Tribune Juive

La crise israélienne. Une interview d’Ehud Barak de 2020 qui interpelle. Une Tribune de Marek Halter

Mais que sont ces propos d’Ehud Barak, tenus dès 2020

Des prises de position comme celle de Mélanie Phillips , des plaintes telles celle de Miri Regev, dénoncent aujourd’hui sans ambiguïté « le projet de coup d’ Etat » qu’aurait caressé Ehud Barak depuis des années. À l’appui de leurs thèses, des faits tellement énormes qu’on a peine à y croire, une manipulation aux ficelles si épaisses que le doute nous étreint. Et l’occasion de relire Shmuel Trigano https://www.tribunejuive.info/2023/06/07/shmuel-trigano-du-coup-detat-au-coup-monte-cette-fois-ci-on-est-fixe/

Reste en effet que les propos de Barak doivent attirer l’attention sur le personnage décidément a minima « discutable ».

L’ancien Premier ministre israélien Ehud Barak lors d’une manifestation à Tel Aviv contre les réformes judiciaires prévues par le gouvernement, le 25 février 2023.
Photo par Avshalom Sassoni /Flash90.

Dans un clip où il prend la parole et qu’on retrouve sur internet, Barak, trois ans avant que la réforme judiciaire ne soit au centre du débat, détaillait pour le groupe Forum 555 un plan de coup d’État qui renverserait le gouvernement Netanyahou et l’installerait lui-même en tant que Premier ministre.

La ministre des transports Miri Regev a envoyé au procureur général Gali Baharav-Miara une lettre demandant l’ouverture d’une enquête contre l’ancien Premier ministre Ehud Barak et le Forum 555, un groupe de pilotes et de navigateurs à la retraite de l’armée de l’air israélienne, pour avoir « incité à un coup d’État ».

En cause, le clip vidéo circulant sur les médias sociaux et qui « montre sans l’ombre d’un doute qu’à partir de mars 2020, d’anciens responsables ont commencé à concocter un plan pour un coup d’État et une désobéissance civile, avec une planification détaillée et minutieuse »: « Nous avons vu la tentative de le mettre en œuvre ces derniers jours », appuie la ministre, appuyée par la ministre de la diplomatie publique, Galit Distel Atbaryan, dénonçant dans ledit plan « la présentation fausse d’un danger pour la démocratie » et l’aide au financement des manifestations, notamment par l’achat de drapeaux, le tout montant à des sommes faramineuses et prétendant conduire à un point de non-retour – une guerre civile – Barak exhortant les opposants à la réforme judiciaire de créer des affrontements avec la police.

Interrogé lors de l’interview de 2020 au sujet d’une éventuelle reprise du « succès de 1999 », lorsqu’il fut élu Premier ministre, Barak déclare : « Un de mes amis, un historien, m’a dit un jour : « Ehud, ils vous appelleront quand les corps flotteront dans la rivière Yarkon. Je tiens à souligner que ce ne sont pas les corps de Palestiniens des territoires résidant illégalement en Israël qui flotteront, et non ceux des Arabes israéliens. Les corps flottants seront des Juifs qui ont été tués par des Juifs. »

Il poursuit en disant que si le Premier ministre Benjamin Netanyahu disparaissait d’une manière ou d’une autre de la scène, et que si la situation d’Israël s’aggravait sur divers fronts, il était « le plus apte et le plus préparé à prendre le volant ».

Pour rappel: alors que, dans un discours en mars adressé au groupe de réflexion Chatham House basé à Londres, Barak expliquait comment les manifestations pourraient faire tomber un gouvernement, le même dans un discours prononcé à Haïfa en juin, exhorta, citant des précédents dans l’histoire, les manifestants à se révolter : « J’appelle les citoyens d’Israël à se préparer à l’appel à agir, et quand l’appel viendra, à y répondre », avait-il déclaré.

À noter: si Ehud Barak déclare, à propos de cette interview filmée, qu’elle ne « révélait aucune nouvelle information », le fondateur de Forum 555 a évoqué sur Channel 14 cette semaine ce coup d’État prévu « depuis un certain nombre d’années ».

Le plan d’un soulèvement contre Natanyahou était en tout cas plus qu’en gestation dans son intention générale, et discuté par un homme qui, ex Premier ministre, chef du renseignement militaire et chef de l’état-major général de Tsahal, exhorte à une insurrection de masse et à une guerre civile qui, selon lui, entraîneraient le meurtre de Juifs par des Juifs et le conduiraient au pouvoir.

« Malheureusement, il ne peut certainement pas y avoir de compromis avec les principaux organisateurs des manifestations anti-réforme, car pour eux le vrai problème n’a jamais été la réforme elle-même. Comme l’ont déclaré explicitement dès le départ l’ancien Premier ministre Yair Lapid et d’autres, l’objectif était de faire tomber le gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu », écrit Mélanie Phillips le 28.7.23.

Les manifestants ne s’arrêteront pas parce qu’ils pensent qu’ils peuvent faire tomber le gouvernement de Netanyahu.

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Du côté des opposants, La Tribune de Malek Halter

À tous les Juifs du monde : faites entendre votre voix !

« Pour la cause de Sion, je ne resterai pas inactif, pour la cause de Jérusalem, je ne me tiendrai pas tranquille, jusqu’à ce que ressorte, comme une clarté, sa justice, et son salut, comme un flambeau qui brûle », dit le prophète Ésaïe (62, 1) à la vue d’Israël s’éloignant de la justice.

Je suis juif. Non seulement parce que ma mère l’était, ou parce que persécuté en tant que tel, mais parce que, dans la tradition juive, la justice n’est pas un concept de plus. Elle est le fondement même de son identité. « Justice, justice tu poursuivras », dit le psalmiste. Et cela me séduit.

C’est ce rêve qu’une tribu sémite, une parmi d’autres, est partie chercher il y a plus de 4 000 ans, avec Abraham, à Jérusalem, « Salem », où elle fut accueillie et bénie – étrange hasard ! – par un roi du nom de Melchisédech, « roi de justice ».

Quant à l’État d’Israël, il n’a jamais été pour moi, enfant du ghetto de Varsovie, une compensation pour les 6 millions de mes frères tués lors de la Shoah, ou le résultat, comme certains le prétendent, d’un quelconque miracle. Il est l’accomplissement de la justice. Exigence que les Juifs n’ont jamais abandonnée. Le grand écrivain français, François-René de Chateaubriand, a pu le constater, il y a plus de deux siècles, lors de son voyage à Jérusalem.

« Dictateurs modernes »

C’est un fait. Malgré la dispersion contrainte et les occupations successives, la communauté juive restée en Israël n’a cessé, par la préservation de son patrimoine, le travail de la terre à laquelle elle était attachée et la lutte armée, de revendiquer la justice. Cette justice qu’elle a obtenue sous forme d’indépendance lors du vote historique des Nations unies le 14 mai 1948.

Lecteur de la Bible et admirateur des prophètes, je sais, comme eux à leur époque, combien un pays dont le fondement même est la justice se met en danger à l’instant où le respect de ce principe se tarit. Ayant eu la chance de côtoyer quelques-uns des fondateurs de l’Israël moderne, dont chacun connaissait bien l’histoire, je sais, comme eux, comment les ennemis de la démocratie l’utilisent pour arriver au pouvoir et en liquider les acquis par des lois votées à la majorité.

« N’oublie pas, me rappelait David Ben Gourion, que la plupart des dictateurs modernes sont arrivés au sommet des États de manière démocratique ». C’était, selon lui, la raison d’être de la Cour suprême de justice. Une institution qui ne dépend d’aucun gouvernement et dont l’action est d’empêcher toute atteinte à la liberté, aux droits des minorités et à la justice, tentation naturelle de tous les pouvoirs, quels qu’ils soient.

La survie de la démocratie israélienne

Or voici que la coalition de Benyamin Netanyahou, et ce pour la première fois depuis la renaissance d’Israël, met en question l’existence et l’indépendance de cette institution unique, indispensable à la survie de la démocratie israélienne. Une réforme qui permettra à quelques hommes avides de pouvoir d’émettre, à leur guise, des lois iniques.

C’est pour ne pas devenir les citoyens d’un État théocratique, tel l’Iran des mollahs, que des millions d’Israéliens manifestent depuis des semaines à travers le pays. Ils veulent ainsi préserver la démocratie, rêve de leurs pères, les droits des femmes et l’indépendance de la justice.

J’aurais dû être à leurs côtés. Car la justice, négociée par Abraham avec l’Éternel, n’appartient pas seulement aux Israéliens. Elle est le lien qui unit tous les Juifs de par le monde. Limée, détournée par son gouvernement, elle affaiblit toutes les communautés de la diaspora.
J’appelle donc les Juifs du monde, femmes, hommes, religieux ou laïcs, de gauche comme de droite, tous ceux qui se sentent solidaires d’Israël, quand il est agressé par ses ennemis mais aussi et surtout quand il risque d’engendrer une guerre entre les Juifs, comme ce fut déjà le cas au cours de sa longue histoire : faites entendre votre voix !

Israël doit rester un État modèle, un État juste, tant pour ses citoyens que pour les minorités qui y demeurent. « La démocratie n’est pas la loi de la majorité, écrivait Albert Camus (Carnets III, mars 1951-décembre 1959), mais la protection de la minorité ». À tous les Juifs du monde : les Israéliens attendent votre réaction et les nations vous regardent !

© Marek Halter

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