
Parmi les idées reçues qui ont la vie dure, il en est une qui refait surface aujourd’hui, 23 ans après la crise antisémite des années 2000, à savoir que l’antisémitisme islamique, qui connaît un regain en France, relève d’un « conflit importé », de sorte qu’il ne sévirait en France que par ricochet.
Deux types d’explications toutes faites découlent de cette notion. L’une met l’accent sur le fait qu’il y a en France des populations juive et musulmane qui font du pays l’arène de leurs conflits sui generis. L’autre met l’accent sur le conflit du Moyen Orient comme cause de la situation. La morale de la première explication est toute résumée dans le mot de Hubert Védrines en 2020, qui disait « comprendre » les actes (antisémites) des « jeunes » des banlieues à la lumière de ce qu’Israël « faisait aux Palestiniens ». Celle de la deuxième explication est toute résumée dans la standing ovation qui a accompagné la reconnaissance par l’Assemblée nationale d’un État palestinien.
Dans la première explication, la France est supposée assister en spectatrice à ce qui se trame (ce qui signifie que Juifs français et musulmans ne s’inscrivent pas dans l’arène de la société française) alors que, dans la deuxième implication, c’est l’État d’Israël qui est tenu pour la cause du conflit parce qu’il occupe la « Palestine » et récuse l’existence d’un État palestinien.
Face à cet état de fait, les Juifs français agressés ont été sollicités, par État d’Israël interposé, pour « faire un effort » afin de ne pas provoquer les islamistes en France et de ne pas faire trop de vagues autour de l’antisémitisme qui leur est attribué. Ainsi a-t-on vu le ministre de l’intérieur du gouvernement Jospin, Daniel Vaillant, décider, au début des années 2000, de faire le blackout total sur plus de 500 agressions antisémites, pour « ne pas jeter de l’huile sur le feu » – comme si la sécurité des citoyens juifs de ce pays pouvait être sacrifiée pour « sauver la paix publique » – et éviter une confrontation directe avec les islamistes.
Démontés par cette épreuve, 40 000 Juifs quittèrent, en silence, la France pour trouver refuge en Israël, tandis qu’une grande partie du reste de la population juive connut une migration intérieure pour échapper aux actes antisémites courants dans les zones de population mixte. Tout ceci se fit dans le plus grand silence des médias et des institutions. Le gouvernement eut pour stratégie de susciter, pour la galerie, « un dialogue des religions » destiné à socialiser l’islam et apaiser sa relation aux Juifs, comme si ces derniers étaient responsables de haine à leur égard, comme s’il fallait amadouer l’islam français, réputé modèle de paix, comme s‘ils devaient s’excuser de l’existence d’Israël rendu responsable de cette zizanie. Le sionisme fut diabolisé, tandis que l’islam fut « sanctuarisé » célébré dans son message de paix…
Ces deux doctrines aboutirent en fait à désamorcer la dimension franco-française de l’état de fait et donc la responsabilité de l’État français : la situation, mal définie, ne put être affrontée. Le conflit est, en effet, dans tous les sens du terme, franco-français. Les « jeunes des banlieues » n’ont aucun lien historique ou contemporain avec les Palestiniens, ils sont nés en France et sont français ; Ils ont certes un héritage culturel nord-africain qui date d’avant l’immigration en France. Et dans lequel l’antisémitisme était présent. C’est par le biais de l’islam et du djihad qu’ils se connectent à la cause palestinienne à l’œuvre sur un plan mondial, dont ils se servent comme d’un cheval de Troie de leurs problèmes d’insertion dans la société française, un prétexte bénéficiant d’une justification réputée morale de leur action. C’est dans ce cadre mental que le terroriste Merah a pu déclarer qu’en tuant les enfants de l’école juive de Toulouse il « vengeait les enfants de Gaza ».
Soutenir que le conflit est importé équivaut donc pour la France à récuser toute responsabilité, et à négliger toute action en France même, donc à abandonner de facto les Juifs.
Quant à l’action pour « sauver » le Moyen Orient de tout conflit, elle se réduit la plupart du temps à faire l’apologie d’un État de Palestine et à plaider la cause de la « Palestine », victime supposée essentielle du sionisme au profit duquel elle aurait été sacrifiée en compensation de la Shoah dont l’Europe se sent coupable. Exit l’antisémitisme islamique franco-français! Voire plus, car, pour des raisons de paix sociale, on lui oppose d’ordinaire l’excellence originelle de l’islam, un argument qui absout de facto le comportement de secteurs (islamistes) de la population musulmane.
Comment expliquer alors la situation ? En fonction de deux réalités intangibles. D’un côté, l’existence d’une « guerre de religion », d’un djihad, de dimensions internationales, qui peut frapper n’importe où dans le monde (par exemple Merah), une guerre qui a pour cible le non-musulman et en premier le Juif. D’un autre côté, le fait que la cause palestinienne est grosso modo portée en France par le milieu ambiant, médias et la politique française, donne au djihadiste un encouragement et une justification qui confère un semblant de justification à sa cause. Comme « on » compatit à la Palestine, « on comprend » l’humeur de ces « jeunes de banlieue », dont on relativise le comportement. L’antisémitisme est ainsi accompagné par les médias et les acteurs politiques d’une apologie de l’islam et de la cause palestinienne, ce dernier trait tournant au désavantage d’Israël, quant à lui critiquable et au plus condamnable (la pire formule accablant l’Israël de « la droite », de l’extrême droite, des « colons » et tout le cortège des épouvantails de la supposée gauche).
Cette définition erronée de la situation a préparé le terrain à une extension du phénomène, ce qui explique pourquoi l’antisémitisme n’a fait que progresser depuis en France. Aujourd’hui nous avons un parti islamogauchiste à l’Assemblée, Ses supporters dans la rue crient « Mort aux Juifs ». Ils demandent que la France consacre le mensonge de l’apartheid israélien, une façon détournée, à la manière, ingénieuse, des Frères musulmans, d’inscrire la France, via l’exclusion universelle (juridique) d’Israël, dans le Dar el islam….
© Shmuel Trigano
Shmuel Trigano est Professeur émérite des Universités