
Depuis quelques semaines, un capitaine de navire qui s’est sabordé lui-même multiplie les appels aux dons pour renflouer une nef prenant apparemment eau de toute part. De l’argent ! De grâce, donnez !
Jacques Fredj, directeur du Mémorial puisque c’est de lui qu’il s’agit, en appelle à notre bourse alors qu’en juillet 2018, après le départ forcé du Mémorial de la Shoah de l’historien Georges Bensoussan, un grand nombre de donateurs ont cessé, à crève-cœur, de soutenir cette institution.
Pourtant l’antisémitisme explose sous nos yeux ( + 1000 % depuis le 7 octobre 2023 ) sous couvert du conflit israélo-palestinien. Une haine violente qui éclate à la figure de tous, qui se clame sans vergogne, et agresse physiquement nos concitoyens juifs ou pris pour des Juifs. Qui conduit des adolescents à violer une fillette, laquelle tentait pourtant, la malheureuse, de cacher sa judéité. Un antisémitisme qui s’est infiltré partout et est attisé de manière rampante par des populistes qui se prétendent de gauche.
Mais il fallait couper à la racine la vindicte anti-juive lorsqu’elle fut révélée il y a plus de trois décennies. Et porter partout, haut et fort, avec courage et pugnacité, les témoignages des professeurs et des proviseurs, dans les médias, auprès des politiques, des universitaires, réunis par ce même Georges Bensoussan (sous le pseudonyme d’Emmanuel Brenner) dans Les territoires perdus de la République.
Rappelez-vous son sous-titre : Antisémitisme, racisme et sexisme en milieu scolaire. Et sa date d’élaboration : avant la flambée d’actes antisémites du mois d’avril 2002. Il y a plus de vingt ans !
Aussi aujourd’hui ces appels nous surprennent-ils. Non sur le combat à mener, c’est le nôtre depuis des décennies. Mais sur celui qui crie « Au loup » après nous avoir privés de l’un de ceux qui portaient le mieux notre combat.
Après la violence qui présida à son éviction du Mémorial, il y va d’une question de dignité. Comment oublier, en effet, qu’à l’instar d’une banale entreprise au management brutal, les serrures de son bureau avaient été changées en son absence ? Comment oublier qu’il ne lui fut laissé que quelques heures pour débarrasser (et sous surveillance…) un bureau où s’entassaient les archives de 26 ans de travail ? En interdisant à quiconque de ses amis de venir l’aider.
Pourquoi avoir chassé, a fortiori dans ces conditions brutales, celui dont le savoir et les compétences nous manquent dans les heures douloureuses que nous traversons ?
Ces questions restent sans réponse. De là que dans le secret de notre cœur et de notre esprit, de tels appels aux dons nous questionnent sur la place de la décence dans notre société.
Muriel Pill, co-fondatrice de l’association Voir et dire ce que l’on voit
Catherine Erman, professeur agrégé, Université de Paris Sorbonne, responsable du partenariat de l’ESPE avec le Mémorial de la Shoah
Jacques -André Pill, co-fondateur de l’association Voir et dire ce que l’on voit