
Renée Fregosi pour Tribune juive: Luc Ferry, un viol en réunion particulièrement odieux par sa violence et son caractère antisémite a été commis tout récemment par trois garçons de 12 et 13 ans (!) sur une jeune fille de leur âge. La jeunesse des violeurs et la force de leur conviction anti-juive évoquant l’horreur de l’attaque génocidaire du Hamas le 7 octobre dernier, interpelle au-delà de la peine et de la compassion que nous ressentons à l’égard de cette jeune adolescente, et de l’indignation et de la colère face à ce crime singulier. Qu’est-ce que cela nous dit de notre société ?
LF : Ça dépasse l’entendement dans l’ignominie, mais est-ce hélas si étonnant ? J’avais pris la parole au Trocadéro, au moment de l’affaire Sarah Halimi, pour alerter sur la montée de l’antisémitisme, pour dire combien la décision de justice qui excusait un tortionnaire assassin au motif qu’il était sous emprise de la drogue, alors que ce devrait être une circonstance aggravante, m’avait profondément choqué. J’y ai dit aussi qu’il était temps d’être lucide sur le fait que la montée de l’antisémitisme était liée à l’islamisme. Quand Jean-Luc Mélenchon a déclaré qu’en France, « l’antisémitisme n’était plus que résiduel », il a dit quelque chose d’à la fois tout à fait juste et honteusement faux, la partie « honteusement faux » étant au plus haut point significative de la vision du monde islamogauchiste qui anime l’extrême gauche. Ce qui est vrai, c’est qu’en France les deux visages anciens de l’antisémitisme, le catholique traditionnaliste et le racialiste nazi, qui dominaient les années trente, sont en voie d’extinction : les LFIstes ne sont ni catholiques ni racistes à proprement parler : ils ne pensent pas comme les nazis qu’il existe une race juive à exterminer. Leur haine d’Israël et leur propos ignobles sur le Hamas comme « mouvement de résistance » viennent d’ailleurs, de leur collaboration avec l’islamisme et de leur souhait de représenter un « sud global » qui ne voit dans Israël que le dernier avatar de la colonisation capitaliste américanisée. Ça n’enlève rien à l’horreur, bien au contraire, simplement il faut enfin comprendre ce que la sentence de Mélenchon cherche à cacher, à savoir le fait que 90% des actes antisémites commis en Europe sont aujourd’hui le fait des islamistes dont l’extrême gauche est complice.
Á la suite de ce viol, Emmanuel Macron a demandé à Nicole Belloubet d’organiser « une heure d’échanges » sur la lutte contre le racisme et l’antisémitisme cette semaine dans les écoles. Que pensez-vous de cette décision ?
LF : C’est gentillet, de la pure « com », comme toujours avec ces gens-là. Si on ne dit pas clairement comment parler de l’antisémitisme, si on laisse les professeurs se débrouiller tous seuls sans avoir le courage de refaire de A à Z le programme d’instruction civique pour l’adapter à l’époque actuelle et aux nouveaux visages du racisme et de l’antisémitisme, ça ne sert rigoureusement à rien, ça peut même être pire que rien si le professeur appartient à la mouvance d’extrême gauche que je viens de décrire…
La poussée de l’antisémitisme semble manifestement corrélée à l’influence grandissante de l’islamisme parmi les populations de culture musulmane d’origine mais pas seulement. Au-delà du djihadisme terroriste, l’offensive frériste d’infiltration et d’influence n’est-elle pas un véritable danger pour la culture française et plus généralement occidentale ?
LF : C’est l’évidence, et la première cible des fréristes est l’école républicaine, car la laïcité est leur premier ennemi…Et là encore, depuis ma loi de 2004 sur l’interdiction des signes religieux ostensibles, à peu près rien n’a été fait pour combattre la montée de l’islamisme dans le cadre scolaire.
Dans ce combat contre l’islamisme, Israël est en première ligne. Ne pensez-vous pas que la meilleure façon de lutter contre l’antisémitisme c’est de soutenir Israël ? Comment jugez-vous la guerre qui oppose aujourd’hui Israël au Hamas à Gaza ? Et plus généralement comment envisagez-vous une issue au conflit israélo-arabe, alors que le slogan « Free Palestine. From the river to the sea » fait son retour en force dans les « rues arabes » et sur nos campus occidentaux ?
LF : Le but premier du Hamas était de détruire les accords d’Abraham en coupant les « rues arabes » des dirigeants qui avaient eu le courage de nouer des liens pacifiques avec Israël. Jusqu’à preuve du contraire, Israël n’a jamais cherché à tuer un maximum de civils à Gaza et j’aimerais bien qu’on me dise comment faire une guerre propre contre des gens qui prennent les civils en otage comme des boucliers. Sur ce point les propos d’Emmanuel Macron sont plus qu’ambigus, comme l’est son refus de participer à la marche contre l’antisémitisme. Ce qui est certain, c’est que, par contraste, les crimes commis par le Hamas en Israël s’inscrivent bel et bien dans une logique génocidaire de crime contre l’humanité de sorte qu’Israël, contrairement à ce qu’a dit à tort notre Président, avait non seulement des raisons impératives, mais une légitimité à tout faire pour détruire ceux qui veulent anéantir Israël. Cette guerre aura une fin. Il faudra reconstruire Gaza, redonner un réel espoir aux Gazaouis, restaurer une représentation politique palestinienne disposée à la reconnaissance d’Israël et aller vers la construction de deux États. Seul un accord avec les pays arabes qui ont accepté, dans le sillage des Accords d’Abraham, de normaliser leurs relations avec Israël et de reconnaître son existence et son droit à la sécurité, pourra permettre d’y arriver. Nous en sommes encore infiniment loin, mais il faudra bien travailler dès que possible, car ce qu’à démontré le 7 octobre, c’est que c’est désormais la survie d’Israël qui est en jeu, et avec elle, celle de l’Occident face au Sud-Global. Beaucoup de français juifs continuent à croire que la supériorité militaire d’Israël lui permettra, comme ce fut le cas depuis sa naissance, de faire face à toutes les menaces. C’est une erreur. Le 7 octobre a montré que des terroristes décidés comme le sont les fondamentalistes le cas échéant prêts à y laisser leur vie, pourraient anéantir Israël avec une seule « bombe sale ». La paix n’est plus une option, les deux États sont la seule solution, et elle suppose, il faut le dire aussi, que les colons de Cisjordanie y soient prêts, ce qui est loin d’être le cas. L’extrême droite israélienne est une part importante du problème, au fond elle partage avec le Hamas l’idée d’un seul État, même si évidemment, ce n’est pas du même État qu’il s’agit…
Serge Klarsfeld a annoncé qu’en cas d’un duel entre un candidat LFI et un autre du Rassemblement national, il voterait sans hésiter pour ce dernier. Ceux qui estiment que le RN est l’héritier du Front national accusé souvent à raison d’antisémitisme, en ont été choqués. Estimez-vous que le RN ait changé à cet égard ?
LF : Oui, c’est une évidence, en tout cas pour ses dirigeants. Cela dit, je n’ai cessé depuis des années de plaider pour une union nationale des démocrates, mais au moment du choix, l’urgence sera, « quoi qu’il en coûte », de faire barrage au NFP pour nous éviter le pire. Les LR commencent-ils enfin à comprendre combien leur refus d’une alliance avec Emmanuel Macron alors qu’il avait perdu la majorité absolue à l’Assemblée nationale était suicidaire ? L’accord passé en catimini par Éric Ciotti avec Jordan Bardella était inacceptable pour les fidèles de la « jurisprudence Chirac », mais ont-ils bien mesuré le risque qu’une victoire du Front Populaire, qui inclut désormais le NPA, ferait courir à la France ? « Ni Nupes, ni RN », d’accord, mais alors quoi ? Hara-Kiri ? Place ouverte à un gouvernement LFI/NPA avec, pourquoi pas et tant qu’on y est, Sandrine Rousseau à la décroissance, Rima Hassan aux affaires étrangères, un fiché S à l’intérieur, Poutou à l’économie, Besancenot aux finances publiques, Olivier Faure à l’éducation et Quatennens à l’égalité hommes/femmes ? Je plaisante à peine. Selon l’IFOP, 92% des personnes de confession juive considèrent que LFI fait monter l’antisémitisme : est-ce anecdotique ? Je vous avoue que j’ai du mal à comprendre la position de ceux qui, comme Glucksmann, continuent à s’associer avec ces gens là pour soi-disant « faire barrage » au RN, en vérité pour sauver leurs postes…
Vous dites volontiers que le RN a des positions similaires à celles du RPR des années 70-80. Pensez-vous que le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella soit vraiment devenu un parti républicain ? Comprenez-vous la décision de Dominique de Villepin de soutenir ledit nouveau « Front populaire » pour « prioriser la lutte contre l’extrême-droite » ?
LF : L’amitié n’exclut pas les divergences de vue. Il y a pour moi dans la vie politique du « non négociable » et nous sommes aujourd’hui face à lui : aucun accord n’est possible ni de près ni loin avec ceux qui applaudissent le Hamas et le comparent à la Résistance ! Point final ! Si je regarde l’échiquier politique et que je pose la question : où sont les ennemis mortels d’Israël, et par delà Israël, des juifs du monde entier qualifiés de « sionistes » ? A droite ou à l’extrême gauche ? La réponse est dans la question. Il est clair, Klarsfeld père et fils ont raison, mais Jérôme Guedj et quelques autres ont à dit la même chose, que l’antisémitisme est passé d’un extrême à l’autre comme l’ont démontré les réactions qui ont suivi les atrocités du 7 octobre. Les masques sont tombés et on ne peut pas ne pas en tenir compte. Il m’est impossible comme le font tant de personnalités de gauche ou même de la droite modérée de renvoyer les extrêmes dos à dos comme s’il y avait une équivalence entre eux. La vérité c’est qu’ils ont la trouille de dire tout haut ce qu’ils pensent tout bas, peur de « jouer le jeu du RN » et d’être blacklistés dans le monde médiatique. Comme je viens de vous le dire, le pire du pire, et de très loin, c’est l’association entre le NPA et LFI. On peut ne pas vouloir voter RN, je le comprends bien, mais je le redis clairement, l’urgence est de faire barrage au NFP car derrière la haine d’Israël, c’est aussi la haine de l’occident démocratique qui est en jeu.
Vous-même vous ne renvoyez pas dos-à-dos « les extrêmes », comme on l’entend souvent ? estimant que le RN soit aussi dangereux que ledit nouveau « Front populaire » mené par LFI qui a plusieurs fois passé les bornes de l’antisémitisme (sans parler du NPA également membre de l’alliance « de gauche » qui déclarait que le 7 octobre était un acte louable de « résistance »).
LF : Très clairement et sans hésiter une seconde, j’ai signé l’excellente tribune rédigée par Daniel Salvatore Schiffer publiée sur le site du Point qui appelle à ne pas mettre NFP et RN sur le même plan, et bien que le vieux gaulliste socialdémocrate que je suis rêve d’une union nationale de tous les démocrates, je considère à tous égards le NFP comme infiniment plus nuisible que le RN depuis qu’il va jusqu’au NPA.
Après la dissolution décidée par le Président de la République, de nombreux Français font état d’un stress et d’une inquiétude croissante, selon des psychologues et psychiatres et dans plusieurs enquêtes en terrain réalisées par des journalistes. Que pensez-vous de cette décision d’Emmanuel Macron, et plus généralement de son bilan, notamment dans l’éducation nationale dont vous avez été le ministre ?
LF : Je suis désolé d’avoir à dire ça d’un chef de l’État, mais malgré tout le respect que j’ai pour la fonction, je pense qu’Emmanuel Macron s’est conduit comme un enfant narcissique qui casse ses jouets quand il est contrarié. Cette décision était absurde, impardonnable si le bloc central, ce qui est probable, s’effondre au profit des extrêmes. Emmanuel Macron pouvait parfaitement nommer à Matignon un grand républicain gaulliste avec pour mission de construire un gouvernement d’union nationale avec ceux des socio-démocrates qui ont courageusement refusé d’adhérer au NFP, quitte à dissoudre l’Assemblée en cas d’échec, mais en toute hypothèse seulement en septembre, évidemment après les JO, pas avant ! Organiser les premières réunions de la nouvelle Assemblée et la mise en place d’un nouveau gouvernement en même temps que les JO relève d’une décision mégalomaniaque, limite délirante…