Tribune Juive

« Une faute politique incandescente ». Par Georges Benayoun

A l’issue de la remise à Macron du prix Lord Jacobovits par la Conférence des rabbins européens (CER) qui récompense un gouvernant pour son action dans la lutte contre l’antisémitisme, nous avons eu droit hier 7 décembre à une cérémonie d’allumage des bougies de Hanouka, en grande pompe par Korsia, sous les ors du Palais de l’Elysée.

Mais à quoi pensent-ils? Leurs conseillers? À la veille de la journée de la laïcité! Sont-ils à ce point déconnectés des fractures et des peurs du pays, de la violence qui monte et que peuvent déchaîner le moindre faux pas, le moindre malentendu? Ne savent-ils ils pas la suspicion d’une grande partie des musulmans de France pour la laïcité qu’elle juge être un outil de discrimination? Ne comprennent-ils pas qu’en célébrant une fête religieuse dans le temple de la république ils renforcent le sentiment du deux poids deux mesures, et pas uniquement pour la communauté musulmane? Sont-ils à ce point enfermés dans ce jeu monarque-courtisans qu’ils en ont sacrifié, jusqu’à la caricature, l’esprit républicain, cette laïcité pour laquelle nos aînés juifs se sont tant battus? Et ce faisant, ne voient-ils pas qu’ils soufflent ensemble sur des braises qui n’attendent que de s’enflammer?

Macron d’abord. Il semble avoir totalement perdu ses repères, sa boussole. L’homme, nous le savons, manque d’articulation. Ses « en même temps » construisent une nébuleuse d’incohérences. Et tout particulièrement depuis le pogrome génocidaire du 7/10 qui révèle définitivement que le costume est trop grand pour lui. Comme perdu, hébété, Il accumule les déclarations contradictoires. Nous étions restés sur son absence à la marche contre l’antisémitisme -qui m’a moins choqué que les conditions dans lesquelles sa décision a été prise, en écoute de Yassine Bellatar, porte-voix des Frères musulmans-, suivie de ses déclarations sur la route de Doha, sermonnant Israël sur ses objectifs de guerre, à quelques heures du passage à l’acte d’un islamiste sur le Pont Bir Hakeim en chemin vers le Monument en mémoire à la rafle du Vel d’Hiv.

Notre président -et ce qui lui reste d’autorité- passe son temps à allumer des feux qu’il n’arrive jamais à éteindre. Lui attribuer un prix pour sa lutte contre l’antisémitisme au moment où la peur des juifs de France n’a jamais été aussi forte est pour le moins surréaliste.

Plus grave peut-être, l’irresponsabilité de Haim Korsia au regard de ces sujets. Si on oublie volontiers la parenthèse pastorale de Gilles Bernhim, rarement nous n’avons eu un grand rabbin de France aussi politique. Samuel Sirat par son aura et son érudition, Joseph Sitruk par son charisme et ses réponses – avec lesquelles on pouvait ne pas être d’accord- aux défis religieux de la modernité, avaient su apporter à leur fonction la dimension spirituelle que la communauté pratiquante était en droit d’attendre. Je cherche encore cette hauteur de vue, la parole incarnée d’un guide communautaire chez Korsia. Dans son sillage, les notables consistoriaux, tout à leur entre-soi, cultivent leur proximité avec le pouvoir au prix de la confusion sur leurs rôles et sur leur statut. Au point que beaucoup se sentent plus représentés aujourd’hui par Yonathan Arfi, jeune président du CRIF (on revient pourtant de loin) que par les notables de la Porte de Champerret.

Cette Hanouka à l’Élysée est une double faute qui lance déjà une juste polémique dans les médias et dans les milieux politiques de tous bords. Nous n’avions pas besoin de cela aujourd’hui. La voix du grand Rabbin d’Angleterre, Rav Jonathan Sacks, auquel nous avons toujours préféré nous référer, nous manque. Une nouvelle fois, il faut traverser la Manche pour trouver des hommes qui se tiennent debout, fidèles à leurs valeurs. Sur le continent, nous n’arrivons même plus à faire avec ceux que nous avons.

Tout faux.

© Georges Benayoun

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Notes

[1] Angela Merkel avait été primée en 2013, le roi Felipe en 2016.

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