
Palestine
À propos de l’exposition « Ce que la Palestine apporte au monde ? » de laquelle TJ vous avait entretenus et qui a ouvert ses portes il y a 2 jours, les radios qui « vendent » l’expo font des philistins les palestiniens. C’est ce qu’a fait Yvan Amar à son tour sur RFI, dans sa rubrique « Les Mots de l’actualité », où il entreprend d’expliquer à ses auditeurs toute « l’ambiguïté du mot ‘Palestine’ dans la géopolitique contemporaine ».
À noter: l’émission est réalisée en partenariat avec la DGLFLF ou Délégation Générale à la Langue française et aux Langues de France.
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Yvan Amar. « Le mot de l’actualité avec la délégation à la langue française du ministère de la Culture »
« Ce que la Palestine apporte au monde ? » Voilà le titre d’une grande exposition présentée à l’Institut du monde arabe à Paris à partir d’aujourd’hui, et qui présente de nombreux aspects de la culture palestinienne, des photos bien sûr, anciennes ou contemporaines, des textes, des manuscrits et même la préfiguration d’un musée national d’art moderne de Palestine.
Et tout cela, bien sûr, nous ramène au sens et peut-être à l’ambiguïté de ce mot dans la géopolitique contemporaine : Palestine, voilà un terme qui renvoie à une réalité géographique. Ce n’est pas le nom d’un État souverain qui serait reconnu par tous, et son existence d’ailleurs est même au cœur d’un des conflits les plus longs et les plus complexes de ce siècle et du siècle dernier. Parler de Palestine, indirectement, c’est donc plus ou moins revendiquer la légitimité d’un État qui porte ce nom. Il faut préciser que la Palestine est reconnue, par exemple, comme État membre par l’Unesco et comme État observateur non-membre par l’ONU.
Alors par ailleurs, on parle souvent des territoires palestiniens en utilisant justement ce mot qui est infiniment neutre et vague : territoire. Ou même au pluriel : des territoires, puisque ceux-ci sont morcelés, ne forment pas une étendue d’un seul tenant. Et cette incertitude, et même cette gêne, c’est bien la marque du conflit. Le mot territoire renvoie à une certaine imprécision, parfois aussi à une idée de périphérie voisine, de temps en temps d’une idée d’inégalité.
Alors le mot Palestine, lui, est très ancien. Dans l’Antiquité, il désignait d’abord la région côtière située autour de Gaza. Et l’historien Hérodote mentionne le mot (bien sûr en grec). Mais ensuite, pendant une très longue période, la Palestine, cette dénomination a été plus ou moins abandonnée, même si parfois on parlait de Syrie-Palestine jusqu’au début du XXᵉ siècle. Et en 1919, à la fin du premier conflit mondial, la Palestine, c’est comme ça qu’on l’appelle, est placée sous mandat britannique.
En tout cas, on voit que si la Palestine est difficile à définir, les Palestiniens, eux, ils existent bien, et qu’au départ les Palestiniens sont les Philistins. En effet, c’est de là que ça vient, c’est du nom de ce peuple. Et là encore, c’est ambigu, parce que traditionnellement, les Philistins, ils n’ont pas une très bonne réputation. Pour certains en tout cas. C’est un peuple comme un autre qui s’est opposé à d’autres peuples. Mais comme les Philistins, à plusieurs reprises, ont été opposés aux Hébreux, les textes bibliques les ont souvent représentés comme les ennemis. Dans l’épisode de David et Goliath, dans celui de Sanson et Dalila, tout cela témoigne de ces conflits et place les Philistins dans le camp des méchants d’une certaine façon, alors même que cette origine linguistique est tout à fait oubliée quand on parle aujourd’hui de Palestine ; on parle de Palestiniens, bien sûr, et pas de Philistins ».
© Yvan Amar
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Réactions
Des réactions ont été immédiates, telles celle d’InfoEquitable ou de Yana Grinshpun, et devront l’être systématiquement:
Réaction d’InfoEquitable
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Message de Yana Grinshpun, linguiste, à la DGLFLF
Objet: Palestine RFI
« Bonjour,
Je vous signale une information errone historique et linguistique diffusée par RFI au sujet de Palestine. Dans le podcast diffusé par RFI « Le français facile », un commentateur explique que les Palestiniens sont les Philistins.
C’est faux. Si le nom Palestinae est effectivement mentionné par Hérodote au V siècle de notre ère, il renvoie au peuple appelé dans les textes hébreux Philistins.
Ce nom vient de la racine hébraïque [pls] et signifie invasion, intrusion.
Les Philistns étaient un peuple indo-européen, disparu vers le V siècle avant notre ère. Ils n’ont rien à voir avec les arabes de Palestine dont parle le podcast.
Le nom « Palestine » est donné au roayume de Judée en 1935 par l’empereur Hadrien suite à la révolte de Bar-Kochba.
Le nom est choisi pour humilier les Juifs dont les Philistins étaient des ennemis anciens, de la même manière Hadrien rebaptise Jérusalem en Aelia Capitolina.
Au XIX siècle, on utilise le terme « Syrie du Sud » pour parler de cette province. On parle également des Juifs et des Arabes de Palestine mandataire avant la création de l’État d’Israël.
La charge sémantique contemporaine (désignation d’une entité qui aspire à la souveraineté nationale) apparaît après 1964, à la suite de la création de l’OLP.
Ainsi, dire que les Palestiniens sont des Philistins est une erreur historique et linguistique.
Une chaine publique se réclamant du partenariat avec la DGLFLF contrevient à toute éthique d’information. Je vous prie de réctifier cette erreur.
Bien à vous, »
Yana Grinshpun
Maître de Conférences en Sciences du Langage
Université Paris III-Sorbonne Nouvelle