Tribune Juive

Lettres à mes sœurs/frères juifs de diaspora et aux amis vivant en dehors d’Israël. Par Julien Bahloul

Depuis quelques jours je vois passer plusieurs tribunes exprimant un effroi quant à la situation en Israël et dans la bande de Gaza. Les auteurs de ces textes sont tous profondément attachés à notre pays. Personne ne peut remettre en question leurs liens affectifs et personnels. Il ne s’agit en rien de vulgaires militants d’extrême gauche pro-Hamas.

Mais des éléments dans leurs textes sont à mes yeux plus que problématiques.

Tout d’abord en focalisant leurs critiques de la situation sur la politique de Netanyahu, ils se trompent d’adresse. La fin de la guerre ne dépend pas d’Israël, elle dépend des Palestiniens. La guerre a été déclenchée par des milliers de Palestiniens qui ont envahi Israël depuis la bande de Gaza, territoire qu’Israël a complètement quitté en 2005. La guerre se poursuit parce que le leadership palestinien rejette toutes les offres de cessez-le-feu. Toutes. Une. Par. Une. Depuis plus d’un an et demi. C’est avant tout aux Palestiniens qu’il faut s’adresser.

On ne peut pas déresponsabiliser ainsi la société palestinienne. Cette même société qui éduque, avec l’argent de l’aide internationale, à la haine du juif. Cette société qui a donné naissance à une génération élevée au culte du meurtre de juifs. Cette société civile, oui civile, qui a pris part avec excitation au pogrom du 7 pogrom, aux viols, aux tortures, aux kidnappings, aux captivité d’otages. 

Souvenez-vous des images des kidnappings du 7 octobre, en direct devant des caméras de presse (!). Avez-vous vu un seul homme, une seule femme, se dresser pour protester ? Pour tenter de sauver Yaffa Adar, 85 ans. Pour épargner les bébés Bibas ? Rien. Personne.

A chaque fois que vous parlez de la situation entre Israël et la bande de Gaza, n’oubliez pas qui sont nos voisins. Il est trop simple de faire porter la responsabilité de la poursuite de la guerre au gouvernement israélien. C’est vite oublier la réalité.

Parlons du gouvernement israélien justement.

J’ai passé des mois en 2023 à manifester contre lui. Jour et nuit. J’étais déjà convaincu à l’époque qu’il s’agissait du pire gouvernement de l’histoire du pays. Ai-je changé d’avis ?

Certainement pas. Smotrich et Ben Gvir sont à mes yeux une honte pour notre Etat. J’ai dénoncé ici à de multiples reprises leur racisme, leur homophobie. Mais surtout je dénonce leur incompétence crasse. Et Netanyahu ? J’espérais déjà son départ depuis… je préfère ne pas tenter de me rappeler depuis quand. Aujourd’hui ma colère contre lui est encore plus immense : jamais je ne pourrais lui pardonner de ne pas avoir réussi à empêcher le 7 octobre. Je l’ai écrit, je le redis, tous ceux qui ont échoué le 7 octobre (police, armée, Mossad, Shin Bet, gouvernement) doivent dégager. Et vite.

En quoi mes critiques diffèrent de celles exprimées par les auteurs des tribunes ?

D’abord car ce que je décris concerne des affaires *internes* à Israël. Nous sommes un État de droit, démocratique. Je vis ici. J’élève mes enfants ici. Je vis nos drames et nos peines ici.

Personne à l’étranger ne peut imaginer ce que nous traversons. Personne. Personne ne peut imaginer ce que signifie se réveiller chaque matin et avoir l’impression que la date de son téléphone est encore bloquée à 7 octobre, 6h29.

Personne ne peut imaginer ce que l’on ressent lorsque, parfois quotidiennement, nous consultons des listes de morts en priant pour ne pas y croiser le nom d’un proche.

Je pourrais vous parler de mon collègue David qui revient de 7 semaines en réserve à l’armée, après y avoir passé l’an passé plus de 200 jours. Lui qui a 3 enfants de bas âge et qu’il voit à peine.

Je pourrais vous parler de Niv qui est revenu au bureau amputé, lui le sportif qui était également arbitre de foot.

Je pourrais vous parler de Laly qui a enterré son fils.

Je pourrais vous parler d’Ido, psychiatre, qui est allé prendre en charge des rescapés des massacres du 7 octobre.

Je pourrais vous parler de Yotam qui a abandonné son mari Elad et leur bébé tout juste né pour aller rejoindre son unité au front en tant qu’officier combattant et médecin.

Je pourrais vous parler de tous ces enfants autour de moi qui se réveillent en pleurant la nuit et qui font des crises de panique à chaque fois que les sirènes d’alerte se déclenchent.

Je lis dans les tribunes les multiples “appels à la paix” et je suis effaré par tant de naïveté et de cynisme. La paix ? Mais avec qui ? Pensez-vous vraiment que nous prenons plaisir à vivre encore dans une telle situation ? Je ne suis pas indifférent aux souffrances de la population gazaouie. Comment pourrais-je l’être.  

Mais nous sommes en guerre. Une guerre que nous n’avons pas choisie et qui se poursuit contre notre volonté. Avant de me soucier de la population palestinienne, je me soucie d’abord de la survie de mes enfants et de mes amis au front. Et là est là aussi une différence majeure entre mes critiques du gouvernement israélien et celles lues dans les différentes tribunes.

Je sais que les auteurs de ces tribunes expriment leur sincère inquiétude et le font par amour d’Israël. Mais de fait, ils ne vivent pas ce que nous vivons et se trompent d’adresse lorsqu’ils pointent un doigt accusateur pour désigner le responsable de la situation.

Je sais également que beaucoup se sentent obligés de publier leur texte pour préserver leur image d’interlocuteur “pour la paix”, “modéré”, si importante afin d’être invité dans les médias. Je connais les règles du jeu. J’ai été moi aussi écarté par certains qui se disent nos amis mais qui ont préféré prendre leurs distances parce que “tu représentes trop Israël”. Quel courage…

Je termine ce post en rappelant que nous vivons des moments extrêmement douloureux. Il était important de se tenir à nos côtés le 7 octobre lorsque nous étions encore en train de ramasser nos cadavres. Mais ça l’est encore plus d’être avec nous lorsque nous nous battons pour éviter un autre 7 octobre.

© Julien Bahloul

Journaliste, Julien Bahloul a fait son alya en Israël en 2010 avant de se porter volontaire dans l’armée israélienne à 25 ans. Pendant son service au sein de l’Unité du Porte-Parole, il crée les plateformes digitales de Tsahal en français.
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