Parler uniquement des vies perdues permet de ne pas mentionner la monstruosité et l’inhumanité des actes commis le 7 octobre

En France, chaque année, 3000 personnes perdent la vie sur les routes. Pourtant, personne n’oserait comparer ces tragédies aux 1200 victimes du 7 octobre ou aux 90 victimes du Bataclan. Toutes les vies ne se vaudraient donc pas ? Ce slogan, « Toutes les vies se valent », séduisant en apparence, cache un piège dangereux, celui du négationnisme ; derrière la valeur de la vie, il cache la nature de l’homicide.
Voici trois idées pour comprendre comment cette affirmation est non seulement fausse, mais perverse, voire négationniste.
Tout d’abord, la focalisation sur la victime occulte la diversité des agressions, toutes les morts ne se valent pas. Le slogan « toutes les vies se valent » met l’accent sur la victime, alors qu’en réalité, ce sont les agresseurs qui diffèrent par leurs motifs et leurs méthodes.
Le Code pénal distingue les crimes et délits selon le type d’agression et selon l’intention, beaucoup plus que selon la victime. En réduisant l’homicide à une seule et même valeur, on ignore la spécificité de chaque acte criminel et on banalise les différences fondamentales entre les agresseurs. Le Code Pénal explicite ces différences sur des dizaines d’articles, parce qu’il veut être juste. Les plus connues sont bien sûr la préméditation et le fait d’être volontaire ou involontaire. Même pour les animaux la distinction existe, c’est le fameux article L214-3 qui différencie les méthodes d’abattage. Parler uniquement des vies perdues permet de ne pas mentionner la monstruosité et l’inhumanité des actes commis le 7 octobre.
La deuxième idée concerne l’emploi du mot « valeur », la valorisation même d’une vie. La perception de la valeur de la vie (comme celle d’un objet) varie grandement selon les personnes, les perspectives culturelles et individuelles. Pour une mère juive, la perte de son enfant est une douleur infinie. Pour une mère palestinienne aussi, sans aucun doute. Mais les environnements culturels, spirituels et politiques autour d’elles sont radicalement opposés. Les récits propagés par les médias islamistes glorifient la mort en tant que victime, à l’inverse d’Israël qui paye le prix fort pour récupérer ses enfants vivants, et même ses enfants morts.
Le Hamas connaît à l’évidence la valeur sans limite de la vie pour les Israéliens, c’est bien pour ça que tout leur plan maléfique est conçu autour de la prise d’otages. Il fait, à l’inverse, bien peu cas de la valeur des civils palestiniens, sinon il appliquerait les conventions de Genève qui exigent que les combattants se tiennent à distance des civils. Le soldat israélien risque sa vie pour trouver les terroristes au sein de l’hôpital Nasser quand le terroriste du Hamas risque les vies des malades de l’hôpital en s’y cachant. Pour un soldat israélien, la valeur de la vie d’un civil palestinien est donc supérieure, et de beaucoup, à ce qu’elle est pour un terroriste du Hamas. Quant à la valeur de la vie d’un civil israélien pour un terroriste du Hamas… Ainsi les valeurs des vies des différentes personnes ne sont pas égales ; non pas en fonction des personnes, mais en fonction des observateurs.
On en vient au négationnisme par l’intention d’emploi de la formule : ne parler que de la valeur de la vie, c’est oublier et effacer les massacres du 7 octobre, comme le négationnisme nie l’existence des chambres à gaz. Compter les morts de manière indifférenciée revient à ne pas regarder comment et pourquoi (dans quel contexte ?) les personnes ont été tuées. C’est mettre sur un même plan les morts naturelles et toutes les autres morts. Crier que toutes les vies se valent, c’est nier l’existence et la douleur des victimes violées, décapitées, brûlées vives, assassinées devant leur famille. C’est rayer l’inhumanité des crimes du 7 octobre pour se limiter à un calcul comptable. Cela revient également à ignorer le sort des otages et à nier l’ampleur du drame vécu par les victimes et leurs familles.
Cette forme de négationnisme, qui explique aussi l’arrachage des affiches avec les photos des otages, est une atteinte à la mémoire collective et à la dignité des victimes. Ainsi, le slogan « Toutes les vies se valent » est non seulement réducteur, mais aussi dangereusement trompeur. Il permet aux terroristes de comparer leurs actes à d’autres actes, il permet aux politiques sans conviction de faire mine d’avoir une politique équilibrée, et il permet à beaucoup, pour beaucoup trop, d’effacer l’indicible du 7 octobre. De même que le monde entier s’est tu pendant des années après la deuxième guerre mondiale. C’est le nouveau négationnisme.
© David Lévy
David Lévy est Entrepreneur et ancien haut fonctionnaire