Tribune Juive

La plage est bondée. Nous sommes vendredi après-midi …

Je me suis installé, entre une famille nombreuse dont les enfants balancent du sable aux 4 points cardinaux et un homme bedonnant et dépressif, en slip de bain Éminence, qui grignote des graines de tournesol, en recrachant les cosses vides aux 4 points cardinaux.

Il n’y a pas d’autre place. La plage est bondée. 

Nous sommes vendredi après-midi. 

Je porte un maillot de bain à rayures Ron Dorff, une marque suédoise de « sportswear sexy ».

Il me va un peu juste. Les rayures, ça n’avantage pas toujours. 

Il faut que je me reprenne en mains, que j’affine ma silhouette. Fini, les bricks à l’œuf. 

Je commande une bouteille d’eau minérale. 

Et une pastèque à la feta ( 264 calories pour 100 g ).

L’un des mômes vient me réclamer une tranche de pastèque. Son frère suit. 

Le troisième frère en se jetant sur mon assiette, fait tomber la pastèque dans le sable. 

Les trois ricanent. 

L’homme dépressif me propose des graines de tournesol, en soupirant. 

Une annonce au haut-parleur. 

Un enfant de 6 ans s’est perdu sur la plage. Il a un teeshirt bleu et un maillot rouge. On est prié, si on le trouve, de le ramener à la cabine des maîtres-nageurs. 

Le signalement correspond à celui qui m’a balancé ma pastèque par terre. 

Je commande une nouvelle pastèque. 

Il a du se perdre en mer. 

Un quart d’heure plus tard, nouvelle annonce. 

L’enfant a été retrouvé. Il a été ramené par des joueurs de raquettes à qui il avait volé la balle. 

J’annule ma commande. 

La mer est un peu agitée. 

Une annonce. 

On nous informe de la présence de méduses. 

Je déteste ces saloperies fourbes et gluantes. 

Je me mets quand même à l’eau, pour tester la fluidité du Ron Dorff et commencer le travail sur ma silhouette. 

Une entité translucide s’abat sur ma poitrine.

Je fais un saut de carpe en hurlant. 

Par haut-parleur, le maître-nageur demande si j’ai un problème. 

C’est en fait un sac plastique que m’a balancé le gamin de 6 ans en teeshirt bleu et maillot rouge. 

Il a l’air de trouver ça très drôle. 

Il s’enfuit sous les applaudissements de ses frères. 

Je retourne sur la sable. 

L’homme bedonnant et dépressif me propose, à nouveau, des graines de tournesol. 

Morose, je me mets moi aussi, à recracher des cosses aux 4 points cardinaux.

Je suis à deux doigts, de demander à l’homme dépressif de partager son flacon de Zoloft. 

Son slip de bain Éminence n’est finalement pas si mal. 

L’enfant au teeshirt bleu et maillot rouge est remonté sur la plage, en pleurs. Une vague a emporté son ballon au large. 

Je retrouve ma bonne humeur et commande un Mojito et des chips.

Tant pis pour la silhouette suédoise.

Le soleil se couche. 

Le ciel devient rouge orangé. 

Les parasols sont rabattus, ils ressemblent à des flamants roses

Le DJ du Banana Beach a mis du reggae. 

Alpha Blondy chante en hébreu.

« Béni Soit-tu Dieu notre Dieu Roi de l’Univers

   Bénie Soit-tu Jérusalem, ma chérie

   Shalom Salaam… »

La cabine des maîtres-nageurs ferme. 

Une dernière annonce :

« Shabbat Shalom. 

La plage n’est plus surveillée, désormais ceux qui se noieront le feront sous leur propre responsabilité ».

L’homme bedonnant et dépressif a plié bagages en soupirant et m’a laissé ce qui reste de son sac de graines de tournesol. 

A l’horizon, les lumières du port de Jaffa se sont allumées. 

Les enfants à côté se sont endormis sur leurs serviettes de bain. 

Sauf celui en teeshirt bleu et maillot rouge. 

Il vient vers moi. 

Je planque mes chips. 

Il veut juste m’offrir un morceau de sa glace, me dire qu’il s’appelle Avi, et me souhaiter Shabbat Shalom. 

Shabbat Shalom Avi.

© Daniel Sarfati

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