
Il y a quelque temps, j’ai proposé une recension du dernier livre de Liliane Messika au blog-revue de Catherine Kintzler, philosophe connue, spécialiste de l’esthétique et de la laïcité. Mezetulle, revue en ligne, est une formidable ressource d’échanges intellectuels, de lectures stimulantes et de réflexions venant de tous les représentants de la pensée (libéraux, conservateurs, historiens, sociologues, linguistes, musicologues, etc…). Le monde intellectuel français connaît bien cette revue et l’apprécie. C’est un honneur d’y être publié.
La recension est publiée ici: https://www.mezetulle.fr/lettre-ouverte-aux-antisionistes-de-liliane-messika-lue-par-yana-grinshpun/
Les commentaires qui ont suivi la publication de ce compte rendu sont significatifs. Ils en disent long sur l’état d’esprit et l’état d’intoxication de certains de nos compatriotes, parmi ceux qui « s’intéressent » aux problèmes de ce monde, et plus obsessionnellement à l’existence d’Israël. Le livre de Liliane Messika est adressé aux BIMI, (Bien Intentionnés Mal Informés), c’est-à-dire, ceux qui ne se réveillent pas tous les matins avec le besoin d’aller défendre le peuple palestinien contre la « puissance occupante » ou ceux qui n’ont pas de parti pris du tout. Ils existent.
Trois commentaires suivent la recension. Aucun des commentateurs n’a lu le livre de Liliane Messika, et le dernier semble ne pas avoir lu la recension, seulement les commentaires et mes réponses.
J’ignore sincèrement si le temps que nous consacrons à l’explication patiente, factuelle, historique, philosophique et éthique peut porter des fruits. J’ose croire, comme Liliane Messika, qu’on peut toucher des gens capables de raisonner par eux-mêmes, sans tomber dans l’intoxication par les maîtres-mots, le matraquage et la désinformation permanente que l’on rencontre dès les bancs de l’école (mes enfants m’ont raconté que Jésus était Palestinien, on le leur a dit à l’école).
Je sais que c’est possible, quand on vit au sein d’un régime totalitaire, car c’est plus facile de repérer les mensonges. Je sais aussi, après avoir beaucoup travaillé sur les idéologies et leur diffusion dans les sociétés démocratiques, que c’est beaucoup plus difficile, car la désinformation y est souvent construite par des professionnels adoubés, très au fait des valeurs collectives positives.
Commentaire 1 de Charles Darnay
N’ayant pas lu le lire (ce que je pense faire très prochainement), je me permets de réagir simplement à l’article.
Je ne suis pas très au fait des évènements qui président au conflit israélo-palestinien mais la lecture de l’article ci-dessus m’interpelle sur les points suivants : Il ne me semble pas que tous les Israéliens soient juifs ni que tous les Palestiniens soient musulmans, ai-je tort ? D’autre part, si les Israéliens parlent, de leur pays, d’état juif, cela veut-t-il dire qu’ils considèrent que tous ses habitants doivent se soumettre au Pentateuque ? Auquel cas, il s’agit d’une théocratie (si c’est leur choix pourquoi pas). Enfin, il me semble qu’il y a confusion entre israélien et juif comme il y a une confusion entre arabe (ou perse) et musulman. si c’est le cas, doit-on confondre la France avec un état catholique (auquel cas, en tant que libre-penseur, sans dieu, il faut que j’envisage de déménager).
Je tiens à préciser que je n’ai aucune passion pour la Palestine ou Israël.
Réponse 1 de Yana Grinshpun
Il me semble que votre commentaire contient des stéréotypes sur la perception du peuple juif.
1. Vous semblez considérer qu’être Juif signifie être croyant, pratiquant ou religieux, et qui plus est, être Juif c’est de vivre selon la Torah (Pentateuque). Les pères fondateurs d’Israël ainsi que la mère (Golda Meïr), étaient sionistes laïques, socialistes croyant à la vertu de l’idéologie socialiste, pour la plupart athées. Ils appartenaient au peuple juif, ils n’embrassaient pas nécessairement sa dimension religieuse.
Voir à ce propos Une histoire politique et intellectuelle du sionisme de Georges Bensoussan. Être Israélien, c’est d’adhérer aux valeurs ethniques, culturelles et historiques de la majorité qui est juive, car Israël est d’abord et avant tout un État de dans le sens moderne du terme, créé par les Juifs et pour les membres du peuple Juif, où qu’ils soient.
Pour illustrer la fausseté de votre perception strictement cantonnée à la religion, regardez les usages linguistiques : « Juifs russe, polonais », « Haine des Juifs », « Persécutions subies par les Juifs », « les Juifs nés en Israël s’appellent des ‘sabra’ « …
On peut être Juif athée, Juif laïque, Juif traditionaliste, Juif croyant, Juif universaliste, Juif français etc. Être Juif, c’est appartenir à un peuple, à son histoire, à sa mémoire et à sa culture. Et cette culture, même si elle est nourrie par ses origines bibliques, peut être tout à fait éloignée de la religion.
Par ailleurs, tous les Israéliens ne sont pas Juifs, vous avez raison – seulement 80% de la population sont ethniquement, culturellement, historiquement, religieusement Juifs.
20% sont présentés par des minorités : arabes chrétiens, arabes musulmans, Tcherkesses, Druzes, Bahaï.
Comme dans tous les pays du monde, c’est la majorité ethnique qui impose sa langue, sa culture, ses symboles politiques ou religieux. Ainsi en Israël, tout en respectant les droits culturels et cultuels de la minorité ethnique musulmane, chrétienne, druze, et bahaï c’est la majorité ethnique juive qui impose les symboles juifs de l’État.
2. Votre comparaison de la confusion de la France avec le catholicisme est aussi étrange, j’ignore qui peut le faire de nos jours, car si les racines culturelles de la France sont incontestablement catholiques, si la France a été « la fille aînée de l’Église », ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, la France n’est pas un État catholique, c’est l’État-nation des Français, un État laïque, pratiquement le seul au monde à l’être.
Israël est un État juif avec un caractère national (et pas religieux !) juif. Les Juifs sont un peuple qui a un passé commun, une histoire commune et un avenir commun. Ce n’est pas un pays laïque dans le sens français (mais dans ce sens–là, il n’y a aucun pays laïque au monde). Faites un tour en Israël, vous y verrez toute la diversité de la vie juive : des laïcards fervents qui ne connaissent pas un mot de la Torah jusqu’aux orthodoxes qui en vénèrent le Texte.
Votre difficulté à comprendre cette singularité est compréhensible. La conception dominante concernant le peuple juif, celle qui prévaut encore aujourd’hui chez certains, a pu constituer un obstacle durable à la reconnaissance du sionisme.
Vous pensez encore « religion », comme au XIXe siècle, alors que le peuple juif a fait valoir un projet d’indépendance nationale par son retour à la terre des ancêtres, par l’identité linguistique et par l’identité sociologique.
3. Je ne sais pas dans quel sens vous utilisez le terme « théocratie », c’est un terme polysémique et utilisé par les médias dans un sens péjoratif. Il est erroné de l’appliquer à Israël. La théocratie est contraire aux principes du judaïsme et de la culture juive.
Par ailleurs, dire « Israël est un État théocratique », c’est méconnaître l’histoire du sionisme, qui commence avant 1880, c’est-à-dire, après l’expression du principe de nationalité en Europe. Théodore Herzl, le théoricien du sionisme moderne, articule cette idéologie à la philosophie des Lumières. La reprise des référents juifs traditionnels constitue un geste symbolique de continuité et n’enfreint aucunement le rapport à la modernité. La question qui occupe actuellement les Israéliens n’est pas celle d’une quelconque théocratie, étrangère à l’esprit de l’État, mais celle du post-sionisme.
Je vous invite à une conférence qui pourrait vous éclairer : « Israël et le fantasme de la théocratie » qui s’est tenue le 7 mai 2023[1]. Le conférencier, Georges-Elia Sarfati, est philosophe, psychanalyste et linguiste, spécialiste de la pensée juive. Cette conférence est très éclairante sur le fantasme de « théocratie » juive.
Commentaire 2 (sic) de Marc Farina
Ce bouquin est sûrement très sérieux, mais comme toujours, les arguments exposés peuvent être déconstruits. Par exemple : « Avant 1967, ceux qu’on appelle aujourd’hui ‘les Palestiniens’ ne constituaient pas une entité géopolitique et n’aspiraient pas à un État. Lorsqu’ils s’en sont vus proposer un, par le partage de la Palestine mandataire, la Ligue arabe l’a refusé en leur nom ». Bien sûr, les États arabes existants ne voulaient surtout pas de la création d’un nouvel État qui viendraient marcher sur leur plate-bande . . .
Ou bien encore : « Il s’agit du retour d’un peuple à sa patrie originelle, un retour attendu depuis deux millénaires ». En quoi, les palestiniens qui depuis 2 000 ans vivaient sur ces terres en toute légitimité (ce sont les romains qui sont la cause de la diaspora) devaient-ils être les victimes expiatoires de ce « retour »? Cela pouvant expliquer par ailleurs leur refus de 2 États. . . Pourquoi ne pas avoir proposé la création d’un État d’Israël en France, en Espagne, en Hongrie, d’où de très importantes communautés juives avaient été chassées, et cela ne remontait pas à 2000 ans ! (Non, apparemment, les belles âmes ne se sont pas précipitées pour soutenir de tels projets . . .). Il s’agit donc d’un débat sans fin, parce que ce sont les conditions de la création de l’État d’Israël qui constituent la tache originelle . . .
Réponse 2 de Yana Grinshpun
C’est dommage de parler d’un ouvrage sans l’avoir lu et de faire un procès à tout un peuple sans connaître son histoire. Tout ce que vous dites dans votre commentaire relève soit de la mauvaise foi, soit de l’ignorance de l’histoire juive et arabe, ce qui est justement traité dans ce livre. C’est pourquoi j’en ai fait un compte rendu. On peut déconstruire tous les arguments avancés par l’auteur du livre, sans l’avoir lu, déconstruire les arguments de ceux qui ont aspiré au retour sur leur terre pendant des milliers d’années, déconstruire le sionisme comme mouvement d’autodétermination du peuple juif historiquement, symboliquement aspirant au retour, qui a eu lieu il y a 75 ans, mais on ne peut nier la présence continue et ininterrompue sur cette terre de Juifs, certes, minoritaires après les vagues d’exils et de colonisations : par les Romains, par les Byzantins, par les Arabes, par les Turcs Ottomans, par les Anglais.
Voltaire, pourtant pas vraiment un grand amateur de Juifs écrivait: « Je vous aime tant , que je voudrais que vous fussiez tous dans Hershalaïm au lieu des Turcs qui dévastent tout votre pays, et qui ont bâti cependant une assez belle mosquée sur les fondements de votre temple, et sur la plateforme construite par votre Hérode » (Dictionnaire philosophique, article « Juifs »). Cela peut répondre en partie à votre étonnement qu’Israël n’ait pas été créé en Russie ou en France ou au Japon.
Cette terre est « possédée » par les Juifs dans le sens symbolique, depuis des millénaires.
Par ailleurs, « Terre d’Israël », (Erez Israel) est une dénomination d’Israël dans l’Ancien Testament, dans les Évangiles et dans le Coran. Quand on dit que les Palestiniens vivent en Israël depuis mille ans, on dit exactement ce que décrit Messika dans son livre : l’ignorance de l’histoire. Mais cela n’est pas un problème quand on est de bonne foi et quand on désire s’instruire avant de déconstruire.
Les Arabes qui se trouvaient dans la Palestine mandataire en 1948 n’y étaient pas « légitimement depuis 2000 ans », comme vous l’écrivez. Ils étaient issus de trois groupes principaux : des envahisseurs musulmans arrivés pendant la conquête arabo-musulmane du Moyen-Orient (depuis environ l’an 700 de notre ère), des immigrants arabes des pays alentours, attirés par les emplois créés par les Juifs aux XIXe et XXe siècles, et les convertis locaux à l’islam.
Un premier État arabe palestinien, la Transjordanie, avait vu le jour en 1922. Elle était constituée par 77% du territoire originel destiné au futur État juif, soustraits par la Grande Bretagne, pour être offerts à l’émir Abdallah, en remerciement de son aide contre l’Empire Ottoman pendant la première guerre mondiale.
Quant au terme Palestine, il a aussi son histoire. Pour ne pas alourdir ce commentaire, je vous propose la lecture de cet article dont vous pourrez vérifier toutes les sources https://perditions-ideologiques.com/2020/06/19/linvention-politique-de-la-palestine-une-mystification-territoriale-denominative-et-cartographique/
Quant au refus arabe, il n’est pas lié, comme vous le dites, seulement au refus de voir ENCORE un État, alors qu’il n’y avait aucun État sur ces terres. Les États y ont été créés artificiellement par les puissances vainqueurs de la première guerre mondiale, qui ont démembré l’Empire ottoman et agrégé au sein de chacune de leurs nouvelles colonises les tribus, pour la plupart nomades, qui y vivaient.
Le refus arabe est le refus de reconnaître le lien symbolique des Juifs à cette terre, mais pas pour les raisons que vous exposez dans votre texte. Ce refus est lié à la source, le conflit entre la Bible et le Coran, un conflit identitaire.
Le Coran est traversé par la vindicte antijuive, le Juif est dépeint comme mauvais, retors, arrogant et pervers et même traître à sa propre religion. Tous les grands Hébreux de la Bible sont musulmans dans le Coran : Abraham, Moïse, Aaron. Mohammed se disait persécuté par les Juifs et il leur voue une vindicte qui se transmet encore de nos jours. Il était donc impensable pour les Arabes musulmans de considérer ce « Juif collectif » comme ayant les mêmes droits qu’eux. Pensez aux treize siècles de la vie des dhimmis en terre arabe.
Aux Occidentaux ils ont servi l’argument colonial, qui convenait là où c’est facile, notamment en France. Les antisionistes espèrent résoudre le conflit symbolique par une loi gestionnaire, en faisant une impasse sur la violence contenue dans le conflit des origines.
Une discussion sérieuse implique la connaissance de l’histoire. Parler du livre, qui opère sur ce sujet une synthèse, sans l’avoir lu en dit long sur l’état d’idées reçues et le refus de les remettre en cause, ou d’accepter d’entendre autre chose que la rengaine médiatique depuis 1967.
Commentaire 3 de Benjamin Straehli
Plusieurs des arguments, dans le texte et les réponses, laissent à désirer.
Il est plus que paradoxal de soutenir que « la théocratie est contraire aux principes du judaïsme et de la culture juive » : le mot même de théocratie est forgé par Flavius Josèphe, dans le livre II du Contre Appion, pour désigner le gouvernement institué par Moïse. La tradition juive n’est évidemment pas monolithique, et à l’intérieur même de la Bible le peuple d’Israël connaît plusieurs régimes politiques, mais le fantasme théocratique y a bel et bien sa place.
Répondre à l’accusation d’apartheid par l’exemple des Arabes israéliens ne me paraît pas non plus approprié. Si bancal que soit le rapprochement avec le régime qu’a connu l’Afrique du Sud, il porte manifestement sur la situation des Arabes de Cisjordanie et de Gaza qui n’ont pas la citoyenneté israélienne. Il n’est pas possible de réfuter une accusation de racisme, d’apartheid ou de génocide, portée à propos de la façon dont serait traitée une certaine population arabe, en donnant en exemple les droits reconnus à d’autres Arabes. La réponse ne peut être pertinente que si elle porte sur le même sujet que l’accusation.
Quant à expliquer, dans la réponse au commentaire de Marc Farina, le conflit actuel par un conflit originel entre Bible et Coran, cela se heurte aussi à des difficultés. Tout d’abord, une partie de cette explication repose sur les récits rédigés bien plus tard, sous les Abbassides, à partir de prétendues traditions orales hautement douteuses : les sources sur des conflits entre Muhammad et les communautés juives sont bien postérieures au Coran lui-même (dans lequel « musulman » ne semble même pas désigner une religion particulière, mais simplement le fait d’obéir à Dieu). Certes, elles en ont imposé une certaine interprétation. Mais même en tenant compte de cela, il est toujours insuffisant, pour expliquer une politique ou un comportement collectif, de dire « c’est dans leur religion » : en effet, un même texte sacré, et une même tradition religieuse, offre des traits contradictoires, et encore faut-il expliquer pourquoi tel aspect du texte est mis en pratique et pas un autre.
En ce qui concerne, cette fois, moins le contenu même du discours que ses effets potentiels, il me paraît contreproductif de vouloir lutter contre l’antisémitisme en présentant le conflit comme une opposition entre un judaïsme qui serait fait de liberté et de démocratie, et un islam qui véhiculerait depuis toujours la haine et la vindicte. L’existence de tels discours ne peut guère que renforcer la conviction selon laquelle le sionisme se fonderait sur un racisme anti-arabe ou antimusulman.
Réponse 3 de Yana Grinshpun
Merci de votre commentaire qui témoigne d’une obsession que le sujet d’Israël provoque chez des lecteurs de ce blog.
La preuve ? Aucun commentaire n’a porté sur mon compte rendu, ni sur le livre de Liliane Messika, qu’aucun des commentateurs n’a lu.
Si ma réponse à la personne qui n’a pas lu le livre et qui manifeste quelques lacunes dans les connaissances historiques « laisse à désirer », toutes mes réponses ne seront qu’une vaine perte de temps, car nous ne sommes pas dans la rationalité ou dans une disputatio, mais dans une passion.
La lecture du livre dont j’ai fait une recension, vous aurait permis de ne pas exposer le tiers de vos remarques, notamment sur le « génocide », « l’apartheid » et les autres formules plaquées sur Israël par les apprentis sorciers des maîtres soviétiques. Je vous propose de lire l’analyse de cette mythologie ici. Les commentaires en disent plus sur les auteurs qui « commentent », que sur le contenu des commentaires. Ne prenez pas cela comme une offense, plutôt comme une observation amusée.
Je vous répondrai tout de même en détail par souci pédagogique.
- Sur la théocratie, voir le texte de G.E. Sarfati que je viens de publier exprès pour les gens en quête du savoir ici : https://perditions-ideologiques.com/2023/05/08/israel-la-reforme-judiciaire-et-le-fantasme-de-la-theocratie/
Je commencerai par citer cet article justement à propos de Flavius :
« Bien que le terme même de ‘théocratie’ ait été introduit par un écrivain juif pour qualifier la nature de l’administration judéenne au retour de l’exil de Babylone (il s’agit de Flavius Josèphe, qui est le principal témoin du judaïsme antique), cet auteur use de ce terme pour désigner non pas le pouvoir politique des prêtres (puisque dans la tradition hébraïque et juive, ces derniers n’en exercent aucun), mais plutôt le fait que l’édifice collectif puise son unité – sa cohésion et sa cohérence – dans la référence à une loi révélée (on parle alors de l’hétéronomie de la loi) ».
Après l’époque patriarcale, les enfants d’Israël deviennent un peuple-nation, en recevant leur constitution sur le Mont Sinaï, constitution d’emblée transmise à tous et d’emblée appelée à l’interprétation, ce qui évite la clôture du sens entre le prophète et le prêtre (Moïse/Aaron), qui s’appuieront bientôt sur des Juges (voir le livre des Juges), puis sur des Rois (Samuel I, II dans la tradition de Septante). Ils ne gouverneront pas au nom de Dieu, mais seront les garants de la loi de Dieu.
Ensuite c’est la fédération administrative des Tribus d’Israël qui font autorité : s’y ajoute la concertation permanente, la délégation, le débat qui préside aux grandes comme aux petites décisions.
À l’époque des Rois, l’exercice du pouvoir repose sur la coopération de trois instances : le roi (exécutif), le prêtre (judiciaire), le prophète (législatif, en prise sur les circonstances), qui agissent en vue du peuple, lequel en dernière analyse est le véritable juge.
À l’époque plus tardive, Le Mishné Torah de Maïmonide – composé au XIIe siècle – envisage la codification de tous les secteurs de l’existence et de la vie collective (ce qui inclut la question de l’État et du gouvernement, le Shulkhan Aroukh de Joseph Caro – composé au XVIe s.- et la Mishna Brura de Méir Kogan haCohen – composée dans la seconde moitié du XIXe siècle – limitent tous deux la codification halakhique à la règlementation de la sphère privée, des lois du commerce, et des lois liturgiques. Cela indique bien qu’Israël a renoncé à penser le politique en fonction de ce que l’on appelle – d’un mot très impropre – « la religion ».
J’ai déjà répondu précédemment sur l’histoire du sionisme, mais il faut rappeler encore une fois Mosès Hess (ainsi que Pinsker et Herzl). Pour les fondateurs intellectuels du sionisme, celui-ci relève de la philosophie politique et s’inscrit dans la philosophie des Lumières touchant la question nationale en Europe.
Est-ce que vous pouvez me trouver un seul passage dans leurs écrits qui préconisent, prône ou diffuse la théocratie ? Si oui, j’attends vos références.
D’ailleurs, Herzl écrit : « Aurons-nous donc à la fin une théocratie ? Non ! Si la foi nous maintient unis, la science nous rend libres. Par conséquent, nous ne laisserons point prendre racine aux velléités théocratiques de nos ecclésiastiques. Nous saurons les maintenir dans leurs temples, de même que nous maintiendrons dans leurs casernes nos soldats professionnels. L’armée et le clergé doivent être aussi hautement honorés que leurs belles fonctions l’exigent et le méritent. Dans l’État qui les distingue ils n’ont rien à dire, car autrement ils provoqueraient des difficultés extérieures et intérieures. Chacun est aussi complètement libre dans sa foi ou dans son incrédulité que dans sa nationalité. Et s’il arrive que des fidèles d’une autre confession, des membres d’une autre nationalité habitent chez nous, nous leur accorderons une protection honorable et l’égalité des droits ».[2]
C’est ce qui est advenu en Israël, pays séculier. Il me semble, après avoir longtemps vécu en France et après avoir participé aux débats sur la laïcité, que selon la conception laïque à la française, la laïcité signifie ici toute rupture avec la tradition, notamment catholique, c’est même contre la tradition que la laïcité à la française s’est construite. Or, en Israël, je l’ai déjà écrit, le lien avec la tradition n’est pas interrompu. Le sécularisme n’est pas la même chose que la laïcité. Vu d’ici, vu par le post-modernisme post-national, c’est un conservatisme nationaliste insupportable (ou comme vous semblez dire « théocratie »), mais là-bas, le sécularisme est inséparable de la tradition juive, sans laquelle l’État d’Israël n’a pas sa raison d’être. Que cela vous plaise ou non, le lien avec la tradition culturelle n’est pas la théocratie.
Génocide, apartheid et autres incantations doxiques. Gaza et l’Autonomie Palestinienne
- apartheid
Si je comprends bien votre contre-argumentation, si les Israéliens ne pratiquent pas l’apartheid contre leurs citoyens non juifs, alors c’est contre leurs voisins palestiniens.
Mais, voyez-vous, les Palestiniens, que ce soit en Cisjordanie ou à Gaza, ont leur propre gouvernement et ils ne dépendent pas d’Israël, sauf quand, pour des raisons obscures, ils viennent étudier dans les universités israéliennes, alors qu’il existe 49 établissements supérieurs sur les territoires de l’Autonomie et à Gaza.
En revanche, il n’y a AUCUN juif dans les établissements palestiniens, vous savez pourquoi ? Parce que les Israéliens y sont interdits d’entrée. Mais ce n’est pas tout, les étudiants palestiniens qui viennent de l’Autonomie en Israël appellent à boycotter les universités où ils sont inscrits. Voyez ce qu’ils en disent, c’est assez cocasse :
Par ailleurs, cela ne vous choque point que Mahmoud Abbas dise ouvertement que dans le futur État palestinien, il n’y aura aucun juif ? Que la Palestine sera « judenfreï ». Les Européens, qui adorent les Juifs morts, et de préférence dans les camps de concentration, n’en sont pas ébranlés : au Caire, en juillet 2013: « In a final resolution, we would not see the presence of a single Israeli civilian or soldier on our lands ». (http://www.foxnews.com/opinion/2016/09/14/all-jews-out-palestine-is-not-peace-plan.html) (Dans la résolution finale, nous ne verrons pas un seul Israélien, civil ou militaire, dans nos terres).
- génocide
Vous avez dit « génocide ? Je reprends. Gaza a été définitivement quittée par Israël en 2005. La population de Gaza était passée de 254 000 habitants en 1950 à 2,9 millions en 2021.
Population palestinienne en Cisjordanie : en 1947,700000, en 2021- 1, 966 millions.
De source palestinienne, entre 1967 et 2021, le nombre des habitants de la Cisjordanie a été multiplié par plus de quatre.
Pour comparaison, il y avait 18 millions de Juifs sur la planète terre en 1938, 78 ans après la guerre ils sont toujours moins de quinze millions…
Mais parlons du gouvernement du Hamas. En 2005, Le Hamas (dont l’article 7 de la charte stipule notamment : « Israël existe et continuera à exister jusqu’à ce que l’islam le fasse disparaître« ) est élu à majorité. Mais tssss, ne parlons pas de l’islam. Il n’y est pour rien.
- Ce qui nous amène à l’occultation de la vindicte antijuive de l’islam
Vous dites : « une opposition entre un judaïsme qui serait fait de liberté et de démocratie, et un islam qui véhiculerait depuis toujours la haine et la vindicte. L’existence de tels discours ne peut guère que renforcer la conviction selon laquelle le sionisme se fonderait sur un racisme anti-arabe ou antimusulman ».
Remarque linguistique : l’emploi du terme « racisme », lorsqu’il s’agit d’une critique de religion, est un véritable abus du langage. Mais cet abus du langage s’explique par l’influence de la « racialisation » de tous les problèmes sociaux, imposée par le décolonialisme.
Par ailleurs, comme le remarque Pierre-André Taguieff, l’extension de ce terme désigne un phénomène polymorphe imaginé sur le modèle répulsif du nazisme.
Votre phrase témoigne de l’imprégnation par la doxa médiatique, qui ne cesse de comparer le sionisme avec le racisme et le nazisme, en faisant fi de son histoire, de son inscription politico-philosophique et du rejet de ce mouvement par tous ceux qu’Israël dérange et qui s’efforcent d’inverser les rôles, en parlant du racisme.
Et si vous vous intéressiez un peu plus à l’affaire, vous pourriez même jeter un coup d’œil sur les manuels palestiniens pour voir que l’islam y est bien présent avec ses appels au jihad Je vous propose un exemple illustratif :
En Israël
L’une des meurtrières les plus connue dans l’histoire du terrorisme palestinien est Dalal Al Mugrabi. En 1978, Mughrabi et plusieurs autres assassins du Fatah ont détourné un bus et tué 38 civils, dont 13 enfants, et ont blessé plus de 70 autres personnes. Dans les manuels palestiniens, « cette affaire héroïque » est présentée comme ayant eu lieu « au cœur des territoires occupés », alors que l’attentat s’est produit au nord de Tel Aviv. A la glorification de la haine meurtrière antijuive s’ajoute un mensonge politico-territorial.
Les manuels palestiniens qui promeuvent la haine des Juifs avec une salutaire participation des femmes et au nom de l’islam, ne sont qu’une pièce dans le vaste programme d’endoctrinement des enfants et des adolescents. Les médias télévisuels donnent souvent la parole aux « intellectuelles » qui promeuvent le martyr au nom du jihad : voir, par exemple ci-dessus, l’émission avec la poétesse palestinienne Rihab Kanaan, qui incite les jeunes femmes à suivre l’exemple de Mugrabi.
Dans cette émission, diffusée le 8 mars 2020 sur Al-Quds Al-Youm TV (Gaza – Jihad islamique) en l’honneur de la Journée internationale de la femme, la poétesse gazaouie Rihab Kanaan a fait l’éloge es femmes palestiniennes qui ont porté des « ceintures de mort » dans l’espoir de libérer la Palestine [des Juifs]. Elle a récité un poème qu’elle a écrit en l’honneur de Fadwa Hassan Ghanem, qui a commis un attentat suicide à la frontière entre Israël et le Liban en novembre 1990 : « Oh Fadwa, tu t’es décorée du sacrifice… Bénis soient tes vêtements de mariage, qui ont été dispersés avec les lambeaux de ton corps ».
Telle est la doctrine officielle, enseignée à l’école palestinienne et subventionnée par l’Union Européenne. Cela c’est là-bas.
En Europe
Ici, en Europe, sans pouvoir réduire le sionisme à l’extrême droite, car elle est antisémite, vous essayez de dire que toute critique de l’islam relève du racisme, tel qu’il se manifeste ici et en Israël : c’est exactement le discours d’Houria Bouteldja et de ses sbires et c’est le but recherché par l’Organisation de Coopération Islamique qui a édité en 1991 La Déclaration des droits de l’homme en islam.
« Il est interdit de s’attaquer aux croyances sacrées admises par la société islamique telles que l’existence d’Allah, la véracité de la prophétie de Muhammad et il convient d’éviter tout ce qui est de nature à porter atteinte à l’islam et à ses fidèles« .
Je vous cite une universitaire indigéniste[1], à Paris 8, qui a expliqué urbi et orbi au procès de Bensoussan que dire « espèce de juif » n’est pas une insulte raciste, c’est une insulte tout court, désémentisé. Quand une mère veut dire à son enfant qu’il fait mal, elle le traite de « yahoud » (juif).
Même si la convivialité peut exister au niveau personnel, même si des amitiés existent, il faut ne rien connaître à l’éducation islamique pour vouloir occulter la violence de la vindicte. Il faut tenir compte de l’inclusivité de l’islam. C’est là, la vraie violence, pas dans les appels aux meurtres du peuple impie, qui est pris à la lettre de temps à autre, vous n’êtes pas sans le savoir. La Bible juive n’exclut pas la violence, mais elle ne mandate pas son peuple pour imposer son Dieu aux autres. À aucun moment. Israël n’a pas besoin d’effacer les Palestiniens pour s’affirmer, ni de chasser qui que ce soit ou de tuer au nom de la religion, comme c’est le cas ces dernières années en France et dans le monde entier (tous les Juifs tués en France parce que Juifs depuis 2003 l’ont été au nom de l’islam).
Ceux qui parlent au nom de l’islam risquent leur pouvoir s’ils cessent de se référer en permanence au Texte fondateur, à Allah, au martyr etc. Le conflit judéo-arabe est un conflit symbolique, il dure depuis des millénaires.
Tant que l’Islam n’aura pas eu sa révolution « Vatican II », il durera, car la violence persistera. Et pas seulement contre les Juifs. Passez du temps dans les quartiers, parlez avec les gens, demandez-leur ce qu’ils « savent » d’Israël et des Juifs. Ils sauront ce qui est écrit dans le Coran et… ce que l’Europe, guidée par sa culpabilité narcissique, leur a appris : le « racisme antimusulman ».
En guise d’exemple parlant, regardez cette vidéo, c’est une télé web Rebeu Deter 2.0. A partir de 1h54, un jeune homme Jassim, explique comment il exploite cette peur de parler de l’islam. C’est très instructif[3].
Par ailleurs, je me permets (car je travaille sur ce sujet) de vous conseiller les séries Arrivals et The Signs, très regardées par les jeunes musulmans, à qui elles désignent le coupable de tous les malheurs de ce monde[4].
Je me demande si les Européens, en l’occurrence, les Français, pourront un jour trouver une solution à leur « problème juif » et à leur « problème musulman », car j’ai souvent l’impression, notamment en lisant ces commentaires, qu’ils méconnaissent l’une et l’autre de ces cultures, modes de vie, traditions, et surtout leurs textes fondateurs ainsi que leur rôle dans la transmission symbolique et réelle.
Je termine par une question à tous les commentateurs:
Pourquoi les Européens (des Européens, mais qui sont majoritaires) tiennent-ils à ce mensonge sur le peuple palestinien envahi (au choix : colonisé, occupé, génocidé, apartheidé, meurtri, opprimé) par les Juifs?
Quand l’empereur Hadrien a décidé de rebaptiser la Judée Palestine, il a choisi le nom d’un peuple qui n’existait déjà plus à l’époque. Ce peuple était désigné par un mot hébreu plishtim (Philistins) dont le sens est envahisseur. Cela vient de la racine [plš]. Les Hébreux ont souvent été envahis par ce peuple.
À l’inverse, le mot juif vient du mot hébraïque Judée, ce que les Européens nomment Cisjordanie (aussi, pour effacer tout lien juif avec cette terre).
Le mot « palestinien » vient du mot hébraïque « envahisseur ».
On assiste maintenant à l’inversion sémantique, historique, philosophique, politique qui apprend au monde que les Palestiniens sont « envahis » pas les Juifs. Je rappelle (au cas où!) à tous ceux qui lisent ces échanges que les Philistins n’étaient pas musulmans car ils ont disparu vers le Ve siècle avant J-C. et que les envahisseurs musulmans ne sont arrivés en Judée que douze siècles plus tard, vers la fin du VIIe siècle de notre ère.
Le but de ces inversions est de remplacer l’État Juif par un État arabo-musulman.
De facto la même manœuvre symbolique était pratiquée par l’Église, quand elle prétendait incarner le « Nouvel Israël ».
Quand je lis les accusations contre Israël d’apartheid et de génocide fondées sur des mensonges grossiers, il est impossible de ne pas supposer qu’il s’agisse d’une accusation projective. Pourquoi y tenez-vous tant, malgré les démentis, les évidences, les faits ?
© Yana Grinshpun
Yana Grinshpun est linguiste, analyste du discours, particulièrement intéressée par le fonctionnement des discours médiatiques et par la propagande dans tous ses états.
Sur Perditions idéologiques
Notes
[1] Visible en postcast : https://us06web.zoom.us/j/81061043135
[2] In Le Sionisme dans les textes, D. Bourel éd., Paris, Ed CNRS, 2008, pp. 176-177.
[3]Le Monde, 27 janvier 2017 « L’historien Georges Bensoussan face aux associations antiracistes »
[4] Vidéo complète : https://www.youtube.com/watch?v=vgur_oOcJ6Y
[5] www.youtube.com/watch?v=fS-oV4CI2Lk&t=2s
