font la grève. « Tout va très bien, madame la Marquise ».

Il faut continuer de vivre. Rencontrer mes amis, aller au théâtre, au cinéma, randonner, traverser un ruisseau au milieu des champs, me rendre à mon cours de gym avec la prof poétesse. Bizarrement, lorsqu’elle dit « mobiliser les abdos, les muscles profonds en première ligne, exercice d’endurance», j’entends la guerre.

Je garde l’espoir. Il y a des anniversaires plus douloureux que d’autres. 77 ne fut pas une bonne année. J’espère fêter les 78 ans d’Israël dans une autre réalité.

Voir l’horizon à travers des vitres de verre.

En fredonnant « La vie en rose ».

© Rachel Darmon

Née à Paris, Rachel Darmon vit en Israël depuis plus de 30 ans. Professeur de français, éducatrice, guide touristique, elle a toujours écrit. Lauréate du « Prix des arts et des lettres » pour sa nouvelle « Le mur du bruit », elle a publié deux romans chez Folies d’encre : « Le gâteau de Varsovie » et « Tâter le diable ».

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