
Identifier l’antisémitisme
La Maison Blanche dévoile la toute première stratégie pangouvernementale pour lutter contre la haine des Juifs. Présentée comme la décision au niveau national la plus courageuse qui soit et quasiment assurée de vaincre la haine des Juifs, la stratégie mise en place présente « 100 mesures destinées à sensibiliser à l’antisémitisme et à sa menace pour la démocratie américaine, à protéger les communautés juives, à inverser la normalisation de l’antisémitisme et à enforcer la solidarité entre les communautés ».
C’est Joe Biden en personne qui s’y est collé pour présenter la première approche pangouvernementale de ce type pour lutter contre la haine des Juifs en Amérique et qui l’a qualifiée de « pas en avant historique envoyant le message clair et fort qu’en Amérique, le mal et la haine ne gagneront pas ».
Ladite stratégie est l’aboutissement de longs mois de travail d’un groupe drivé par Susan Rice, la conseillère sortante en politique intérieure de la Maison-Blanche, laquelle demande : « Faites tout ce que vous pouvez dans vos communautés, dans vos écoles, dans vos dortoirs, dans vos lieux de culte et dans vos lieux de travail pour lutter contre l’antisémitisme.
IHRA versus Nexus Document
À savoir : les participants se sont heurtés à une difficulté de taille, à savoir la façon dont l’administration Biden définirait le mot « antisémitisme ». Serait-ce, comme le voulaient les groupes juifs traditionnels, en usant de la définition de travail de l’Alliance internationale de la mémoire de l’Holocauste (IHRA), ou fallait-il inventer une définition différente évitant de mentionner Israël et permettant de critiquer à volonté l’État juif.
La Maison Blanche a opté pour la définition de l’IHRA, jugée « non juridiquement contraignante », tout en y adjoignant le « Nexus Document », présenté comme « une définition alternative promue par les progressistes ».
L’inclusion signalée de la définition par l’administration Biden a conduit Emmanuel Nashon, directeur adjoint israélien du ministère des Affaires étrangères, à retweeter le président du Congrès juif mondial (WJC), Ronald S. Lauder, qui a tweeté : L’importance de la définition de travail de l’antisémitisme de l’IHRA ne peut être surestimée. C’est la définition la plus largement adoptée et acceptée par les gouvernements, les institutions et les organisations du monde entier. Il est essentiel de lutter efficacement contre l’antisémitisme, car il permet aux décideurs politiques du monde entier d’identifier et de répondre à toutes les formes de haine juive, y compris celles qui peuvent être plus subtiles, mais pas moins insidieuses. La communauté juive internationale serait gravement déçue si la définition de l’IHRA n’était pas exclusivement incluse dans un plan d’action et la considérerait comme non représentative de ses expériences et des véritables manifestations de l’antisémitisme moderne.
Dov Waxman, membre du « Nexus Task Force », a tweeté que Nashon et Lauder ne devraient pas s’opposer à Nexus qui « identifiait clairement quand la critique d’Israël ou l’opposition franchissait la ligne de l’antisémitisme et était plus clair que l’IHRA à cet égard ».
Kenneth L. Marcus, fondateur et président du Louis Brandeis Center for Human Rights Under Law, qui considère que le « but » de Nexus est d’éviter à tous les antisionistes d’être étiquetés comme antisémites, a critiqué à son tour Nexus qui pourrait fournir une « échappatoire » aux antisémites.
C’est Jonathan Jacoby, le directeur du groupe de travail Nexus, qui a convaincu en affirmant que Nexus et IHRA devaient être utilisés ensemble comme outils pour lutter contre l’antisémitisme : L’IHRA est comme la Mishna et Nexus est comme la Gemara, a-t-il déclaré à l’appui, faisant référence aux deux sections du Talmud : Nexus n’a jamais été censé remplacer l’IHRA. C’est « une insulte » de suggérer que Nexus serait destiné à protéger les antisionistes.
Pour rappel : le site Web Nexus présente un livre blanc définissant l’antisémitisme comme « une diabolisation persistante montrant les Juifs comme irrémédiablement menaçants et dangereusement puissants ». […] La critique d’Israël et du sionisme n’est pas intrinsèquement antisémite, et accorder une attention disproportionnée à Israël et/ou le traiter différemment des autres pays n’est pas une preuve prima facie de l’antisémitisme. […] Il y a de nombreuses raisons de traiter Israël différemment ou de consacrer une attention particulière à Israël, parmi lesquelles le fait qu’Israël reçoit plus d’aide militaire que tout autre pays ou que quelqu’un a un lien religieux spécial avec Israël », indique le livre blanc. « Cingler Israël parce qu’il s’agit d’un État juif, utilisant des normes différentes de celles appliquées à d’autres pays, c’est de l’antisémitisme ».
Pour Marcus, la définition de Nexus justifie essentiellement l’utilisation de deux poids-deux mesures en ce qui concerne Israël. « Souvent, l’utilisation de deux poids, deux mesures est un signe révélateur que les critiques d’Israël ne sont pas basées sur des préoccupations en matière de droits de l’homme et ont plutôt à voir avec une forme plus profonde d’animosité. Israël est-il tenu de faire quoi que ce soit parce que c’est un État juif ? »
Le Livre blanc Nexus
Le livre blanc Nexus soutient que la critique du sionisme et d’Israël franchit la ligne de l’antisémitisme lorsqu’elle promulgue « des mythes, des stéréotypes ou des attitudes sur le sionisme et/ou Israël qui découlent et/ou renforcent des accusations et des tropes antisémites ».
À savoir : le site Web Nexus dispose d’un « Guide pour identifier l’antisémitisme dans les débats sur Israël », qui stipule en partie que « les actions non violentes qui font pression pour des changements dans les politiques israéliennes ne sont généralement pas antisémites » et que « le boycott non-violent des marchandises faites en Cisjordanie et/ou en Israël n’est pas antisémite.
Le guide Nexus s’appuie sur le fait que même Yitzhak Rabin avait averti que le maintien d’une occupation conduirait à l’apartheid et qu’à ce propos, un débat sur ce qui est ou n’est pas l’apartheid était plus intéressant que de débattre sur la question de savoir s’il y a antisémitisme : « l’accusation d’Israël d’apartheid peut être antisémite. Si, en faisant une comparaison avec le régime afrikaners en Afrique du Sud, la suggestion est que les Juifs n’ont pas le droit à l’autodétermination en Israël, alors c’est antisémite , a déclaré Jacoby, parce que les Afrikaners n’avaient pas ce droit. Ils avaient peut-être le droit d’y vivre, mais ils n’avaient aucun droit national alors que les Juifs ont des droits nationaux ».
Une énième critique à l’encontre de Nexus : « Il n’est pas clair que la définition de Nexus ne fournirait pas d’échappatoire pour les antisémites qui harcèlent les étudiants juifs ciblés en raison de leurs opinions réelles ou perçues sur l’État d’Israël et donc d’une manière qui se rapporte à leurs engagements personnels sionistes, puisque Nexus prévoit des exceptions pour le harcèlement des étudiants juifs ».
Le document final, qui comprend une campagne de sensibilisation à l’antisémitisme, y compris une lettre aux écoles envoyée le 25 mai « leur rappelant leur obligation légale en vertu du titre VI de la loi sur les droits civils de 1964 de traiter les plaintes de discrimination, y compris le harcèlement, fondée sur la race, la couleur ou l’origine nationale, demande au Congrès « de tenir les plateformes de médias sociaux responsables de la propagation de la violence alimentée par la haine, y compris l’antisémitisme» et annonce les visites de hauts fonctionnaires, de partenaires et d’influenceurs dans les écoles avec l’intention d’aider à éradiquer l’antisémitisme, réaffirme « l’engagement inébranlable de l’administration envers le droit de l’État d’Israël à exister, sa légitimité et sa sécurité » et les « liens profonds liens historiques, religieux, culturels et autres que de nombreux Juifs américains et autres Américains ont avec Israël ».
À noter : le lancement de l' »Ally Challenge » du Bureau de l’engagement public de la Maison Blanche, qui invitera les Américains à « décrire leurs actes d’affiliation avec des communautés juives ou d’autres communautés qui ne sont pas les leurs » et la création … d’une « boite à outils de solidarité » pour aider les communautés religieuses à lutter contre l’antisémitisme.
Sarah Cattan