
Réponses aux lecteurs
Mon article « Orwell l’antisémite qui n’écrit pas comme il pense » m’a valu un nombre important de commentaires, ce dont je me félicite car aucun ne l’a été sur le mode de l’injure mais au contraire dans un esprit de dialogue constructif. Comme on dit, de la discussion jaillit la lumière. Une fois de plus, les lecteurs de TJ ne sont pas des veaux. Ce journal est un moyen de réflexion. Il l’est, il le restera et le sera plus encore dans les prochains mois.
Il est un fait qu’Orwell nécessite autre chose qu’un simple article, la chose est entendue.
Cependant je suis toujours étonné de constater que même chez les plus grands spécialistes d’Orwell, très peu connaissent l’existence de Zamiatine. Pour exemple et sans dire le nom de personnes qui, pour la plupart sont célèbres et même sont considérées comme des exégètes d’Orwell, je puis vous assurer qu’ils ignoraient jusqu’à l‘existence de ce livre, « Nous » !
Passons à certaines critiques :
La « novlangue »
Certes Orwell a inventé le terme et a développé une théorie qu’à aucun moment je récuse. Cependant le radicalisme d’Orwell, notamment son dévoiement à l’extrême gauche, est notoire. Comment pourrais-je accepter un délateur quel qu’il soit ? Pour moi, un mouchard est un mouchard et la liste de personnes qu’il accuse nommément d’être crypto-communistes me rappelle Mc McCarthy, pas O’Brien. Par ailleurs avait-il besoin de préciser que certains sont Juifs, Noirs ou homosexuels ? C’est là un procédé qui ne grandit pas un homme, fût-il un génie.
On m’accuse clairement de minimiser le rôle d’Orwell contre Franco. À bien lire mon texte, à aucun moment je donne quitus à Franco ! Loin de là ! Je veux dire seulement que la guerre d’Espagne a aussi été un règlement de compte entre factions communistes. On sait les massacres perpétrés par les uns contre les autres, même si toutes les factions étaient, et je l’accorde au commentateur qui m’en fait le grief, résolument anti-franquistes.
En ce qui concerne Zamiatine
L’écrivain est inconnu du grand public. A l’instar de Hannah Arendt, il est anti-totalitaire ce qui signifie qu’il a lutté contre Hitler comme il a lutté contre Staline. Reprocherait-on à Ben Gourion d’avoir dit « Je lutte contre les Anglais comme si Hitler n’existait pas ; je lutte contre Hitler comme si les Anglais n’existaient pas » ?(1)
Zamiatine lutte et contre Hitler et contre Staline. À aucun moment dans les écrits de Orwell il parle de la Shoah connue pourtant par lui en 1949 quand il écrit « le nationalisme comme je le comprend, comprend le sionisme, le catholicisme politique etc ». Si on voulait faire du wokisme, on pourrait entendre Mélenchon !
Le travail d’un historien n’est pas de déconstruire mais de découvrir. En expliquant Orwell avec des mots d’aujourd’hui, on déconstruit et on fait du wokisme. Et Dieu sait si je trouve chez Orwell un génie certain. Mais qu’on ne compte pas sur moi pour en faire une icône. J’ai voulu seulement réhabiliter Zamiatine que personne connait et sans qui « 1984 » ne serait pas ce qu’il est. Mais plus encore a-t-on le droit de s’inspirer d’une œuvre (« NOUS ») et d’un homme humilié par Lénine et expulsé par Staline sans reconnaître qu’il a été son inspirateur ? J’appelle cela de la malhonnêteté intellectuelle.
Orwell était antisémite
Certes il a lutté contre le colonialisme britannique notamment dans la question indienne mais à aucun moment il a dénoncé le Livre Blanc contre l’immigration juive en Palestine. Pour lui, comme pour les anarchistes du POUM, le Juif c’est l’exploiteur.
Il me serait facile de conclure en ne revenant pas sur l’accusation masquée selon laquelle je serais un homme de gauche (voire crypto-communiste ET stalinien) en notant que les hommes de droite lisent plus facilement Orwell que les hommes de gauche. En ce qui me concerne je viens de la gauche c’est un fait, mais aujourd’hui face à déliquescence d’une droite et d’une gauche républicaine, je ne suis ni de droite ni de gauche mais foncièrement attaché aux valeurs de la laïcité républicaine et de ce fait, violemment opposé aux extrêmes. D’ailleurs, un petit test sémantique si vous le voulez bien : on ne dit plus extrême gauche ou extrême droite mais « ultra » gauche et « ultra » droite, sans doute parce que les extrêmes s’appellent la NUPES ou Reconquête. N’en déplaisent à mes chers lecteurs, je lutte et contre l’un et contre l’autre.
Le totalitarisme c’est Hitler ET Staline. Orwell a raison de dénoncer Staline. Mais qu’on lise ses écrits (et entre nous on ne les lit pas pour des raisons qui « gênent », notamment la liste noire de délation écrite en 1949), pour constater que cet homme n’a pas toujours écrit ce qu’il pensait.
Une dernière remarque : lisez Zamiatine car je suis certain que le nom jusqu’à mon article vous était parfaitement inconnu …
Voilà ce que je voulais rappeler en disant clairement que la meilleure manière d’honorer un homme c’est de dire aussi ses faiblesses.
© Michel Dray
NOTES
(1) Ben Gourion (Edition Stock 1971)