
Acheté pour quelques euros, dans une brocante d’un village provençal, ce vieil exemplaire d’un roman dur de Georges Simenon, « Oncle Charles s’est enfermé ».
Pour moi, un des plus grands écrivains de langue française.
Avec Simenon, quelques mots et quelques phrases courtes et le lecteur sait d’emblée, dès les premières pages, où l’on est et comment va se nouer le drame.
Je n’ai pas pu attendre, je me suis assis en terrasse sur la place du village, à l’ombre d’un platane.
J’ai commandé un verre de rosé du Domaine Hauvette, des olives, des anchois et j’ai ouvert le livre.
…
À Rouen, en hiver, près de la station terminus du tramway, dans une maison ouvrière, une famille avec tous ses secrets plus ou moins avouables.
Charles, qui travaille chez son beau-frère ( celui qui a réussi et s’est enrichi), rentre chez lui un soir et s’enferme dans le grenier.
Au départ, sa femme et ses filles prennent ça pour une lubie, un moment de dépression, mais Charles se mure dans le silence, et se barricade dans la pièce.
Toute la famille est convoquée pour tenir conseil et tenter de comprendre.
Tout le monde va parler à la place de Charles.
Il n’y a aucune explication à son comportement.
C’est, en tout cas, ce que l’on veut croire.
…
Il a souvent été reproché à Simenon d’avoir été antisémite dans sa jeunesse.
En 1921, il écrit dans la « Gazette de Liége », une série de 17 articles sous le titre « Le péril juif » :
« Les juifs semblent profiter du chaos économique et politique pour augmenter leur emprise sur les affaires du monde.
Les Protocoles des Sages de Sion constituent un document précieux, puisque aussi bien, quant aux assertions vérifiées qui sont majorité, ils nous fournissent le meilleur aperçu de la doctrine et de la continuité des efforts juifs pour dominer le monde ».
Pour se défendre, Simenon a affirmé, de façon peu convaincante, qu’il s’agissait d’articles de commande et qu’il n’en pensait pas un mot.
Je ne sais pas.
Ce qui est sûr, c’est que son rapport aux juifs était ambigu et complexe.
À la fois mépris et empathie, fascination et défiance.
« Les fiançailles de Monsieur Hire », écrit en 1933, décrit de façon stupéfiante l’anatomie d’un pogrom.
La mère de Simenon tenait une pension de famille, où la plupart des locataires étaient des réfugiés juifs russes et polonais. Simenon en a tiré un roman.
Dans « Charles s’est enfermé », écrit en 1939, je lis :
« Certains, dans la rue, prenaient Paul pour un artiste ou pour un rabbin, à cause de sa barbe noire, de ses vêtements noirs toujours flottants et trop longs, de son chapeau à larges bords…
Il était impressionnant, gardait une immobilité hiératique. Son beau-frère prétendait que Paul avait l’air d’un rabbin, car c’était lui en somme, qui détenait comme des vérités bibliques, l’histoire de la famille ».
…
Mon verre est bu.
Plus d’anchois ni d’olives.
Les grillons ont commencé leur scie.
C’est l’heure de la sieste.
Je terminerai le roman ce soir.
L’hiver à Rouen peut attendre en cette belle journée d’été.
C’est l’heure de la sieste.
© Daniel Sarfati
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— cattan (@sarahcattan_) July 21, 2024