Tribune Juive

« Marianne » est en vente. Natacha Polony ira propager ses idées fort discutables ailleurs

Daniel Kretinsky et Natacha Polony. © Joël Saget/AFP//Thomas Padilla/MaxPPP

Daniel Kretinsky envisage de céder l’hebdomadaire « Marianne »

La ligne éditoriale souverainiste portée par la directrice de la rédaction, Natacha Polony, ne convient plus au milliardaire proeuropéen, qui étudie les offres de rachat du magazine. ( Brice Laemle )

Cela devait être l’année de la relance de Marianne. Pourrait-elle être aussi celle d’un changement d’actionnaire pour l’hebdomadaire ? Le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky envisage de céder le magazine dirigé par Natacha Polony, qu’il a racheté en 2018. La publication d’un article du média d’investigation La Lettre, lundi 15 avril, en début d’après-midi, a fait l’effet d’un électrochoc en interne. « On n’en est pas du tout là », minimisait-on, lundi, du côté de CMI France, la branche française de Czech Media Invest, dont M. Kretinsky est cofondateur, sans pour autant démentir que le scénario d’une vente de Marianne était sur la table.

Alors que le newsmagazine totalisait 12 millions d’euros de chiffre d’affaires et 3 millions d’euros de déficit en 2023, toujours selon CMI, Marianne a, en mars 2024, quasiment divisé sa pagination par deux, passant de 92 pages à 52 pages. Il s’agissait de « gagner en densité », défendait encore fièrement, à la fin du mois dernier, Natacha Polony, la directrice de la rédaction. Pour réaliser des économies de papier également ? « A la marge », convenait Mme Polony. « Mais l’actionnaire va surtout investir en baissant le prix du magazine en kiosque de 4,40 euros à 3,50 euros », arguait-elle encore.

Le titre – qui revendique environ 60 000 abonnés au magazine, 12 000 abonnés numériques et 20 000 ventes en kiosque – a vu sa diffusion baisser de 1,3 % par rapport à 2022, selon les chiffres de l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias, et espérait ainsi regagner des lecteurs. La modernisation de sa maquette semble plutôt payante, puisqu’elle a apporté 8 000 ventes en kiosque supplémentaires en moyenne depuis la nouvelle formule et des abonnements papier et numériques repartant à la hausse, d’après CMI France. Mais cela pourrait ne pas suffire à convaincre Daniel Kretinsky de rester l’actionnaire de Marianne.

En cause, le souverainisme de Natacha Polony, qui serait aujourd’hui trop éloigné des valeurs proeuropéennes et libérales du milliardaire tchèque. Ces derniers mois, le magazine a régulièrement éraflé Emmanuel Macron et son premier ministre Gabriel Attal : qualifiés tous deux de « tocards de l’économie » à la une du 4 avril, ce dernier était présenté comme « antisocial » le 8 février.

Selon La Lettre, Denis Olivennes, le bras droit de M. Kretinsky, discuterait avec plusieurs candidats potentiels au rachat du magazine, parmi lesquels figure le milliardaire catholique Vincent Bolloré, qui pourrait l’acquérir par le biais des groupes Prisma Media (GéoFemme actuelleCapital…) ou Lagardère (Europe 1, Le Journal du dimanche). Contactées, les directions de Prisma Media et Lagardère démentent avoir échangé avec M. Olivennes à propos d’un rachat de Marianne. Un autre fervent catholique, le souverainiste Pierre-Edouard Stérin, fondateur des coffrets cadeaux Smartbox, est mentionné par La Lettre. Il n’a pas répondu à nos questions.

« Volonté de déstabilisation »

Si, jusqu’en 2018, Daniel Kretinsky n’était présent dans aucune entreprise de presse en France et avait besoin de se faire un nom, cela n’est plus le cas six ans plus tard, puisqu’il est désormais propriétaire du distributeur Casino et de l’éditeur Editis. Aussi, son groupe de presse regroupe aujourd’hui plusieurs titres féminins, dont Elle et Version Femina, l’hebdomadaire Télé 7 jours et les magazines people à sensation France Dimanche et Ici Paris. Depuis 2021, M. Kretinsky a également financé la création du magazine Franc-tireur, dirigé par l’essayiste Caroline Fourest, a grimpé au capital du groupe TF1 à hauteur de 9 %, tout en prenant des parts dans le média vidéo Loopsider et le studio de podcasts Louie Media.

Après avoir vendu le magazine people Public en 2023 et fait un second prêt à Libération, CMI France cherche désormais à céder la chaîne d’information économique B Smart au groupe de médias et d’événementiel Ficade. Enfin, les discussions continuent concernant le journal libéral L’Opinion, même si rien n’est fait.

« Nous avons réorienté le journal [Marianne] vers les fondamentaux alors qu’il avait glissé vers la social-démocratie », expliquait en 2019 la patronne souverainiste, qui se défendait d’être « antieuropéenne et nationaliste ». L’entourage du milliardaire, de son côté, assurait « ne pas parler de la ligne avec Natacha Polony », constatant simplement « qu’elle a fait de Marianne un journal lisible ».

Pourtant, trois jours avant le second tour de la présidentielle, en 2022, la Société des rédacteurs de Marianne avait accusé M. Kretinsky d’une « atteinte inédite à son indépendance », ce dernier ayant fait changer le titre de une appelant à voter Emmanuel Macron contre Marine Le Pen. « La colère… ou le chaos » avait été transformé en « Malgré la colère… éviter le chaos ».

Natacha Polony et Frédérick Cassegrain, le directeur de la publication, se sont exprimés, mardi à 9 h 30, devant une quarantaine de journalistes, sur les cinquante-cinq qui composent la rédaction, sans parvenir à rassurer l’équipe, étant eux-mêmes plongés dans le flou.

« Nous allons discuter avec Natacha Polony de la manière de garantir son avenir, son indépendance, la pérennité et la soutenabilité de Marianne », déclarait simplement le bras droit de M. Kretinsky au Figaro en fin de matinée. 

« Il y a une volonté de déstabilisation de la ligne éditoriale portée par Natacha Polony de la part de CMI », enrageaient plusieurs salariés en interne, tandis que la directrice de la rédaction doit rencontrer Denis Olivennes au cours de la journée de mardi. Contactée, cette dernière n’avait pas répondu à nos sollicitations mardi à la mi-journée.

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