Tribune Juive

Shmuel Trigano. « Les penchants criminels de l’Europe démocratique » [1]

Shmuel Trigano. Par Fabien Clairefond

Peu sont conscients de l’assaut qui se prépare prochainement contre l’État d’Israël, et donc contre les Juifs des pays occidentaux. La malversation mondiale de la morale et le déni de justice auxquels nous avons assisté au lendemain du massacre du 7 octobre, quand les victimes sont devenues les accusés, s’avèrera peu de chose à côté de ce qui se prépare et qui est d’un autre ordre de grandeur, celui de l’essence de l’existence collective, de la souveraineté.

Les nations réputées éclairées, j’entends l’Europe, l’Union européenne très précisément, s’apprêtent à imposer à Israël une « solution », dite « à deux États ».  Macron a annoncé qu’il réunit en juin une réunion au sommet avec l’Égypte et la Jordanie (voire l’Arabie saoudite) qui relancera le mantra prêt à penser de « deux peuple, deux États », sans avoir pris soin, bien sûr, de prendre l’avis du principal concerné, Israël. 

Le concert international, lui, ne sera pas de reste. L’Assemblée générale de l’ONU convoque aussi, au mois de juin, à New York, une réunion au sommet pour régler la « question de Palestine »[2]. En somme, c’est le monde contre Israël. Contre les Juifs, pour être vulgaire ! Pour leur bien !  L’Europe sur qui pèse la mémoire du génocide se prend d’un souci paternaliste pour l’Etat qui, à ses yeux compense la Shoah, un Etat objectivement non souverain… 

Or, les choses sont claires pour les Juifs. Ce scénario de « deux peuples-deux Etats a été déjà joué et il s’est avéré suicidaire et mortel pour Israël. Nous l’avons expliqué et démontré mille fois mais c’est comme si l’Occident – car lui seul est en question, on n’attend rien en effet du monde musulman – était sourd. 

Les Accords d’Oslo été suivis d’une vague de terreur, « intifada », qui a fait 1599 morts israéliens, dans la zone sous la responsabilité de l’OLP, la Judée-Samarie (qui ne s’est appelée « Cisjordanie » que lorsque la Jordanie l’a envahie lors de la guerre de 1948.)  Rappelons que les Accords d’Oslo sont allés chercher Arafat et l’OLP en Tunisie, au lendemain de la guerre du Liban pour leur donner un pouvoir, des forces armées, une base de population, un budget, qu’ils n’avaient jamais eus auparavant. Quant à Gaza qui avait été envahie en 1948 par l’Egypte, sur la route de son projet d’extermination des populations juives du Yshouv, on a vu comment elle a été utilisée après Oslo comme une base d’attaque d’Israël, au long de plusieurs cycles de violence, jusqu’à la véritable invasion du 7 octobre (sur le modèle de la razzia islamique, forme classique des invasions musulmanes).   

L’Union Européenne, la France macronienne, envisagent ainsi doctement de rétrograder Israël à cette situation géo-politique. Les conditions géographiques rejoignent de surcroit les conditions politiques. Les Européens se rendent-ils compte de l’exiguïté de ce territoire qui ne peut qu’engendrer des conflits ! Il y a 70 km « du fleuve à la mer ». C’est la plus grande profondeur de l’Etat d’Israël. Si Gaza doit faire partie de l’Etat palestinien, il faudra créer un corridor pour ménager une communication avec la Judée Samarie palestinienne, une source de conflit à prévoir Souvenons-nous du corridor de Danzig le déclencheur de la deuxième guerre mondiale !  Le désert du Néguev au sud sera tenu à l’écart du reste du pays et pour ainsi dire perdu faute de continuité territoriale. La plaine centrale, quant à elle, est dominée par les collines de Samarie que le supposé Etat palestinien occuperait et notamment un promontoire à partir duquel il pourra bombarder avec facilité l’aéroport et bloquer la région centrale d’Israël. Qui sait que certaines régions de cette plaine centrale sont à 15km de la ligne de démarcation d’avec la Samarie ? Et que dire de Jérusalem, le point le plus haut du pays, redivisée, abaissée comme capitale de l’Etat juif.

Le suicide territorial auquel l’Union européenne veut assigner Israël est patent. En somme, elle charge l’Etat palestinien, machine de guerre inventée de toutes pièces, de liquider les Juifs au long d’une série de guerres territoriales découlant de frontières intenables. Une liquidation dont elle se lave les mains.

Je n’évoquerais pas ici le dossier historique de l’Etat juif, l’histoire internationale de ces territoires. Cela a été fait mille fois. C’est comme parler aux oreilles de sourds. Je dirais que les droits historiques du peuple juifs sur cette terre sont pleins et entiers depuis l’Antiquité, et ils avaient déjà 20 siècles ou plus avant l’invasion arabe du huitième siècle, une invasion qui ne transforma jamais ce territoire en un Etat. Ouvrez votre Bible et consultez l’histoire du peuple juif ! 

Mais j’ajouterais aussi les droits humains d’aujourd’hui. En effet, à l’âge des nationalismes, les Juifs (900 000) de plus d’une dizaine de pays arabo-musulmans ont été chassés, persécutés, spoliés entre 1940 et 1970. 600 000 ont trouvé, dans ces dates -là, refuge dans le jeune Etat d’Israël. 300 000 en Europe et aux Amériques. Ils constituent aujourd’hui la majorité des Israéliens et ils sont aussi …la clef de leur maison ! Chassés par les Etats arabes, ils se retrouvent aujourd’hui encore pourchassés et menacés par ces mêmes Etats arabes alors qu’ils sont devenus israéliens ! Israël ne doit rien aux Palestiniens, seuls d’entre tous les réfugiés d’après la deuxième guerre mondiale[3] à exister encore dans des camps, voulus en fait par les Etats arabes, alors qu’Israël a intégré ses réfugiés. Il y a eu un échange de populations, la Jordanie leur a donné un Etat où ils sont 80% de la population et dont la reine est palestinienne. Tout est dit.

Que dire, enfin, des interlocuteurs que l’Union européenne veut imposer aux Juifs ? Le Fatah qui a pris le pouvoir dans l’Autorité palestinienne créée par Oslo, présidée à vie par Mahmoud Abbas, et qui a développé entre autres une éducation prônant le meurtre des Juifs, le sacrifice humain (shahid) ? Le Hamas, mouvement terroriste et islamiste ? Ils déclarent clairement qu’à leur yeux, aux yeux de la Sharia, il n’y a aucune place pour un Etat non-musulman sur cette terre, voire plus, sur toute la Terre ! 

© Shmuel Trigano

Notes


[1] Cf. le titre du livre de Jean Claude Milner que je lui emprunte.

[2]  « Règlement pacifique de la question de Palestine » (A/79/L.23) entériné par 157 voix pour, 8 voix contre, 7 abs.

[3] Grèce, Turquie, Inde Pakistan, Allemagne…


Pour rappel: la pétition de « Raison gardée » lancée par Shmuel Trigano et Raphel Drai pour s’opposer à l’appel de JCall et qui avait eu un très grand écho, dont un colloque, publié dans la revue de Shmuel Trigano, Controverse s (n° 15 voir controverses.fr ), entre autres retombées. Un texte qui n’a pas pris une rideet montre qu’en somme nous ne faisons que nous répéter devant un monde sourd…

Raison garder 2010, la Pétition


Un groupe d’intellectuels et de personnalités se réclamant avec ostentation de leur appartenance juive pour gage de leur objectivité a pris l’initiative sélective d’un « Appel à la raison » auquel il entend assurer la plus large diffusion possible. En réalité, cet appel va à l’encontre de ses buts affichés : la démocratie, la moralité, la solidarité de la Diaspora, le souci du destin d’Israël. L’offensive politicienne qui le sous-tend est claire pour tout le monde.

1) L’idée d’une paix imposée à Israël sous la pression, voire l’intervention de puissances, est un déni de la démocratie et du droit international, aux relents néo-colonialistes. Elle bafoue le libre choix des citoyens de la démocratie israélienne et constitue un dangereux précédent pour toutes les autres démocraties.

2) Elle se repose sur un président américain qui échoue à faire face au défi mortel iranien et une Union européenne qui s’est globalement identifiée à la cause palestinienne. Israël est sous une menace d’extermination proférée par la République islamique d’Iran et ses satellites qui l’enserrent au nord, le Hezbollah, au sud, Gaza.

3) Alors que ces mêmes signataires font peser la responsabilité de l’impasse sur le seul Israël, toutes les enquêtes objectives montrent et démontrent que ni l’Autorité ni la société palestiniennes ne sont véritablement intéressées par une paix juste: 66,7% de cette population rejettent la création d’un État palestinien sur la base des frontières de 1967, 77,4 % rejettent l’idée que Jérusalem soit la capitale de deux États (sondage d’avril 2010 par l’Université Al Najah de Naplouse). La création d’un État palestinien sans la confirmation de la volonté de paix du monde arabe sans exception exposerait le territoire exigu d’Israël à une faiblesse stratégique fatale.

4) L’«Appel à la raison » souffre d’amnésie : les accords d’Oslo ont conduit à une vague de terrorisme sans précédent, le retrait du Liban à l’installation du Hezbollah – et les garanties du Conseil de sécurité à ce propos sont un chiffon de papier -, le désengagement de Gaza a conduit au coup d’État du Hamas et à une pluie de missiles de plusieurs années. Demain « Jérusalem-Est » et l’État de Palestine seront-ils sous la coupe de ce dernier ? Les regrets des signataires de l’Appel ne serviront à rien…

5) La morale et l’honneur, la volonté de paix, ne sont l’apanage d’aucun camp. Ils sont un enjeu de chaque instant. Par ses motivations partisanes et partiales, cet « appel à la raison » contribue aux tentatives de boycott et de délégitimation qui visent l’État d’Israël, et il porte gravement préjudice à sa population.

6) Devant les véritables menaces qui visent Israël dans son existence même et qui compromettent les chances d’une paix durable au Moyen-Orient nous entendons constituer un mouvement d’opinion véritablement médiateur au sein de l’Union européenne dont nous sommes les citoyens, qui se propose de défendre et d’illustrer la légitimité de l’État d’Israël dans le cadre d’une véritable paix, et de lutter contre l’antisémitisme qui s’y développe dangereusement.

Nous appelons à signer en masse cette déclaration.



Premiers signataires :

Jean Pierre Bensimon, professeur de sciences sociales, Raphaël Draï, professeur de sciences politiques et de droit, Judith Gachnochi, psychologue, Georges Gachnochi, psychiatre-psychanalyste, Nicolas Nahum, architecte, Georges Elia Sarfati, professeur des universités, linguiste et philosophe, Perrine Simon Nahum, chercheur au CNRS, historienne, Pierre-André Taguieff, directeur de recherche au CNRS, philosophe, politologue et historien des idées, Michèle Tribalat, démographe, Shmuel Trigano, professeur de sociologie politique, directeur de la revue « Controverses ».

Professeur émérite des universités, Shmuel Trigano est philosophe et sociologue, spécialiste de la tradition hébraïque et du judaïsme contemporain. Il a notamment publié « La Démission de la République. Juifs et musulmans en France » (PUF, 2003) et « Le Chemin de Jérusalem. Une théologie politique » (Les Provinciales, 2024).


Le site internet de Shmuel Trigano:

http://www.shmuel-trigano.fr

Fondateur de l’Université Populaire du Judaïsme

http://www.unipopu.org ; universitedujudaisme.akadem.org

Fondateur de la Revue européenne d’études juives, Pardès

http://www.inpress.fr/pardes-2/ ; http://www.cairn.info/revue-pardes.htm 

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