Tribune Juive

De la tempête Ciaran à la tempête planétaire demain : Le Hezbollah menace d’entrer en guerre, attaque imminente. Allo Paris, Ici le réel. Par Alexandra Laignel-Lavastine[1]

Membres du Hezbollah aux funérailles d’Abbas Shuman, membre du Hezbollah. 23 octobre 2023.
© REUTERS/AMR Alfiky

« Le gros de la tempête Ciaran arrive dans le Nord de l’Hexagone », lit-on ce matin à la Une de la presse française, toujours aussi à l’Ouest, si on ose dire. Encore que cette fois, l’aveuglement et l’abyssale déphasage des temporalités frise le chef-d’œuvre historique. Car au Proche-Orient, le compte à rebours a commencé. Les signaux se multiplient en effet depuis le mercredi 1er novembre : nous sommes à la veille d’une attaque imminente du Hezbollah dans les grandes largeurs, donc de l’Iran. Le Proche-Orient et la part réveillée du monde sont de fait suspendus à la déclaration d’Hassan Nasrallah, le chef de l’organisation terroriste libanaise, une prise de parole prévue pour demain à 15 heures. D’ores et déjà, celui-ci a lancé un ultimatum à Israël, naturellement censé se laisser impressionner et cesser ses attaques sur Gaza d’ici là.

Cela tombe bien, les trois quarts de la planète rêvent de la même issue. Mais cela tombe mal, le porte-parole de Tsahal, lui, a répondu en tout début d’après-midi ce jour : « Nous sommes prêts ! ». C’est que le Hezbollah est sous pression, les réseaux sociaux palestiniens, entre autres, commençant à se payer sa tête : « Alors, le Hezbollah nous soutient pour de vrai ou pas ? Des tirs de missiles antichars sur le nord d’Israël sans discontinuer, mais encore ? ».

Et en France ? La tempête sévit, des vents violents… c’est terrible.

Le compte à rebours a débuté tandis que Ciaran sévit…

Antony Blinken, le secrétaire d’État américain, est lui aussi attendu sur place en Israël aujourd’hui même, ce jeudi 2 novembre, signe de l’extrême gravité de la situation. Et pour la première fois depuis 1945, plus de cinquante navires de guerre de onze pays se trouvent dans les eaux méditerranéennes et en mer Rouge… Sur le terrain depuis le front Nord, mon camarade Michel Jefroykin, retourné ce matin au pastoral kibboutz Hanita où il habite, transformé en camp militaire retranché depuis un mois, m’envoie des nouvelles. Il vient d’y faire un aller-retour exprès afin d’y récupérer in extremis quelques affaires, étant lui aussi évacué depuis le 8 octobre : « Tout le long de la route qui sépare la ville côtière de Naharya du kibboutz, perché un peu plus haut, posé sur la frontière même, on observe des chars et des radars des surveillance tous les cent mètres, sur plus de dix kilomètres ». Pour ses amis sur place, peu de doutes: « Le Hezbollah devrait attaquer vendredi ou peut-être bien samedi », mieux, pour « l’anniversaire » du début de la guerre, pile un mois après l’attaque des trois mille terroristes massacreurs du Hamas le 7 octobre, sans compter le millier de va-nu-pieds, des civils gazaouis, ce qu’on appelait dans les pogroms d’Europe de l’Est la « deuxième rangée », venus ici piller, enlever et trucider, tronçonneuses à la main. Aujourd’hui encore, on apprenait autour de 14 heures que de nombreux terroristes iraniens sont entrés au sud Liban, dont la milice Imam Hossein. Trois fois rien.

En France ? J’interroge ce matin pour savoir si on est bien conscient d’être à l’aube d’une guerre Iran-US qui risque de déranger un peu, y compris dans les salons parisiens. J’alerte quelques rédacteurs en chef. On m’y répond de façon lunaire en prenant son temps que cette éventualité fait partie des pistes évoquées et — sans rire — que la colère de la météo a supplanté « l’actu en Israël » …

L’actu en Israël : tout est là. Business as usual. On ajoute qu’on est à la pointe du Finistère — en effet, c’est bien formulé ! — où le vent a soufflé à 207 kilomètres heures, même que le réseau téléphonique est down (diable !), « Rien de comparable avec une guerre, mais c’est dantesque », me précise-t-on sur le thème : « Tu n’y es pas du tout ! ».

Des chroniqueurs plus lucides — on les compte dans notre pauvre pays sur les doigts d’une ou deux main —, m’écrivent avec une douloureuse ironie : « Ici, on n’est conscient que d’une chose : les Juifs sont des nazis ! ». On avait tragiquement remarqué, oui, depuis un mois, les cinq minutes d’émotion rituelles passées pour la forme, après le plus grand massacre de Juifs depuis la Shoah.

Une guerre déjà régionale,

susceptible

de devenir mondiale

Mais laissons là cette France de Juin 1940, c’est-à-dire d’octobre 2023 qui, une fois de plus, se crève les yeux ou touche le fond, c’est selon, et où les Juifs rasent les murs. J’en sais quelque chose, ma maison s’étant aussi retrouvée, en Seine-Saint-Denis, ce 29 octobre, entourée de ces sympathiques pochoirs qui font fureur sur Internet, au point que plusieurs sites sont en rupture de stock. Et que personne ne semble avoir l’idée de suivre la piste Alain Soral et abjects affidés, pourtant la plus plausible. « On fait des rondes », me dit M. le maire, les autorités « compétentes » sont alertées, une référence sans doute à la police nationale qui fait précisément preuve de toute son incompétence depuis quinze ou vingt ans sur ce front-là. Ouf, on est rassuré. Mon voisin vient de s’armer. Passons.

Pour la première fois depuis 1945…

Au 26ème jour d’une guerre déjà régionale et susceptible de devenir mondiale, quoi de neuf ? D’abord, ce mercredi 1er novembre, j’y reviens, un Hassan Nasrallah qui possède l’art de la mise en scène et qui en était, dans la soirée de mercredi, à sa troisième vidéo de propagande en 24 heures (très inhabituel), nous donnant rendez-vous vendredi — aux Français aussi — à 15 heures, jour de prière dans le monde musulman, pour une conférence de presse.

On a un peu zappé à Gaza-sur-Seine. Dans le même temps, on apprenait que les États-Unis (les méchants) envoyaient des forces militaires au Moyen-Orient à une échelle sans précédent, en plus des porte-avions déjà présents au large. Par comparaison, les capacités opérationnelles de la France avec chacun d’entre eux peuvent aller se rhabiller. Dérisoires, et ce ne fut pas faute d’alerter depuis vingt ans. Nous venons en outre d’immobiliser plus de 10 000 soldats en Vigipirate, qui ne sont pas à l’entraînement, le pays baissant la garde tout en feignant de la relever. Pathétique, passons aussi. Rien qu’hier, au moins cinquante-trois avions C17 Globemaster III et sept avions C-5M Super Galaxy sont arrivés en Méditerranée orientale. 

De grosses vagues secouent la Manche, la mer Rouge aussi…

Il y a certes la Manche, secouée par de grosses vagues. Mais il y a aussi, dans le coin, au Moyen-Orient, une autre mer, appelée la mer Rouge, où il se passe de petites choses depuis quelques jours. Hier soir à 22 heures 35 par exemple, les Houthis du Yémen, des chiites supplétifs de la théocratie iranienne au même titre que le Hezbollah, lançaient de nombreux drones sur Israël, notamment sur la ville d’Eilat, où s’entassent des milliers de réfugiés des kibboutz ensanglantés — oui, il y a environ un demi-million de personnes « déplacées » en Israël, évacuées des fronts Sud (avec Gaza) et Nord (avec le Sud-Liban).  Fort heureusement, le missile balistique visant la station balnéaire a été intercepté avant qu’il ne franchisse le territoire israélien.

Puis le déluge a continué pendant la nuit, tandis qu’on dormait du sommeil du juste au pays de Voltaire. Aux alentours de 3 heures, d’autres missiles balistiques et de croisière – un peu du sérieux, comme ce Burkan-H-2 amélioré –, en même temps que des drones iraniens de combat, toujours en provenance du Yémen, étaient derechef interceptés par Tsahal, dont un Soumar, abattu avant de s’écraser dans le désert jordanien. En fin d’après-midi ce 2 novembre, on ne compte plus les missiles sol-sol là encore interceptés en mer Rouge grâce à un système de défense à longue portée ultra-performant.

Bref, la situation est un rien explosive. Pour la planète entière. À Paris, tout va bien.

En ouvrant ma boîte email parisienne à l’instant, je trouve : « Black November, c’est Noël avant l’heure, grand lancement, tenez-vous prêt ! ». Tenons-nous prêt, ce n’est pas une mauvaise idée, dans une France qui fait la sieste et ne s’en lasse pas. Je vous propose une « coalition internationale », disait le comique président Macron lors de sa tardive visite en Israël du 23 octobre, jamais à cours d’une communicante illumination sortie de son chapeau, juste après sa visite de courtoisie à Mahmoud Abbas, qui n’avait évidemment pas oublié d’applaudir aux massacres des kibboutz dès le lendemain du Shabbat noir, car le Hamas « résiste », c’est bien connu.

Et le Hezbollah aussi, sans doute.

© Alexandra Laignel-Lavastine


[1] Elle vient de publier une virale « Lettre ouverte au président Emmanuel Macron », dans Tribune juive du 23 octobre 2023. https://www.tribunejuive.info/2023/10/24/lettre-ouverte-au-president-emmanuel-macron-a-loccasion-de-son-arrivee-en-isr

Docteur en philosophe, historienne de la Shoah, universitaire, essayiste et éditorialiste. Auteur, notamment, de La Pensée égarée : islamisme, populisme, antisémitisme, essai sur les penchants suicidaires de l’Europe (Grasset, 2015, prix de la Licra) ; et de Pour quoi serions-nous encore prêts à mourir ? Plaidoyer en faveur d’une réarmement intellectuel et moral face au djihadisme (Le Cerf, 2017, Ménorah d’or).


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