Tribune Juive

Judith Bat-Or. « Israël est en guerre. Bonjour Israël »

Judith Bat-Or

« Israël est en guerre. Bonjour Israël ». 

C’est ainsi que s’est conclu le bulletin d’information, ce matin. Le 8 octobre. Le deuxième jour. 

Puis j’ai coupé la radio. J’en sais assez maintenant. S’il doit y avoir des attaques de missiles à Jérusalem, j’entendrai la sirène. Mais pour l’instant, plus que tout, j’ai besoin de silence. En écrivant ces mots, mon cœur se serre. Mélange de tristesse et de honte. J’ai besoin de silence ? Moi ? Que devraient dire les malheureux qui ont vécu les événements dans leur chair, non sur un écran. Ceux qui ont perdu leurs proches. Et les soldats qui combattent. Qui risquent pour moi leur vie. Nous n’avons eu ici qu’une petite dizaine d’alertes. Épargnés. Privilégiés. Pourtant, cette première journée de guerre nous aura marqués pour toujours. Une attaque terroriste à l’échelle d’un pays. Notre population visée. Toute notre population. Des villages saccagés. Des familles massacrées. Des civils assassinés de sang-froid et à bout portant. Les images diffusées de meurtriers heureux, fiers, paradant. Et d’autres, de leurs victimes, de leur terreur, de leurs souffrances. 

Hier, je me suis levée comme à mon habitude, à l’aube. Je me suis installée avec mon café dans ma cour, mon paradis privé. L’air était frais. Si doux. Je pensais aux semaines qui venaient de passer, des fêtes de début d’année. Ces jours de grâce suspendus entre la folie d’avant et celle qui ne manqueraient pas de suivre. Cette période de l’année est magique en Israël, plus encore à Jérusalem. 

La fièvre de Rosh Hashana. Encore dans le tourbillon de ce qui a précédé, on discute, on dispute, autour de tables débordant de délices en tout genre. Puis, repus, on se tait, laissant l’espace sonore aux plus jeunes.

Au fil de la semaine d’après, les démarches s’alourdissent. Le rythme ralentit. Le compte à rebours commence, jusqu’à Kippour, où nos destins se nouent, jour du pardon, de l’addition. Le grand soir, les enfants jouent, courent, dévalent en trottinette ou à vélo les rues libérées des voitures. Le lendemain, les adultes, vêtus de blanc, déambulent, le pas traînant. Quand ils se croisent, ils se sourient. Enfin unis. Les heures passent, pour certains à la prière, au recueillement. À l’examen de conscience. Les autres, se contentant de respecter la tradition, s’occupent pour tromper la faim, la soif, la nausée, la migraine… La sonnerie du Shofar, la corne du bélier, annonce la fin de leurs misères. Les jeux sont faits.

Les rues, vidées le temps d’un repas, se remplissent à nouveau, de voix et de coups de marteau. Une ruche. Devant leur maison, les familles ont retroussé leurs manches pour construire la cabane dans laquelle ils festoieront, riront, parfois même dormiront pendant la période de Souccot.

Jérusalem pendant Souccot ! Bazar géant à ciel ouvert. Partout, de la joie, de la vie. Les fêtes qui s’achèvent, dans un bouquet final, comme un feu d’artifice, avec Simhat Torah.

Simhat Torah, c’était hier.  

Dans ma petite cour privée, en buvant mon café, je me réjouissais à l’idée de marcher dans les ruelles de mon quartier, de synagogue en synagogue, d’assister à la fête, écouter les prières, voir les plus pieux danser, avec entre leurs bras les rouleaux de la Torah, le plus précieux des biens. De les voir célébrer dans l’allégresse le mot, la loi, la création.

Mais l’homme prévoit et D.ieu rit.

Par acquis de conscience, j’ai voulu jeter un œil aux titres de l’actualité. Certaine de n’y trouver que des banalités. Tel-Aviv sous les missiles ! J’ai bondi. Et mon cœur dans ma poitrine. Mon fils. Sa famille. Puis la sirène a retenti.

Hier soir, les rues, d’ordinaire animées après les jours sacrés, étaient désertes et silencieuses. Et ce matin, la ville semble ne pas vouloir s’éveiller. Entre le chant des oiseaux, on entend seulement les radios, les infos.

Israël est en guerre. Bonjour Israël.

Le marché mahane yehuda aujourd’hui à midi. Une des heures de plus grande fréquentation

© Judith Bat-Or

Auteur du « Journal d’une invisible » et « Liquidation à Pôle Emploi », le thriller de l’été

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