
Daniella Pinkstein m’apprend l’existence d’un rite des « pleurs collectifs » ( béhi collectivim ) qui a vu le jour en Israël, au lendemain de la seconde guerre mondiale, dans les kibboutz du tout jeune état.
Chaque fois que quelqu’un recevait d’Europe une lettre dont tout semblait indiquer qu’on y découvrirait qui dans une famille était officiellement reconnu comme mort, victime de la barbarie nazie ( époux épouse frère soeurs père mère grands-parents … ) un groupe se formait avant l’ouverture de la lettre, réunissant proches, voisins et amis pour pleurer ensemble ce que tous pressentaient : la réalité inéluctable de l’ annonce funèbre.
Il me semble que le 21 février 2025 c ‘est tout Israël qui se réunissait pour reproduire ce rite sur la Place des Otages comme dans la foule venue se recueillir devant le convoi qui rapatriait sur leur terre natale les dépouilles de Shri Bibas et de ses deux enfants : Kfir, 9 mois quand les gazaouis l’enlèvent le 7 octobre, et Ariel, 4 ans, ainsi que celle de Oded Lifshitz, 87 ans, journaliste et militant pacifiste, tous assassinés avec sauvagerie par ceux qui les avaient pris en otage, et ce peu après le 7 octobre.
Le monde entier a tressailli d’horreur et de dégoût à la vue de la cérémonie macabre organisée par les gazaouis et leurs représentants officiels -venus en foule pour les uns, en armes pour les autres-cérémonie durant laquelle les quatre cercueils furent exhibés comme des trophées de victoire sur une estrade, avant d’être, après l’ubuesque rituel administratif remis « officiellement » à la croix rouge. Une croix rouge, malgré ses faibles protestations, encore une fois peu regardante sur les ignominies auxquelles elle prêtait son concours.
Ca ne semblait pas en effet déranger ses représentants outre mesure de devoir parapher leurs paperasses sous l’immense caricature antisémite qui avait été été déployée derrière les cercueils. On y voyait un Netanyahou maculé de sang et affligé, comme dans les habituelles caricatures antijuives arabo-musulmanes dont la virulence infantile vaut bien celle des nazis, de dents de vampire. Histoire d’affirmer que le vrai coupable de toute cette horreur c’était lui et personne d’autre, lui qui avait commandité les frappes dont les quatres otages représentaient, en médaillon, les innocentes victimes, comme l’affirmait sur l’affiche une inscription rédigée en arabe, hébreu et anglais.
Qui, hormis Rima Hassan et les quelques attardés qui la soutiennent encore au sein de LFI, peut gober ce genre d’inepties et s’en faire le porte-parole zélé ? Et combien de temps encore devrais-je payer des impots pour que miss Rima Hassassine continue en toute impunité à cracher son venin au sein-même de nos institutions que ses comparses ne cessent de vouloir détruire avec des appels au meurtre, leurs voitures béliers et leurs coups de couteau ?
Mais laissons cela. Je m’en voudrais d’alimenter à mon tour la machine à produire de la haine et de la lâcheté afin que les larmes soient le plus vite possible remplacées par la rage froide de tuer. Accordons-nous pour prendre un peu de hauteur le temps d’un Lacrimosa et pleurons.
Mais Pleurer qui et quoi ?
Nous sommes -du moins je l’espère- nombreux à éprouver devant l’abjecte cérémonie de la restitution des quatre otages assassinés, au delà du dégoût et de la tristesse, une sorte de désarroi immense, comme en infligent les tsunami les tremblements de terre et les massacres de masse. Un sentiment d’écroulement, de fin du monde nous envahit qui engloutit un moment dans une même fracture les victimes et les danses grotesques des bourreaux. Tout se brouille à nos yeux tandis que des militaires paradent glorieusement devant des cercueils d’enfants. Il nous semble que l’impossible est advenu et que le monde -j ’entends le monde humain- a perdu son fondement. Telle est la profondeur de la blessure que nous infligent ceux pour qui l’amour de la mort est plus grand que celui de la vie. Alors pleurons pour l’humanité qui est sous nos yeux, une fois encore, en train de disparaître.
Il doit pourtant bien y avoir -une fois nos larmes séchées – un moyen d’échapper en lui trouvant un sens à cette inconcevable gesticulation. Ce sens je le trouve quant à moi en me souvenant qu’il y a dans l’exigence israélienne de récupérer à tout prix ses otages, les morts comme les vifs, pour leur donner une sépulture, l’écho de la geste tragique d’ Antigone qui veut -fût-ce au prix de sa vie- récupérer auprès du tyran Créon, pour qui « un ennemi même mort reste un ennemi », le corps de son frère afin de lui donner une sépulture digne de lui.
Nous le savons depuis l’Iliade : Il faut pleurer ses morts, c’est le moindre des respects qu’on leur doit. Mais aussi pleurer les morts de son ennemi. C’est la seule voie -ô combien étroite-, pour passer de la guerre à la paix. La guerre c’est tuer. La paix c’est quand je suis prêt à pleurer la mort de mon ennemi avec ceux qui le pleurent dans le camp d’en face.
La partie se joue toujours à trois : deux ennemis vivants et leurs morts. Achille pour apaiser sa colère traîne douze jours le cadavre d’ Hector derrière son char en tournant sans fin autour de la tombe de Patrocle sans parvenir à apaiser sa rage ni son chagrin.
Pourtant le corps du troyen reste intact: ça ne sert à rien -nous disent les dieux- de profaner le corps d’un ennemi mort ; il est dans une parenthèse sacrée inaccessible à la vengeance. Il n’est plus d’ici et, dans le silence que son absence installe, seules les larmes permettent de renouer avec lui. Achille comprend que sa rage et sa haine ne lui rendront jamais Patrocle : il rend à Priam, le père d’Hector qui le supplie de le lui restituer, le corps de celui qu’il a vaincu.
Le suppliant et le guerrier pleurent ensemble leurs défunts; l’un son fils et l’autre, le voyant pleurer, son ami. Les larmes qu’on verse pour l’ennemi mort peuvent seules arrêter la guerre.
Qu’ on me pardonne cette parenthèse mythologique mais cette évidence a visiblement échappé a nos glorieux résistants palestiniens qui disent adieu à ceux qu’ils ont assassinés dans une ambiance digne d’une foire à la merguez où chacun y va de son petit pas de parade ou de danse haineuse.
Aucune des organisations palestiniennes ne manque à l’appel quand il s’agit de porter les cercueils pour les hisser sur l’estrade d’infâmie : le bandeau jaune du fatah et de l’autorité palestinienne y côtoie le bandeau rouge du FPLP ; s’y ajoutent les bandeaux noirs du Jihad Islamique palestinien et ceux verts des brigades Al Qods. Toute la Palestine est là sous sa seule forme cohérente : la Palesthaine. Il n’y aura dans ces conditions jamais d’état palestinien parce qu’on ne construit pas un état sur la seule ambition que son territoire soit judenrein, purifié de tous les juifs.
Cette cérémonie pitoyable c’est la marche triomphale de la loose. Et ce n ‘est pas simplement les corps de deux enfants et de leur mère et celui d’un vieux juif sage qui croyait à la paix que charrient les prétoriens du néant. Le vrai cadavre qu’ils portent c’est celui du rêve avorté d’un état palestinien qu’ils ne sont jamais parvenu à faire exister tant ils sont chargés d’une haine qui ne sait que détruire. Un nowhere land dont ils scellent ici pour la nuit des temps le destin d’une existence impossible.
© Thomas Stern